mercredi 10 mars 2010

Hier au soir, très belle première du spectacle Labiche avec la tendre Romane Bohringer.

La première pièce 29 degrés à l'ombre ressemble à un dessin de Sempé. J'avoue être très sensible à cet humour presque plat, où rien n'avance ni ne recule, où le moindre événement révèle dans le même mouvement son impuissance. C'est petit, étriqué et vain, donc drôle et cruel, et sans pitié pour la nature humaine.


La seconde pièce, Embrassons-nous, Folleville ! est une sorte de fantasmagorie (très réussie visuellement). Romane y donne toute sa fantaisie, toute sa malice, toute son énergie. Le moment où tous les vases se brisent et où la porcelaine éclate sur le sol me semble bien résumer la folie de Labiche.

Il me semble que le public, par ces froidures d'hiver, s'est réchauffé au contact de cet univers si particulier où tout est tenté mais où tout tombe à l'eau, et où chacun se noie dans le ridicule. Mais c'est ce ridicule-là qui crée une sorte de fraternité pour ce que nous sommes, si petits et si lâches.

Je ne résiste pas à citer les deux deniers couplets du spectacle (car il y a beaucoup de chansons dans Embrassons-nous, Folleville !, chansons chantées d'une manière assez délirante).
Voici donc les deux derniers couplets :
"Là, sans faute,
Au cou je vous saute
Et je dis à chacun de vous :
Embrassons-nous !

Qu'on enterre
Toute colère ;
Plus de débats, plus de courroux !
Embrassons-nous !
Embrassons-nous !
Embrassons-nous !"


Voilà qui est dit. Venez tous vous embrasser à La Croix-Rousse sous le ciel vengeur de Labiche.

Philippe Faure

PS : Il me semble que Pierre Pradinas a monté Labiche comme Labiche doit être monté, sans parti-pris qui éloignerait les pièces de ce qu'elles sont : un regard neutre sur la condition humaine et c'est cette neutralité qui laisse voir toutes nos maladresses et nos tentatives avortées.

mardi 9 mars 2010

Brunch ce matin avec Romane

On vote tous Jean Jacques Queyranne dimanche prochain !

Ce lundi soir au Transbordeur, meeting de soutien à Jean Jacques Queyranne avant le premier tour des élections régionales. Un monde fou.

D'abord, discours de Gérard Collomb. Discours opiniâtre sur la nécessité pour les villes, et en particulier pour Lyon de travailler avec la Région. Sans la Région, aucune grande politique d'investissement n'est possible (université, transports, recherche, Culture…). Ensuite, et à la fin, discours de Jean Jacques Queyranne. L'homme est fin, subtil, avec une vraie hauteur de vue. Il était particulièrement détendu. C'est un président au-delà de tout soupçon.

L'un et l'autre sont mes amis. J'ai toujours pu compter sur leur fidélité en toutes circonstances. Je les ai toujours soutenus. Jamais nous ne nous sommes manqués, encore moins trahis. J'étais là lors de la première élection de Jean Jacques Queyranne à la Région Rhône-Alpes (et nous étions très peu d'artistes cette fois-là) et évidemment j'étais là lors des deux élections de Gérard Collomb à la Mairie de Lyon. Aujourd'hui je suis là pour la seconde élection de Jean Jacques Queyranne à la tête de la Région Rhône-Alpes.

Entre les deux interventions, Ariane Mnouchkine est apparue. C'est fou ce poids d'humanité qu'elle porte en elle (sur elle). Depuis trente ans que je fais du théâtre, j'ai l'impression qu'elle n'a pas changé. Elle est une sorte de présence lourde de conséquences. Avec elle, il n'y a pas de triche possible, pas d'arrangement possible. Le seul possible pour elle c'est d'être au service des autres. J'ai retenu une belle idée dans son intervention : l'idée que "l'imagination n'est pas une évasion, mais au contraire le meilleur moyen de comprendre l'humanité".

Enfin, et là j'avoue que l'émotion m'a submergée, est apparu sur scène Robert Badinter. Comment dire ? L'homme (plus de 80 ans) a une silhouette incroyablement jeune. Un visage lisse, peu de rides apparentes. Mais surtout, ce qu'il a, c'est ce sourire un peu de biais, quasi carnassier, au charme inouï ; sourire qui s'accompagne systématiquement d'une sorte de clignement d'œil. Cela crée aussitôt une complicité qui se mélange à une certaine gravité. Chaque mot prononcé semble définitif. Evidemment au cours de son intervention j'ai retrouvé les accents de son discours à l'Assemblée Nationale lorsqu'il a défendu l'abolition de la peine de mort. De quoi a-t'il parlé Robert Badinter hier au Transbordeur? D'égalité. De fraternité (mot magique apparu pendant la Révolution a-t il précisé). D'exigence morale. De dignité humaine. De laïcité… Et tout cela sur le ton presque de la confidence, avec quelques fois des accents de tribun. L'homme nous inonde de sa hauteur d'esprit. Soudain je me suis senti ridiculement petit et en même temps il nous insuffle un souffle nouveau. On se sentirait presque héroïque. Il y a très longtemps que je n'avais pas ressenti une émotion pareille. Je crois que nous étions tous fiers d'être là et émus jusqu'aux larmes. Inoubliable que cette rencontre avec Robert Badinter. Et puis enfin, abolir la peine de mort cela reste une des grandes dates de notre histoire du XXème siècle.

La soirée était présentée par Nadjet Belkacem. Magnifique dans un jean pour le moins moulant et donc particulièrement sensuelle, petit corsage blanc et petite veste serrée noire. Très belle Nadjet Belkacem. Il y eut beaucoup d'autres choses dans cette soirée. Mais il m'a semblé qu'en tous cas, hier au soir, la politique "était à son meilleur", qu'il y avait là une vraie vision du monde à travers la Région, que toutes ces personnalités dégageaient une véritable honnêteté intellectuelle. C'était beau.

Aujourd'hui, brunch avec notre chère Romane Bohringer. Ce soir, première du spectacle de Labiche mis en scène par Pierre Pradinas. Cela s'annonce sous les meilleurs auspices.

Il n'empêche, marre du froid ! Mais quand on voit ce qui s'est passé ces derniers jours au Niger où des femmes et des enfants furent lâchement massacrés, on se dit que le froid n'est rien. Peut-être même est-il beaucoup puisque par voie de conséquence il peut nous donner envie de se blottir les uns contre les autres. Toujours ce "blottissement" dont j'ai si souvent parlé dans ce blog et qui décidément serait presque le sens de ma vie.

Philippe Faure


PS : dirigeant un théâtre de service public, peut-être certains penseront-ils que je devrais m'abstenir à un devoir de réserve. Mais comme l'a dit Robert Badinter hier au soir pour expliquer sa présence à Lyon, il y a parfois des situations où l'amitié, la fidélité et une certaine idée du vivre ensemble (vérifiées sur le terrain) font que l'engagement est une évidence. Un devoir.

mercredi 3 mars 2010

Pour Romane


On ne peut rien faire d'autre que de tomber amoureux de Romane. Elle est une femme étonnée, suave, si proche, capable d'emportements, de fraternité immédiate. Elle sourit un peu mystérieusement comme malicieuse et complice. Elle ne fuit jamais la compagnie des êtres humains. Au contraire, on dirait qu'elle cherche toujours instinctivement sa place près d'eux.

Romane est une femme familière et en même temps elle a quelque chose d'à part. Elle est d'une fidélité absolue. Elle sait où est son chemin. Elle n'hésite pas. Elle est porteuse d'une gratitude généralisée. Il y a chez elle comme un sentiment de pureté.

Elle est la fille à son père. Ce rôle là, elle ne le laisse à personne. Toujours et encore cette idée d'occuper sa place, seulement sa place. Ne jamais prendre celle des autres. Éloigner d'elle tout sentiment de frustration.

La voilà mère. C'est ça, c'est une femme à réhabiliter ces deux mots de la langue française : "père" et "mère". Pour cela qu'elle soit aimée !

Philippe Faure

NB : ce texte a également été rédigé pour le programme de soirée de 29 degrés à l'ombre et Embrassons-nous, Folleville !

mardi 2 mars 2010

L'art du peuple

Nous (vous) voilà déjà aux deux tiers de la saison. J'ai du mal à réaliser et pourtant : Lambeaux, Les Garçons et Guillaume à table !, Le Malade imaginaire à la Maison de la Danse, La Vie devant soi, Observer, Woyzeck, Maman j'ai peur dans le noir sont de l'histoire ancienne. C'était hier et pourtant déjà si loin. C'est que le théâtre ne prend corps que le temps de la représentation.  Immédiatement après, il s'évanouit dans nos mémoires. Car le théâtre est ainsi : son souvenir ne nous impose rien. Il flotte ensuite dans notre imaginaire, comme un secret. "J'étais là, ce soir-là!" disons nous.

Le temps qui passe n'abime jamais notre souvenir de théâtre, bien au contraire, il lui donne une respiration particulière. Je me souviens de Myriam Boyer qui soudain ôte la perruque de Madame Rosa pendant les applaudissements. De Guillaume Gallienne dont on eût dit qu'il était inarrêtable, si possédé par le jeu. De l'incroyable alchimie de Bruno Meyssat à nous donner à revivre la tragédie d'Hiroshima. Du Malade imaginaire avec les costumes de ville, chatoyants comme aux plus belles heures de la folie d'Alain Batifoulier, le décorateur.

Je me souviens de tout, et pourtant tel que j'écris, avant même que la saison ne s'achève, je suis mobilisé et toute l'équipe avec moi sur notre prochaine saison. Mobilisé est le mot qui convient, car nous allons bousculer les habitudes, réaffirmer des nécessités, réinvestir notre propre idée du théâtre. Bien sûr, les spectacles proposés seront particulièrement "emballants" par leur exigence et leur spécificité. Ils le seront peut-être comme ils l'ont rarement été. Tant de grands metteurs en scène, d'œuvres majeures, de présences rares, de retrouvailles inattendues, d'inventivité nous accompagnerons. Notre mobilisation vient de ce que diriger, animer une maison de théâtre dans cette société qui souffre, où tant d'injustices gagnent du terrain, où tant de solitudes s'ajoutent, ne peut être un acte innocent. Depuis deux ans déjà avec nos "semaines des vêtements chauds", nous cherchons à nous rapprocher de la misère sociale et de faire que le théâtre ne soit pas un art orphelin. Mais l'art du peuple.

Mais arrêtons là. De cette mobilisation nous vous dirons tout le 31 mai lors de notre présentation de saison. Ce qui m'émeut et que j'ai envie de vous dire dès aujourd'hui, c'est que je suis conscient de l'immense confiance que vous nous faites. Cela par la force des choses nous donne des responsabilités nouvelles. Décidément, la Croix-Rousse ne sera jamais un lieu de consommation ordinaire. Je veux et rêve qu'il soit une aventure utopique avec sans aucun doute ses limites, ses contradictions et ses empêchements. Ces limites si pratiques pour ne pas agir, en tous cas nous les ferons furieusement reculer, oserai-je dire à la limite de nos forces. Tout à notre désir d'être utiles.

Philippe Faure

NB : ce texte a été écrit pour le programme de soirée qui sera distribué lors des représentations de 29 degrés à l'ombre et Embrassons-nous, Folleville ! du 09 au 27 mars.