jeudi 3 décembre 2009

L’innocence au théâtre

Dans le passé, j’avais écrit une pièce dont la carrière fut assez miraculeuse : La Caresse. (Je n'étais pas encore à La Croix-Rousse.)
Il n'y a pas si longtemps, j'ai écrit une "suite" si l'on peut dire, un complément d'enquête pourrait-on dire : Les Etreintes. (C'était il y a 8 ou 9 ans.) Autant que je m'en souvienne, le spectacle passa un peu inaperçu. Et pourtant j'adorais ce que nous avions imaginé scénographiquement avec Alain Batifoulier. La troupe d'acteurs était assez formidable. C'étaient de courtes histoires qui se télescopaient. Le spectacle déclinait en toute liberté, intimité et absurdité ; les différents états de l'étreinte. Sans doute un jour reprendrai-je ce spectacle. Le réinventerai-je. À cette époque, j'avais dans l'idée de créer une trilogie : La Caresse, Les Etreintes et les Baisers. Et puis d'autres projets se sont enchainés. Depuis quelques jours j'ai commencé à écrire ce dernier volet de ma "trilogie de l'intime". Je suis donc en "plein baisers" et j'avoue que j'ai sur ce sujet l'imagination fertile.

Hier au soir, première du spectacle de Bruno Meyssat, Observer. Salle pleine (je ne reviens pas sur l'opération que nous avons lancée d'invitations de tous nos abonnés). Cela dit, il est tout à fait admirable et rassurant que plus de 2000 personnes aient réservé leur place en à peine une semaine. Je crois que cet événement fera date dans l'histoire de notre théâtre. Pour en revenir au travail de Bruno Meyssat qui revisite le souvenir d'Hiroshima, c'est tout à fait impressionnant. De quoi s'agit-il? De créer un certain désordre d'objets, de signes, de bruits, d'immobilités, d'errance, d'ombres et de lumières pour que s'invente au fur et à mesure une sorte de paysage fantomatique qui, étrangement, parle à nos sens. Sans que rien ne soit dit. Meyssat est une sorte d'agitateur de fantômes et puis l'homme, s'il est un honnête homme et un artiste obstiné, n'en demeure pas moins un petit garçon aux prises avec ses cauchemars nocturnes. Peut-être attend-il seulement que sa maman le console (évidemment, cette supposition n'engage que moi).

Hier, j'ai visité un appartement juste en face du théâtre. Toutes les fenêtres donnent sur la place Joannès Ambre. Il est en plein sud. Refait à neuf, modeste mais paisible. Pas très grand. Mais cela n'a pas grande importance. J'ai pu expérimenter il y a quelques mois que de vivre dans une grande maison n'impliquait pas que je puisse avoir mon espace vital. D'ailleurs, j'ai passé plus de temps à l'extérieur de la maison plutôt qu'à l'intérieur. Malgré la superficie, je n'avais pas ma place, je n'étais pas à ma place. D'ailleurs, j'avais été prévenu : « Moi, j'ai besoin de toute la place » m'avait-elle dit, et encore cet avertissement : « Impose-toi! ». C'est donc que vivre dans cette maison devait nécessairement être un combat. Pas de place pour les sentiments. Décidément, ce petit appartement en face du théâtre, dans sa modestie, ne peut être qu'un havre de paix.

Journée triste dans l'équipe hier.
L'une de mes collaboratrices avait perdu sa mère dans la nuit précédente.
La mort d'une mère, ou plutôt la disparition d'une mère, est un événement ingérable. Lorsqu'une mère part, c'est toute l'enfance qui s'évanouit.
On reste démuni, stupéfié. Celle-là qui nous a mis au monde nous abandonne à nous-mêmes. Alors, il faut un courage infini pour ne pas se déconstruire mais au contraire pour réaffirmer ce que nous sommes pour tenter de devenir ce que notre mère rêvait que nous soyons. Je me souviens que quelques semaines avant de mourir, ma mère m'avait dit : «Je sais que je pourrai être fière de toi. »
"Que je pourrai" m'a-t-elle dit. C'est donc qu'il allait falloir que je travaille toute ma vie à être moins médiocre que je ne pouvais l'être. Car nous sommes tous ordinaires. Heureusement que nos mères ne doutent jamais de nous. Rien n'est pire que de faire douter une mère de nous-mêmes. Bien sûr toute l'équipe souhaite du courage à notre collaboratrice.

Lu cette définition d'Albert Camus :
« Le théâtre est un art de chair qui donne à des corps vivants le soin de traduire ses leçons, un art en même temps grossier et subtil, une entente exceptionnelle des mouvements, de la voix et des lumières. Mais il est aussi le plus conventionnel des arts tout entier dans cette complicité de l'acteur et du spectateur qui apportent un consentement mutuel et tacite à la même illusion. »
Il ajoute à un moment donné cette phrase magnifique : « Je me retrouve innocent au théâtre. »
Il ajoute encore cette phrase non moins magnifique : « La camaraderie a été l'une des grandes joies de ma vie. »
Conclusion : heureusement que Camus existe !

Philippe Faure

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