vendredi 19 février 2010

Une amitié amoureuse : parce que c'est lui, parce que c'est moi

Ce matin, le 19 février, très longue conversation avec René Gonzalez qui dirige le Théâtre Vidy de Lausanne, l'une des toutes premières maisons de théâtre en Europe, si ce n'est la première. Il y eut ce matin, dans notre dialogue, une sorte d'effervescence intellectuelle en même temps de fous rires et de légèreté et à la fin de la gravité. Je lui ai exposé mon projet dont j'ai parlé hier dans ce blog pour les prochaines années du Théâtre de la Croix-Rousse. Projet éminemment politique et, autant le dire, René Gonzalez y a adhéré avec une joie quasi enfantine. Il coproduira et accueillera pour une longue série ma prochaine création fin 2011, directement reliée à la nouvelle aventure de La Croix-Rousse.

René Gonzalez est une sorte de roc physiquement. La maladie l'a traitreusement assailli il y a maintenant presque 2 ans. Elle a failli même avoir raison de son énergie vitale. Mais le gaillard a ressuscité comme s'il lui était impossible d'admettre que le temps s'arrête. Derrière cette force de la nature, il y a chez lui une gourmandise de la vie, une approche quasi évanescente des sentiments. Il est, me dit-il, furieusement amoureux et furieusement aimé. Bien sûr, notre dialogue s'apparente souvent à des "mises à nu". Nous n'avons pas peur, ni l'un, ni l'autre de nous avouer nos échecs, nos défaites, nos drames intérieurs. Mieux que personne, il sait combien ces deux dernières années m'ont épuisé et désolé. Et aujourd'hui nous plaisantons de cette effervescence intellectuelle qui s'est emparée de moi.

Il est une sorte de conscience, il a accompagné les plus grands metteurs en scène de la scène européenne, Matthias Langhoff, Luc Bondy… Ce que j'admire le plus chez lui, c'est cette soif de découverte. Il fait tellement confiance à la jeunesse ! Et souvent, avec elle, il prend tous les risques.

Ce qu'il m'a appris, c'est de ne jamais être un homme du passé, d'être dans le présent et toujours d'être un homme d'avenir. Il est à Vidy adoré par son équipe qui ne cesse de lui manifester sa reconnaissance. Il n'y a jamais chez lui de mépris pour rien ou pour personne. Souvent, il me répète : « Ne perds pas de temps avec ceux qui te veulent du mal. Ne t'occupe que de ceux qui te veulent du bien. »

Je vis avec lui une sorte d'histoire d'amour toujours recommencée, ce qui n'empêche pas parfois, comme dans toutes les histoires d'amour, que nous ayons de vives colères l'un envers l'autre. Aujourd'hui nous vivons "un bonheur sans nuages", comme pourrait dire certains couples hétérosexuels.

Je lui dois beaucoup, j'allais dire presque tout. Il me rappelle constamment que l'intelligence et l'intuition sont les deux conditions pour être un homme honorable. Il ajoute qu'il ne faut jamais calculer ni son amour ni son admiration, il faut plonger. René Gonzalez est un plongeur hors pair, c'est sûr que s'il allait aux jeux olympiques, il serait médaille d'or. Mais, à ce que je sache, René Gonzalez n'est absolument pas sportif.

Philippe Faure

jeudi 18 février 2010

Toujours s'émerveiller

Ce matin, 18 février, comité de suivi au Théâtre de la Croix-Rousse. Le Ministère de la Culture, la Ville de Lyon, la Région Rhône Alpes, le Conseil Général du Rhône et leurs représentants éminents sont réunis pour définir la nouvelle convention qui nous liera à chacune de ces collectivités, convention qui sera signée dans le courant du mois de mai. Plutôt que de la redéfinir j'ai souhaité que cette convention soit l'objet d'une vraie refondation quant à notre mission. Je ne veux pas ici entrer dans les détails car chacun devra avoir la surprise de notre avenir en découvrant notre prochaine saison.

Beaucoup de choses vont changer tant dans la forme que dans le fond. La dénomination même de notre théâtre paraitra sans doute quelque peu révolutionnaire en ces temps où la politique a tendance à se perdre dans les détails et va rarement à l'essentiel. J'ai souhaité que notre maison s'inscrive, oserais-je dire, dans "l'urgence sociale" tout en proposant évidemment l'excellence artistique. Je dois dire que chacune des collectivités a accepté mon projet avec enthousiasme. Une certaine complicité, voire même une certaine tendresse, a régné sur ce comité de suivi. Cela tendrait à prouver que lorsque chacun est de bonne volonté et écoute l'autre, une vraie confiance peut s'instaurer, des idées être émises, des engagements pris et enfin un vrai projet de service public défini.

J'ai offert à chacun des participants le Discours de Suède prononcé par Albert Camus lors de sa remise du prix Nobel à Stockholm (éditions Folio). J'ai aussi beaucoup évoqué l'œuvre de Louis Guilloux, magnifique écrivain français trop méconnu qui n'a cessé d'écrire l'histoire du peuple. Bien sûr, j'ai, à de nombreuses reprises, fait allusion à l'œuvre de Victor Hugo que je ne cesse d'entreprendre ces temps-ci.

D'ailleurs, à propos d'auteurs, depuis quelques temps je suis saisi d'une sorte de boulimie de lecture, comme si soudain j'étais affolé par mon ignorance. Peut-être est-ce la froidure de l'hiver, mais mon esprit a constamment besoin d'être réchauffé par toutes ces utopies. Par exemple deux livres que je viens de lire coup sur coup : Les derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik, et Un très grand amour de Franz-Olivier Giesbert. Deux livres chacun bouleversants dans leur genre.

Diriger un théâtre, l'animer, ne s'arrête pas évidemment à un certain talent d'organisateur car avant toute chose il convient de rêver l'aventure que l'on mène. Cette phrase de Camus : « Pour parler de tous et à tous, il faut parler de ce que tous connaissent  et de la réalité qui nous est commune. La mer, les pluies, le besoin, le désir, la lutte contre la mort, voilà ce qui nous réunit tous (…) la réalité du monde est notre commune patrie. » Cette phrase encore de Camus qui ne cesse de me fasciner : « le secret de la vie coïncide avec celui de l'art. »

Enfin, il y a dans le fait de mener une aventure comme celle de La Croix-Rousse un infini besoin d'amour. En donner, parfois en recevoir, mais surtout en donner. Je suis obsédé par l'idée que toute vie n'a de sens que si elle est tournée vers les autres, que si nous faisons don de nous mêmes. Cette phrase encore de Camus : « Les artistes ne méprisent rien, ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. » Comprendre, voilà bien le sens de notre travail, de notre engagement.

Le temps s'est radouci. Il fait doux. Les corps se décrispent. Bientôt l'éveil du printemps. Bientôt la très belle Romane Bohringer. Bientôt le 31 mai, où nous lancerons cette nouvelle étape de notre travail en lançant notre nouvelle saison.

Toujours la joie d'être vivant et la joie d'avoir le désir d'aimer. Toujours s'émerveiller.

Philippe Faure

jeudi 11 février 2010

Une journée ordinaire au Théâtre de la Croix-Rousse

10h30 Réunion de toute l'équipe. Tous les sujets sont abordés, relatifs à la vie du théâtre. J'annonce en particulier que l'une de mes collaboratrices va prendre trois mois de disponibilité pour raison personnelle. Bien sûr le point est fait sur les différents rendez-vous marquants : brunch avec Romane Bohringer, conférence de presse avec Pippo Delbono. Presque tous les spectacles d'ici la fin de saison sont quasi-complets.

Midi
Déjeuner de travail

14h à 17h
-    Dans la grande salle : lecture avec tous les comédiens de Badine de la prochaine pièce que je mettrai en scène la saison prochaine (ils m'ont fait ce plaisir de lire pour le fun).
-    Dans la salle de réunion: rendez-vous entre les relations publiques et le consul de Madagascar pour préparer la venue des Cauchemars du gecko créé cet été en Avignon. Spectacle décapant.
-    Dans les loges : un groupe d'étudiants de théâtre découvre l'univers des costumes. Nadine Chabannier, notre costumière, a préparé la rencontre avec beaucoup de soin et de détails. Elle explique en compagnie d'Alain Batifoulier, le décorateur, comment l'univers esthétique d'un spectacle se rêve puis se réalise.
-    Dans le studio : les techniciens préparent l'accueil d'un prochain spectacle.
-    Deux personnes de l'équipe (dont la responsable de la communication) partent à Paris découvrir un spectacle que nous allons accueillir.
-    Evidemment la billetterie est en plein travail. Les représentations de Badine affichent complet (nous vendons les marches).
-    L'équipe administrative est surchargée de travail (outre les 150 à 200 fiches de paye chaque mois) il faut préparer la clôture des comptes et organiser un comité de suivi pour la semaine prochaine (Ville, Etat, Région, Conseil Général) fondamental pour l'avenir du Théâtre.
-    Le travail pour vendre notre prochaine création en tournée commence.
-    Le téléphone sonne un peu partout.

19h
Les comédiens de Badine arrivent.

Représentation à 20h. C'est au fond assez impressionnant et assez grisant de sentir ainsi une maison au travail. Chacun est concentré sur sa tâche et en même temps le dialogue est permanent. De furtives réunions s'improvisent entre deux portes. Des décisions qui trainaient jusque là soudain se prennent instantanément. Tout semble virtuel et pourtant rien n'est plus concret. Des classeurs entiers sont à signer mais cela n'empêche pas d'évoquer Jean Louis Trintignant ou Stephan Zweig. Se construit ainsi chaque jour, avec soin et force, énergie et imagination, le rassemblement de tant de gens et de désirs. Depardieu dans une interview géniale disait : « Je suis l'homme des gens ! » La formule est magnifique et je la fais mienne.

Dans l'après-midi, dialogue au téléphone avec Jean Jacques Queyranne, Président du conseil régional de Rhône Alpes (un vrai ami), avec Romane Bohringer (qu'elle est tendre). Je reçois un magnifique texto de Guillaume Gallienne dont tout le monde parle aujourd'hui et qui cartonne à Paris à l'Athénée avec son spectacle que nous avons accueilli il y a quelques semaines. Il me remercie entre autre pour dit-il ma "fabuleuse équipe". Beaucoup de mails aussi.

Ici est une maison amie, chacun peut y dialoguer avec tous mes collaborateurs de manière libre et confiante. Chacun ici est disponible à tout moment. Nous travaillons pour l'avenir de nos consciences, rêvant, imaginant, désirant, créant, surtout construisant. J'ai le sentiment que nous sommes une équipe de bâtisseurs. Nos constructions sont fragiles, éphémères, mais pourtant elles prennent corps. Comme j'aime ce mot, le corps. Je l'ai employé sous toutes les coutures (si j'ose dire), dans tous mes écrits (et dans tous mes actes?).

Cette phrase de Musset : « Comment me laisse-t-on ici si longtemps ? J'ai besoin de voir une femme, j'ai besoin d'un joli pied et d'une taille fine : j'ai besoin d'aimer. »
J'ai besoin à mon tour que la vie soit un corps à étreindre, ou plutôt j'ai besoin du corps de la vie.

22h Fin de la représentation de Badine. Triomphe osons le dire. Je n'ai pas regardé le spectacle ce soir mais pas mal téléphoné. En particulier les communications personnelles impossibles à passer dans la journée.

Retour chez moi vers 23 heures. Mille choses dans la tête qui se mélangent. Tant de désirs ! Aurai-je le temps de tout faire ?

Demain, journée au vu de l'agenda très chargée. Ca promet ! Aujourd'hui n'était qu'une journée ordinaire.

Philippe Faure


PS : Coup de fil de Christophe (Aline, Les marionnettes, Les mots bleus) qui souhaite revenir chanter chez nous la saison prochaine. C'est pas beau la vie ?

vendredi 5 février 2010

définition

On peut très bien répondre par oui à une question qui n'est pas posée.
(Magnifique définition de l'Amour par Charles Juliet dans Lambeaux.)

Philippe Faure

jeudi 4 février 2010

Anne de Boissy et Charles Juliet : un couple infernal

Sur mon bureau au théâtre, beaucoup de livres ouverts que je lis par intermittence :
• Vincent Van Gogh, Lettres à son frère Théo
• Albert Cohen, Le livre de ma mère
• Laurent Seksik, Les derniers jours de Stefan Zweig
• Henri Pena – Ruiz, Un poète en politique. Les combats de Victor Hugo.
• Charles Baudelaire, Cent poèmes de Baudelaire
• Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne
• René Char, Lettera amorosa
• Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon

Tous à leur manière tentent d'appréhender le réel, comme s'il fallait absolument dépasser le réel pour découvrir "l'inconnu". Car seul l'inconnu "vaut la peine". Dans beaucoup de cas c'est la mort qui pour eux définit le mieux cet inconnu. Mais étrangement, le chemin jusque là est définitivement poétique. Esthétique pourrions nous dire. Et cette esthétique est la définition même de l'art de chacun. J'adore avoir à ma portée tous ces visionnaires qui toujours créent du désir, du vertige, une certaine fascination. Sans l'art nous ne sommes rien. Rien d'autre que "d'ordinaires consommateurs". L'art nous donne la mesure de notre (nos) responsabilités. S'élever. Elever notre esprit. Ne pas le réduire à la facilité de ce que nous sommes. Mon Dieu, que de progrès avons nous à faire, ai-je à faire ?... En rentrant chez moi dans la soirée, d'autres livres m'attendent. En particulier une magnifique biographie de Rimbaud.

Ce matin, réunion d'équipe. La prochaine saison est définitivement définie et calée. Elle est particulièrement et artistiquement impressionnante. D'autre part dans sa forme elle est assez radicale. Changement de cap pourrions nous prétendre. Mais de tout cela j'aurais le temps de reparler plus tard. Nous ne sommes qu'à la moitié de la saison en cours. Tant de rendez-vous nous attendent encore d'ici le mois de juin.

Hier au soir, vu AVATAR en douce compagnie. Adoré ce film. Incroyable génie que ce James Cameron. Ce système 3D si impressionnant. Et puis, contrairement à ce que j'entends ici et là, le fond est égal à la forme. Du grand Art. Du jamais vu.
J'ai ouvert avec notre conseil juridique le chantier des heures supplémentaires. D'abord, d'un point de vue technique. Et dans quelques semaines, nous l'aborderons concrètement avec les salariés. Vaste chantier auquel je tiens beaucoup. Là encore, nous y reviendrons.

Fou, vertigineux même le nombre de propositions de spectacles que nous recevons. Est-ce bon signe ? Sûrement pas car tant de propositions ne semblent pas "venir de l'intérieur". Nous essayons de répondre à presque tous dans la mesure du possible. Ils est urgent que nos maisons se reconcentrent sur "l'essentiel". On en reparle ou plutôt on le fait.

Vu Lambeaux de Charles Juliet dans la petite salle de La Croix-Rousse. Je connais bien Charles Juliet à qui j'avais commandé une pièce il y a quelques années, et que finalement je ne "sentais" pas de mettre en scène. C'est Planchon qui s'y colla et le résultat global fut assez décevant. Depuis je n'ai pas revu Charles Juliet. Or c'est un homme pour qui j'ai beaucoup d'estime. Il m'est arrivé d'avoir de longues conversations avec lui. Son rapport au silence et à l'écriture est fascinant. Son rapport à l'enfance aussi. Terrible même. Lambeaux est le portrait de sa mère. Son écriture classique détaille scrupuleusement la réalité de sa vie et son effondrement intérieur. Pas de lyrisme, ni d'envolée. Une sorte de carnet de route vers la folie ; l'abandon. Anne de Boissy donne vie à ces paroles avec soin et élégance. Le déchirement vient peu à peu, pas à pas, mot après mot. Jusqu'à la rage finale. Lambeaux est un moment de théâtre d'une pureté infinie, et chaque soir devant des salles pleines, le public est bouleversé.

Ce matin le soleil est là donc tout est possible !

« Celui (...) qui comprend sans effort, le langage des fleurs et des choses muettes.»
Charles Baudelaire

Philippe Faure

lundi 1 février 2010

Le froid tue les microbes

Dernière représentation du Malade au Théâtre National de Nice. L'accueil toute la semaine fut extraordinaire. Le public de la dernière (plus de 1000 personnes) n'avait pas envie de nous laisser partir, et les applaudissements me firent penser à une mer démontée. Un peu dantesques !
Ce Malade imaginaire qui "nous tient au corps" (expression Moliéresque dans Le Malade) depuis presque cinq ans est porté par une énergie peu commune, toute la troupe est au diapason. Le grand mot est lâché : c'est d'abord "une affaire" de troupe. Ici, non seulement l'union fait la force mais chacun est complice de l'autre, et de l'œuvre ; et du coup l'œuvre se nourrit d'une énergie vitale. Et puis, il y a Argan, que j'ai l'honneur (la chance) de prendre à mon compte. Et je réalise que chaque grand rôle n'est pas seulement un personnage : c'est un territoire. Et ce territoire, chaque soir, il reste à l'explorer. Il est infini. Selon l'humeur, l'exploration est sombre ou joyeuse, innocente ou cynique, lasse ou énergique. Un rôle comme celui-là peut rendre fou, pour peu que l'on s'y abandonne (ce que je fais). Et sincèrement, parfois j'ai le sentiment que cet Argan, à qui je donne vie depuis plus de 200 fois, va me rendre fou. À moins qu'il ne me sauve de moi-même ! (N'est-ce pas la même chose ?)

A Nice, j'ai appris (réappris) à être heureux du soleil. Je l'ai aimé ce soleil Niçois. Peut-être a-t-il ensoleillé ma vie, après des mois très sombres où aucun mépris, aucune trahison, aucun mensonge ne me fut épargné. Mais ne revenons pas sur ces dernières années de ma vie où l'amour m'a aveuglé. Je n'ai pas vu que la personne qui était en face de moi ne cherchait qu'une chose : se débarrasser de moi !
Dieu soit loué, je me suis enfui avant d'y laisser ma peau. J'ai promis à mes filles que j'allais les emmener au soleil à la prochaine occasion. Cela dit, elles sont mon soleil. Marie, la plus grande, m'avoue au téléphone : « Je n'aime pas quand tu es loin, je suis inquiète. » Je la rassure. Elle conclut : « Vivement que tu sois là ! »
"L'autre" me criait : « J'en ai marre de t'avoir dans mes pattes, tu me pollues la vie ! »
Sans commentaire. Sans amour évidemment.

En tournée, les journées sont étranges : on est dans la vie, sans franchement y être. Tout est réglé en rapport de la représentation du soir. Bien sûr, il y a les lectures, du travail aussi, de l'écriture, du téléphone, tout cela mélangé dans l'intimité de la chambre d'hôtel. Les choses se font dans le désordre. Soudain la douche surgit n'importe quand, comme impérieuse. Soudain aussi le désir fulgurant de voir la mer vous saisit. Mais vite, le retour à la chambre d'hôtel s'impose. Le corps toute la journée est las. C'est peu à peu, quand arrive la proximité de la représentation, qu'il se défatigue, qu'il redevient disponible à l'effort. Car jouer Argan demande un effort physique assez violent. Si l'on songe qu'Argan est un malade épuisé, on se dit que le théâtre n'a pas peur de manier les contradictions et d'imposer aux acteurs d'invraisemblables basculements du corps et de l'esprit.

Au fond, en tournée, chaque jour l'acteur attend le moment où il ne va plus s'appartenir, où il n'aura plus aucun contrôle sur lui-même, où peut-être, où sans doute, il éprouvera ce sentiment de liberté aussi éphémère qu'il sera violent.
Bien sûr après la représentation en début de nuit, il y a la télévision. Elle aide "à faire retomber la pression". Et là, dans la semaine je suis quasiment tombé amoureux de deux présentatrices et d'une chanteuse.
D'abord Alessandra Sublet sur la cinq qui anime une émission dont le titre doit être "c à vous" (c'étaient des rediffusions). Un sourire éclatant. Une limpidité dans le visage. Une tendresse infinie. Grande et belle. Eclairante ! A recommander en cas de panne d'énergie et de confiance.
Autre présentatrice sur i>Télé du Soir 3. La plus belle, la plus pulpeuse et si intelligente, avec une distance parfaite sur les choses et les événements, c'est Audrey Pulvar. Vraiment c'est une femme dont beaucoup doivent rêver. Mais en même temps il doit y avoir la peur de ne pas être à la hauteur d'une femme aussi complète. A recommander tous les soirs ! (Malheureusement, je n'ai pas la TNT donc pas i>Télé… il faudra que j'attende la prochaine tournée pour la retrouver)
Enfin, vu Emmanuelle Seigner qui sort un nouveau disque. Elle parle admirablement de son mari (Roman Polanski, 72 ans). Elle doit avoir une petite quarantaine. Elle dit qu'elle est un garçon manqué. Un comble ! Il n'y a pas plus sensuelle, plus mystérieuse, plus désirable qu'elle !
Je ne sais pas si la femme est l'avenir de l'homme comme dit Aragon, en tous cas ces trois femmes donnent de "la femme" justement une très haute idée.

Lors de ma dernière réunion avec les délégués du personnel, j'ai évoqué la notion de mérite pour les salariés. J'ai eu un peu l'impression de briser un tabou dans une entreprise comme la nôtre où les salariés sont solidaires les uns des autres, et pourtant je suis très attaché à cette notion de mérite. Chacun n'est pas égal dans son investissement dans le travail, dans son travail.
J'ai moi-même terriblement donné de ma personne pour mériter aujourd'hui de diriger un théâtre et d'avoir les moyens suffisants pour créer des spectacles. Qu'est-ce que le mérite ? (mot sarkozyste autant que je me souvienne). C'est sans doute quand l'intérêt général guide seul les actes que l'on accomplit. Mais au-delà de l'intérêt général, c'est quand on est conscient de sa responsabilité à défendre un idéal. Et cette défense doit pouvoir s'accomplir même quand la situation est difficile. Mériter de faire partie d'une aventure d'une équipe, cela implique une rigueur intellectuelle. Un engagement quotidien. Je ne sais si cela est de bon ton, mais j'aime à pouvoir reconnaître pour chaque salarié son mérite. Si par malheur, cela n'est pas le cas, je suis le plus malheureux des directeurs. C'est pour cela sans doute que je défends mordicus les promotions internes, les formations de tous ordres, les tête à tête impromptus, les réunions de service et d'équipe. C'est que mon rôle est d'aider à construire le mérite de chacun.

Cette très belle parabole indienne : « Pour peu qu'un oiseau puisse chanter, il faut qu'un autre le regarde ».

Une actrice magnifique : Marina Hands. Je l'ai croisée une fois. Elle m'avait beaucoup impressionné. Elle joue actuellement dans le film de Marc Dugain : Une exécution ordinaire. Malheureusement, j'ai tellement de "films à voir" en retard que celui-ci n'échappera pas à la règle qui veut que je n'aille plus au cinéma qu'avec mes deux amours de filles !

Je lis dans tous les éditoriaux que l'affaire Clearstream est une "affaire d'Etat". Quand on pense à tout ce peuple qui ici en France vit sous le seuil de pauvreté, on se dit que Villepin et Sarkozy devraient mourir de honte. Mettre autant d'énergie dans la haine, alors que tant de gens ne parviennent plus ni à se chauffer ni à se nourrir, que chaque jour la pauvreté gagne du terrain, c'est nous qui allons mourir de honte si nous ne nous révoltons pas une fois pour toute. Cette phrase de Dany Laferrière, écrivain haïtien : « Ce qui a sauvé cette ville, c'est l'énergie des pauvres. Sans eux, Port-au-Prince serait restée une ville morte. » C'est un comble ! Bientôt ça va être aux pauvres de sauver le monde…

Je l'ai déjà dit précédemment mais lorsque je vois le comportement exemplaire, digne et rieur de ma petite haïtienne préférée, Marline, je me dis que décidément les enfants nous renvoient nous-mêmes pauvres adultes à nos mesquineries et égoïsmes habituels. Ce matin, on me dit qu'un directeur de théâtre lyonnais, visiblement mal dans sa peau, tient de méchants propos à mon égard. Bien sûr tout cela ne me touche plus. Tout de même, n'y a-t-il pas mieux à faire ? D'autant que ce directeur-là tient des propos de fraternité, d'honnêteté, etc… en un mot de service public. Ainsi va la vie… Pas toujours très élégante ; à nous de lui donner un peu d'air frais (pour ça, on est servi… il fait moins 3° ce matin à Lyon !). Et comme dirait l'autre : « Le froid tue les microbes. »

Philippe Faure