vendredi 28 mai 2010

Pas de risque de s'endormir pour la présentation de saison

Jour J-3. Ce lundi 31 mai présentation de la saison à partir de 19h30. Derniers petits détails à régler, mais tout est prêt. Que dire sans dévoiler d'ores et déjà le contenu de la saison ?

Première chose, elle est extrêmement ramassée. Seulement 10 spectacles. J'aurai l'occasion de commenter ce choix radical. Deuxième chose, artistiquement, il me semble que c'est la plus impressionnante que nous ayons eu (sans doute, la réduction de la programmation nous a t-elle aidés à faire des choix essentiels). Troisième chose, ce soir-là, donc ce 31 mai, je m'apprète à tenter un happening qui risque de rester dans les annales (en tout cas dans celles du Théâtre de la Croix-Rousse).
Enfin, je me réjouis, qu'aussi bien dans la forme (dont je viens de parler) que dans le fond, nous engagions cette maison dans une vraie réflexion et dans un vrai pari sur l'avenir. Au fond, quel sens cela a t-il aujourd'hui dans une période de crise qui évidemment touche les plus précaires d'animer un théâtre et de faire entendre la parole des poètes. Comment inscrire une maison comme la nôtre dans une réalité sociale chaque jour plus difficile à vivre. Rassurez-vous, tout cela sera dit sans grand discours mais je l'espère avec fantaisie. Nous vous demandions dans une précédente information de préparer ce soir-là votre plus beau sourire, j'insiste beaucoup sur cette sollicitation. Il convient qu'ensemble nous nous réjouissions.

Je ne résiste pas à vous dire quelques mots d'un spectacle qui vient d'être créé au Théâtre Vidy-Lausanne et qui sera chez nous en octobre. Il s'agit d'un texte de Lydie Salvayre, La Médaille, mis en scène par Zabou Breitman. Il s'agit au sens propre d'une remise de médailles dans une entreprise pour des gens qui partent à la retraite. Le spectacle est irrésistiblement drôle, ce qui n'exclut pas une certaine cruauté. Le début et la fin sont formidables d'inventions. On rit, on est touchés, on a des fois envie de pleurer et à la fin, au sens propre, on fait tous "la chenille". J'ai découvert en Zabou Breitman une fille vraiment formidable, drôle, douce, attentive, formidablement vivante. Enfin, ce soir-là, jeudi dernier, René Gonzalez, qui dirige ce grand théâtre européen et qui a traversé ces derniers temps une sorte de tsunami médical, qui a failli l'emporter, m'annonce que son dernier scanner indique une guérison. Inutile de dire que cette nouvelle nous a tous enflammés. Du coup, entre La Médaille, Zabou Breitman et René Gonzalez, la soirée fut magnifique.

Mais n'allons pas plus loin dans le récit de la prochaine saison. Inutile de vous dire que je vous attends impatiemment avec toute la tendresse dont de suis capable et pour ceux qui ont pris l'habitude de fréquenter cette maison, ils savent que côté tendresse je n'ai pas peur de m'économiser. A lundi donc pour ce moment que nous avons toujours voulu depuis le début festif, fantaisiste, et parfois délirant qu'est la présentation de saison. Hors de question pour nous de prononcer de grands discours, de s'éterniser sur les créations, en gros de s'endormir dans le confort des fauteuils. Nous avons toujours préféré vous transmettre notre joie d'habiter cette maison et de vous faire découvrir des artistes que nous aimons. A lundi !

Philippe Faure

mardi 25 mai 2010

Ma plus belle soirée de théâtre au Théâtre de la Croix Rousse

Récits de juin de Pippo Delbono

Samedi 22 mai à 20h, unique représentation de Pippo Delbono de ses Récits de juin. Toute la salle est debout à la fin. A vue de nez, 10 minutes d'applaudissements ininterrompus. Chacun est sous le coup d'une émotion physique et quasi irréelle. Que s'est-il donc passé pendant l'heure 30 de ces Récits de juin ? D'une manière elliptique et morcelée, Pippo nous raconte l'histoire de sa vie, ses rapports avec sa mère, son grand amour avec son ami qui s'est fracassé contre un mur en scooter. Il nous raconte ses premiers pas au théâtre, plus précisément aux cours de théâtre. Il nous raconte le jour où il apprend qu'il est séropositif. Et il nous raconte sa vie d'homme de théâtre. Enfin, sa rencontre avec Bobó, qu'il a délivré de quarante cinq ans d'asile psychiatrique. Tous ces moments de sa vie sont racontés extrêmement brièvement et systématiquement s'échappent vers les poètes : Artaud, Pasolini.

Tout cela est évidemment bouleversant. Mais ce n'est rien par rapport à ce que Pippo Delbono donne à voir de son corps. Car soudain son corps d'homme légèrement enrobé devient une sorte d'exutoire de la souffrance, de tentatives déchirantes, d'audaces presque chorégraphiques qui pourraient paraître misérables. Pippo est un jouisseur et en même temps son corps est son pire ennemi. Alors, il tente des sortes de reptations infirmes, des gestes invraisemblables de naïveté, des coups de sang et des coups de folie. Il ne danse pas, il essaye d'élever son corps vers une légèreté impossible. Toute la salle est restée stupéfiée par autant d'humilité. Voilà un artiste qui ne fait pas de spectacles mais qui interroge la nature humaine dans ce qu'elle a de magnifique, d'injuste et de mortel. Et lorsqu'à la fin Bobó, dont il nous a parlé, cet être venu de nul part, monte sur la scène en s'appuyant sur sa canne, je crois pouvoir dire que les larmes sont venues à une grande partie des spectateurs.

Ce moment de théâtre est pour moi, depuis que je dirige le Théâtre Croix-Rousse, une des choses les plus essentielles que j'ai vue sur scène. Une des plus bouleversantes. Je crois pouvoir dire qu'à sa manière, Pippo Delbono réinvente douloureusement le théâtre à travers notre pauvre condition d'être humain. Parfois dans le rôle de directeur de théâtre, il arrive qu'on ait des joies inattendues, d'une certaine manière je pourrais dire que ces Récits de juin ont été une joie effrayante et j'aurais voulu dire ce soir-là combien j'ai été ému par le public qui a fait corps avec un artiste non répertorié, non codifié, avec un homme dans toute sa grandeur originelle. Si certains de ces spectateurs lisent ce blog, qu'ils reçoivent toute ma tendresse. Décidément, le théâtre est vraiment l'œuvre des poètes et non des malins et, comme Rimbaud, Pippo Delbono brûle sa vie aux horizons insoupçonnés.

Philippe Faure

lundi 17 mai 2010

Vivement le 31 mai !

Fin de saison emballante. C'est le mot !
Pippo Delbono est dans nos murs pour toute la semaine. Pippo et sa troupe. J'avoue que cet homme et son univers me sidèrent. J'admire profondément son rapport au théâtre. Il me semble que c'est l'aventure théâtrale la plus excitante depuis bien longtemps. Tout y est : le sens du péché, l'insolence, la précarité d'un art, le poétique réduit à sa plus simple expression, une humanité cabossée qui cherche sa place, quelques paroles pasoliniennes, des moments dansés selon des géométries inconnues, une sorte d'enfance ressuscitée, des corps lourds de sens mais aux possibles envols. Une cérémonie particulière, presque secrète et pourtant d'une clarté aveuglante.
Décidément Pippo Delbono réinvente le théâtre. Retour aux sources ? Visionnaire ? Je l'aime comme un frère.

Le programme de saison 2010/2011 est imprimé. Prêt. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je suis très fier du travail accompli. Ce fut l'occasion de réfléchir à une démarche, d'affirmer des engagements, de prendre parti, de réintroduire la notion politique du théâtre, mais aussi de se réjouir des enjeux, de la présence de ceux qui nous accompagneront dans cette nouvelle aventure. L'occasion aussi d'écrire, sorte de journal de bord, de journal intime. Ecrire pour mieux être responsable de ce que l'on fait, de ce que l'on est. Vivement que chacun puisse découvrir ce programme. Encore 15 petits jours de patience.

Très vite Richard Brunel arrive avec un spectacle d'après Feydeau. Heureux que ce soit lui qui termine la saison. Il fut des premières saisons du Théâtre de la Croix-Rousse. Il est là au moment où nous choisissons notre avenir. Il a pris la direction du Centre dramatique national de Valence il y a quelques mois. C'est bien et mérité.

Un dimanche à la campagne. Arrêt au cimetière où sont enterrés ma mère et mon père dans le Beaujolais. Mes filles ne cessent de transporter des seaux et des arrosoirs remplis d'eau. Nettoyage des tombes. J'ai acheté une très belle plante jaune. Le silence d'une tombe est désarmant. Ma mère est morte, elle avait à peine cinquante ans. Mon père plus de 70 ans. Finalement, je ne sais rien de leur relation, je ne sais que les dernières années qui furent compliquées, la maladie déformant tout. Peut-être ont-ils été heureux ? Peut-être se sont-ils manqués ? Ma mère aurait été si heureuse d'aimer mes enfants, de venir à La Croix-Rousse, au théâtre. Elle était faite pour vivre, pour aimer. Je crois que dans ses trois dernières années, elle fut une sainte.

Longues matinées d'écriture ces temps-ci. Avais-je perdu le goût d'écrire ? Peut-être. En tout cas, il est là aujourd'hui entre mes mains et la solitude de la page blanche est un plaisir retrouvé et irremplaçable, même si parfois elle peut être insupportable (la solitude de la page blanche !).

Belle trouvaille pour la présentation de saison du 31 mai. Ca promet un beau moment hallucinatoire.

Philippe Faure

mardi 4 mai 2010

Dénicher l'Utopie ?

La plaquette de la saison 2010 / 2011 est à l'imprimerie (quel vilain mot que ce mot de plaquette). Dire livret serait plus juste (le mot n'est pas idéal non plus). Nous avons consacré beaucoup d'énergie à rêver, écrire et réaliser ces 76 pages. Sonia Araujo et Gabriel Guedj lui ont apporté un soin infini.

J'ai souhaité qu'elle ne soit pas un document de communication habituel (comme on dit). Mais bien plutôt qu'elle raconte le cheminement de notre réflexion. Faire le point de là où nous en sommes. De là où nous venons, et naturellement de là où nous désirons aller. J'évoque l'idée de refondation. Le mot est lourd de conséquences sans doute. En tout cas, il traduit un vrai besoin de se situer (ou de se resituer).

Nous sortons d'une saison à flux tendu. Presque une trentaine de spectacles, avec d'invraisemblables coups du sort, des urgences de toute nature. Il y eut Observer de Bruno Meyssat, où nous avons invité tous nos abonnés. Acte rarissime dans les maisons de service public. Mais il importait plus que tout que ce spectacle fut vu. Cette approche particulière de la tragédie d'Hiroshima était bouleversante et je crois qu'elle a bouleversé un grand nombre de spectateurs. Meyssat est un pur artisan du théâtre.

Nous avons dû changer les dates de La Vie devant soi avec Myriam Boyer pour cause de tournage du nouveau film de Bertrand Blier. 8 000 personnes pour 8 000 changements de date. Et cela en pleines vacances de Noël. Ce ne fut pas une mince affaire. Nous avons été très touchés pas la confiance de chacun qui a fait tout son possible pour se reporter à une date ultérieure. Le spectacle bouleversa. Myriam Boyer fut infiniment heureuse de son séjour croix-roussien et donna sur scène le meilleur d'elle-même.

Il y eut l'épisode des Cauchemars du gecko où nous dûmes annuler deux représentations. Le camion transportant décor et costumes tomba dans un ravin à la sortie d'Aurillac. La troupe présenta avec les moyens du bord une seule soirée de ce spectacle. Ce fut là encore bouleversant.

Etrangement tous ces accidents de parcours donnèrent à la saison une énergie particulière. Le théâtre est plus fort que les coups du sort. On le croit à terre et le voilà qui se redresse, qui ressurgit, qui nous emporte. Le théâtre ne se résigne jamais.Il n'a peur de rien. Au fond, le théâtre est libre d'être ce qu'il est. Un territoire singulier où tout est possible : raconter le monde, détailler un acte ordinaire, déchirer l'horizon, revendiquer un langage inconnu, prendre parti, rêver au-delà de nos rêves.

Aujourd'hui le théâtre est mal aimé par le pouvoir. Mal aimé parce que jugé inutile ou pire snob, en tout cas négligeable. Comme si le peuple (nous) devions nous contenter de "regarder passer les trains". L'urgence serait de se taire (alors que le théâtre est un lieu de paroles), et quand il fait silence c'est pour mieux dire encore nos peurs et nos rêves.

Ce pouvoir-là n'a pas compris que le peuple avait besoin de se sentir humain et citoyen. Rassemblé sur l'idée que nous ne sommes rien les uns sans les autres. Le théâtre est l'ennemi héréditaire de la solitude (des solitudes). J'avais placé beaucoup d'espoir dans la nomination de Frédéric Mitterrand au poste de ministre de la Culture. J'aimais l'homme et son travail. Malheureusement, il n'a pas su initier une vraie politique de service public. Il a géré la culture à "la petite semaine". Sans doute n'avait-il pas le poids politique suffisant pour sortir du rang et nous montrer le chemin.

Ainsi est-ce à nous, à chaque directeur, à chaque artiste, de prendre les choses en main : d'inventer des formes renouvelées de rassemblement, de déterrer des symboles enfouis depuis si longtemps dans l'indifférence du sommet de l'Etat. Celui-ci remet en question les collectivités territoriales (ville, région, conseil général). Mais heureusement qu'ils sont là : attentifs et courageux. Ils sauvent la Culture autant que faire se peut.

Il n'y a là dans mes propos aucune amertume ni même colère. Il n'y a que le désir de faire, honnêtement, poétiquement et civiquement. Si j'osais, je dirais : "j'en appelle au peuple". Osons.

Et rendez-vous de toute façon le 31 mai pour la présentation de saison. Nous essayerons ce jour-là de dénicher l'utopie.

Philippe Faure