dimanche 20 décembre 2009

Entre Molière et le Père Noël


La Neige. La Place Joannès Ambre est blanche. Aujourd'hui, deux représentations de La Vie devant soi, 15 heures et 20 heures. Complet. Le spectacle reçoit un accueil extraordinaire. En arrivant au théâtre, je suis allé saluer les comédiens. Myriam Boyer (qui tourne en ce moment le nouveau film de Bertrand Blier) est épanouie. Sur son visage, un sourire gourmand. Chez elle, la générosité est plus qu'un don, c'est un frémissement. On dira donc qu'elle est une femme frémissante. Le spectacle est chez nous jusqu'au 3 janvier. Il faut absolument partager ce moment de grâce. On se sent tellement plus léger après.

Sans doute est-ce la dernière fois que j'écris sur ce blog avant le début d'année 2010. C'est que le rythme ici est intense. La période est tumultueuse.

Dernier avatar : les costumes et le décor du Malade imaginaire (reprise à partir du 11 janvier 2010 à la Maison de la Danse) attendaient très sagement, rangés dans les Ateliers de la Ville de Lyon, de reprendre du service. Or des travaux nécessaires (remplacement de lourdes portes coupe-feu) se sont révélés catastrophiques. En effet, à l'intérieur de ces lourdes portes, de l'amiante. Celle-ci s'est échappée (aucune précaution n'ayant été prise) et a envahi tous les décors et caisses aux alentours. Sont concernés par ce drame (car c'en est un) l'Opéra de Lyon, le Théâtre des Célestins, le Théâtre de Lyon et La Croix-Rousse. Plus rien n'est utilisable, tout doit être décontaminé (laborieuse opération). Mais avant, la Ville de Lyon doit se retourner contre l'entreprise responsable, qui elle même avait eu recours à un sous-traitant. C'est donc un combat d'assurances qui commence. Toujours est-il que toutes les institutions citées plus haut doivent refaire construire les décors et les costumes des productions en cours et en tournée, dans l'urgence. Ce qui est le cas du Malade imaginaire.

La période des fêtes n'est évidemment guère favorable à ce genre d'exploit. Nous avons tout de même réussi à convaincre un atelier de décor de refaire celui du Malade en une petite dizaine de jours. Par contre, impossible de refaire les costumes (une vingtaine), tous les ateliers envisageables fermant pendant cette période. Après beaucoup d'hésitations (par exemple locations de costumes du siècle de Molière, mais qui évidemment n'auraient pas la folie de ceux dessinés par Alain Batifoulier, annulation pure et simple du spectacle) j'ai décidé que nous jouerions Le Malade en costumes de ville. Le théâtre est un art vivant, il doit s'adapter à toutes les situations. Ce qui compte, c'est la fidélité au texte, l'humeur Molièresque. Evidemment, le public va être extrêmement surpris de ce parti-pris de dernière minute (nous l'informerons en détail dans le programme de salle). Voilà une aventure excitante (indépendante de notre volonté) qui s'offre à nous. Rendez-vous le 11 janvier.

Un chorégraphe, Pierre Deloche (56 ans) vient de se suicider. Je le connaissais de loin, mais il se trouve qu'il était venu voir mon spectacle de début de saison Maman j'ai peur dans le noir (il n'était pas un habitué de notre maison). Plusieurs jours après, il m'avait adressé un drôle de paquet soigneusement enveloppé et ficelé : une boîte d'allumettes familiale sur laquelle il avait écrit des sortes de tags mystérieux et à l'intérieur du coton, et des petits rubans. Ce cadeau était accompagné d'un seul petit mot : "Touché au cœur". J'avais été très surpris par ce signe ma foi assez secret. Je lui avais répondu et témoigné ma tendresse pour ce geste. On me dit qu'il souffrait affreusement de ne pas être reconnu à sa juste place dans le milieu de la danse. Il en va ainsi des artistes. Souvent, ils sont ignorés et plus le temps passe, plus cette ignorance est douloureuse. Car un artiste ne se résigne pas. Il y a dans nos métiers une grande part d'injustice. J'ai envie de dire que dans ces moments-là, il faut rester calme et ne pas perdre confiance. Jamais. L'important est de faire. Même sans moyen, il faut faire ! Pendant 20 ans de ma vie, j'ai fait sans argent et sans soutien. J'ai "fait" contre les autres parfois (ceux qui n'avaient pas envie que j'existe). Cette solitude ne m'a guère déstabilisé. Je suis un roc lorsqu'il s'agit du théâtre. Certes un roc qui doute tout le temps, mais un roc quand même. Sans doute n'ai-je pas eu conscience que ce petit cadeau de Deloche était un signe. J'ai écrit une pièce sur le suicide, Le Petit Silence d'Elisabeth, créée il y a plus de 10 ans au Théâtre National de Strasbourg. J'y racontais justement cette "absence de signe" mise à part un "petit silence". Mais il faut être diablement attentif pour l'interpréter comme un signe qui fait que l'autre est déjà parti dans sa tête.

Vu deux films. Neuilly sa mère et La première étoile. Deux films qui m'ont fait rire et pleurer (surtout le second). Deux films formidablement humains qui décidément donnent envie d'aimer la différence, non seulement de l'aimer mais de la vivre comme une chance.

Vu un long portrait de Michel Bouquet sur la 5 dans la série Empreintes. J'ai eu la chance de passer beaucoup de temps en sa compagnie car j'avais adapté pour lui un roman de Kawabata, Le Maître de Go. Ce fut un gros succès. Lyon, Paris et longue tournée ensuite. J'ai été très proche de lui. Nous marchions dans les rues. Il me tenait par le bras (bras dessus, bras dessous) et me récitait tout Molière, Labiche, Shakespeare, Racine. Il s'était brouillé avec le metteur en scène du spectacle et c'était moi qui avais la responsabilité d'être "l'œil extérieur". Que de souvenirs ensemble. J'adorais, car il m'appelait toujours (de sa voix profonde et enfantine) "mon petit Philippe". Ca me rassurait et m'émerveillait. Pendant la tournée, nous voyagions en car. Lui et sa femme Juliette devant et tous les autres derrière. Il fut un interprète génial chez Chabrol. Lorsque je le recroise, une vraie affection nous jette dans les bras l'un de l'autre. Je dirais que Michel Bouquet est un enfant dantesque (il me fait penser au personnage de Vitrac, Victor ou les enfants au pouvoir). Il est ce Victor qui balance des vérités, comme on tire au pigeon. Méfiance. Bouquet est un guerrier. Mais son génie c'est de le dissimuler dans un dandinement de vieillard (Dandinement que je lui ai volé, puisque je "dandine" tous mes rôles. J'assume complètement ce vol).

Je lis beaucoup d'articles sur l'hospitalisation de Johnny Halliday et je tombe sur un long portrait de sa femme Laeticia. Elle est toute la journée près de lui. Du matin au soir. Il y est dit qu'elle est une amie attentive, épicurienne, une maman très présente, marraine de l'UNICEF. Il y est dit qu'avec Johnny, ils s'aident mutuellement, l'un rassurant l'autre. Qu'elle est patiente. Ils ont adopté deux enfants. Enfin, qu'elle a sauvé Johnny lorsque se tordant de douleur elle l'a emmené immédiatement à l'hôpital. Quelques heures plus tard (3 tout au plus), il eut été mort. Quelqu'un à propos d'elle dit : "c'est une chic fille". Cette définition est magnifique. Elle dit tout de la fidélité, du naturel, de l'intelligence, de la beauté d'une femme. Vivent les chics filles et vive Laeticia.

Certains se moqueront sans doute en lisant ce passage du blog : "Il passe de Laeticia Halliday à Michel Bouquet, de Molière à La première étoile et à Neuilly sa mère, de Myriam Boyer aux chics filles", et sans doute est-ce le cas dans tous les billets que j'écris dans ce blog. Presque toujours mes pensées sont empreintes de tendresse. J'aime tellement ceux qui inspirent de la tendresse. Je ne cesse dans les actes de ma vie de délivrer toute la tendresse qui est en moi. J'aime être tendre. C'est gai et velouté. C'est une empreinte qui frôle, une main qui se pose. C'est l'abandon du moment, la suavité de l'attente. Sans tendresse, nous risquons de mourir à petit feu et quoi de plus con que de mourir.

Enfin, 2009 s'achève. Ce fut une année extrêmement éprouvante (à titre personnel). Mais ne revenons pas sur le passé (immédiat), ça n'a aucun intérêt. Intéressons-nous au jour qui vient à travers un brouillard de neige, à travers les oreillers blancs du Malade imaginaire. Intéressons-nous surtout à ce que nous pouvons faire de bien et prenons les résolutions adéquates. Tant pis pour ceux qui pourraient juger cela naïf. J'aime aussi la naïveté. Elle ne ment pas. Elle n'est pas une menteuse, la naïveté. Elle est la petite sœur de la tendresse.

Chaque fois que j'arrive au Théâtre de la Croix-Rousse, j'admire ce bâtiment. Il est imposant. Finalement, d'une architecture très simple. Aucune sophistication. Au fond, il est dans l'esprit de celui qui a décidé de le faire bâtir. Populaire. Il a été créé pour le peuple. Les canuts, les tisseurs, tous ces petits métiers d'autrefois, écrasés par le progrès et la concurrence internationale. Il est, selon l'expression consacrée, une "maison du peuple". Jour après jour, dans toutes les décisions que je prends, dans tous mes actes, j'essaye de ne pas trahir le peuple (dont ma famille fait partie). J'essaye d'inventer un dialogue entre la maison et lui. Un dialogue qui serait très intime. Pas de discours. Pas de grandes déclarations. Mais le souci d'être à la portée de tous sans faiblir sur la mission : celle de donner à entendre des "plus grands que nous", des qui inventent des horizons, mais ne dédaignent pas le détail de nos vies. Car nos vies sont ainsi : petites. Une fois que l'on a accepté cette réalité, on peut travailler à être utile.

Utile est un mot que j'aime. C'est une chanson de Julien Clerc très belle : « être utile à vivre et à aimer ».

Pourquoi parler de ce Théâtre de la Croix-Rousse aujourd'hui et ainsi? Peut-être pour réaliser que je ne m'habitue pas à le diriger. Chaque jour la même effervescence s'empare de moi. J'ai conscience que ce rôle là de "passeur", "d'interlocuteur", "d'artiste libre" se mérite. Ce n'est pas un dû. Aussi, je m'efforce (parfois à la limite de mes forces) de le mériter ce rôle. Je m'efforce d'être simplement UTILE (à vivre et à aimer).

Reprise à partir du mardi 22 décembre à La Croix-Rousse de La Petite Fille aux allumettes, création qui finit là une belle tournée lors de ce dernier trimestre. Partout où nous avons joué, ce spectacle a obtenu un franc succès. Avec le recul (et les différents raccords que j'ai effectué tout au long de ces derniers mois) c'est vraiment une création dont je suis très fier. Je suis même impressionné par la beauté des images. Grâce soit rendue à Alain Batifoulier (décor et costumes) et David Debrinay (lumières). Certains ont été déroutés par le principe d'adaptation du conte d'Andersen, où au milieu de La Petite Fille aux allumettes s'invitent une vingtaine d'autres contes. Il me semble pourtant que c'est ce qui fait la force du spectacle : proposer l'esthétique littéraire et morale d'Andersen dans une même vision.

À ce propos, tous les soirs après le spectacle, j'occuperai dans le hall le rôle du Père Noël. Au sens propre, avec distribution de papillotes. "Il faut ce qui faut" comme on dit vulgairement. Et puis, j'ai déjà occupé ce rôle du Père Noël lors d'une présentation de saison il y a deux ans. J'interpellais ce jour-là vivement et ironiquement Madame Christine Albanel, ancien ministre de la Culture. D'ailleurs la scène lui avait été rapportée (dénoncée) et son cabinet m'avait téléphoné d'urgence, de peur que ce Père Noël de circonstance et improvisé ne provoqua une crise.
À propos de déguisement, j'ai toujours adoré me travestir souvent dans des postures pas loin du ridicule… J'ai donc été Père Noël, petit rat de l'opéra, trapéziste, clown, et bien d'autres énergumènes. Ca ne fait pas très "service public", d'ailleurs bon nombre de mes camarades se scandalisent d'une telle désinvolture, ironisent et condamnent. Or, et je l'ai souvent dit, écrit et expérimenté, le ridicule est le passage obligé pour toucher à l'âme. L'autre nuit, je regardais un long documentaire sur Charlie Chaplin. Le ridicule de Charlot nous fait basculer, nous spectateurs, dans l'absolue simplicité et fragilité de notre condition (malheureuse) d'être humain.

Ce dimanche, fin d'une très longue journée. Le Maire de Lyon et son épouse sont spectateurs de La Vie devant soi. Je les emmène dans la loge de Myriam Boyer. Elle a soutenu Collomb lors de la dernière élection municipale. Il est question de Clovis Cornillac, de l'OL, du débat sur l'identité nationale…

J'en finis de ce très, très long billet (qui est en fait un feuilleton). Je vous souhaite une bonne santé. C'est quand même le plus important. D'être aimé et vous même de ne pas avoir peur d'aimer. Méfions-nous comme de la peste de nos vilains démons. Soyons neufs et libres. Et promettons-nous d'être fraternels.
C'est donc fraternellement que je vous embrasse. On se retrouve la première semaine de janvier et rendez-vous à la Maison de la Danse avec Argan le 11 janvier.

Philippe Faure


PS : À la suite, le texte que j'ai écrit pour le programme de salle de La Vie devant soi. Il est un juste état des lieux de notre maison de théâtre.


Vous êtes au théâtre de la Croix-Rousse.
Un théâtre très fréquenté (plus de 10 000 abonnés).
Un théâtre qui ose : dernièrement, Woyzeck et Le Cabinet du Dr Narcotique de Büchner et Philippe Vincent.
Un théâtre qui aime admirer la singularité ; ici Myriam Boyer.
Qui tient à ses classiques ; encore et toujours Le Malade imaginaire, mais aussi Racine et la trilogie invraisemblable de Jean-Marc Avocat.
Qui invente son répertoire.
Ici, les reprises de spectacles ne sont pas considérées comme des reprises mais comme des preuves d’amour. Il en va aussi d’On ne badine pas avec l’amour (4e saison).
Souvent des poètes s’y frayent un passage – lumineux – Pippo Delbono, Charles Juliet, Aragon.
Des acteurs, actrices y sont comme chez eux. Ce fut le cas avec Fabrice Luchini, Philippe Noiret, Jean Rochefort, bientôt Romane Bohringer.
Nous ne programmons pas des saisons, nous invitons des personnalités qui nous touchent, qui entrent en fraternité.
Nous sommes conscients de la chance que nous avons : être responsables d’un état d’esprit. Et cet état d’esprit, c’est que chacun se sente accueilli, désiré : public artistes.
Nous n’économisons pas nos élans, nos admirations, nos convictions.
Ici le verbe résonne. D’abord le verbe. Un verbe qui ne fuit pas ses devoirs : dire le monde !
Et puis les acteurs innombrables qui s’engagent dans des projets, des œuvres.
Nous considérons que le théâtre est un artisanat, que chaque acte qui s’y rapporte doit avoir sa vérité, son évidence, parfois même sa gravité.
Car animer un théâtre comme le nôtre n’est pas un acte innocent : c’est croire que tout est possible, qu’ensemble nous aurons la force et le courage d’être un peu moins seuls, un peu moins malheureux. En un mot, d’être vivants.

Philippe Faure

dimanche 13 décembre 2009

Aimons Myriam Boyer

Le public du Théâtre de la Croix-Rousse rencontre Myriam Boyer (clip) from Garage Productions on Vimeo.


À 11 heures du matin ce dimanche, brunch (conférence de presse) autour de Myriam Boyer dans le hall du théâtre. Beaucoup de monde (qui n'a pas cédé à la tentation de la couette). Des journalistes, photographes, télévisions, relais, amis… et une grande partie de l'équipe du théâtre (une petite centaine de personnes!!!). Moment de grâce.

Elle est là Myriam, rayonnante et heureuse. Ses premiers pas sur une vraie scène furent sur notre scène du Théâtre de la Croix-Rousse. Elle avait 17 ans. C'était dans les années 1965/1966. Sa mère était handicapée, son père sans travail et alcoolique. Et ce petit bout de femme nous raconte sa vie, toujours héroïque, jamais facile, en même temps d'une fidélité absolue à tous ceux qu'elle a croisé. Et qu'ils soient célèbres ou inconnus, elle en a croisé des gens.

Elle nous parle de Sautet, Vincent, François, Paul et les autres, de Corneau, Série noire avec Patrick Dewaere, de Chéreau, de Blier, de Gisèle Tavet (aujourd'hui oubliée) de Roger Cornillac (le père de Clovis), de John Berry, de son goût pour le petit peuple, celui qui n'a jamais droit à la parole. Tout ce qu'elle a gagné elle l'a réinvesti dans des films (Le Voyage à Paimpol) dans des pièces de théâtre.

Elle a toujours tout perdu. Elle s'est ruinée à défendre des œuvres qui parlaient d'humanité. Encore Gary, Jean Seberg, Montand, Piccoli, Reggiani, etc. Et pourtant, elle est là vibrante, modeste, chaleureuse. Toutes les personnes présentes sont sous le charme. Elle est d'une dignité et d'une délicatesse inouïes. Elle ne s'en prend jamais aux autres. Elle assume ce qu'elle est avec la tendresse de ceux qui au départ avaient tout contre eux.

Elle nous parle de son fils célèbre avec une fierté toute simple, de son autre fils metteur en scène, directeur de compagnie, moins célèbre, avec le même enthousiasme.

J'ai été profondément heureux de dialoguer avec elle, de l'interroger, de la découvrir. Toute entière tournée vers les autres, vers une sorte de rigueur morale. Je me suis dit que c'était une chance qu'elle soit dans nos murs jusqu'au 3 janvier.

Elle avoue son âge : 61 ans. Et pourtant elle a l'énergie d'une jeune fille de 20 ans. Elle aime la vie et elle nous donne envie de prendre nous aussi la vie à bras le corps. Sacrée bonne femme ! (pour reprendre un titre de Chabrol).

Quant au spectacle La Vie devant soi, c'est un formidable moment de théâtre. Les trois comédiens qui l'entourent sont épatants. Elle est poignante, drôle, impressionnante, totalement investie dans le rôle de Madame Rosa. L'émotion est toujours là (j'ai pleuré à la fin, je l'avoue). Le texte de Romain Gary est gourmand, percutant, d'une innocence maline. Et puis en ces temps de débat sur l'identité nationale, quelle leçon de tolérance de fraternité. Génial.

Enfin, cette réplique (parmi les centaines d'autres qui percutent) " Les choses et les gens sont sans valeur. Sauf s'ils sont aimés! " Dieu que c'est vrai. Et le spectacle finit sur ces mots "Aimons."
J'ai envie de dire : "putain, je fais que ça que d'aimer"…
Merci Myriam Boyer d'être ce que tu es.

Les deux représentations de ce dimanche à 15h et 20h étaient pleines à craquer, ce fut un triomphe à chaque fois. Ça promet pour la suite !

Philippe Faure

vendredi 11 décembre 2009

Bon anniversaire

Aujourd'hui, drôle d'anniversaire. Il y a un an, je signais un bail pour habiter dans une grande maison et recomposer une famille.

Un an plus tard, le bilan est assez navrant : 2 opérations médicales, trois transfusions sanguines, un test HIV, et sur l'année écoulée, environ 6 mois hors de la maison. Des insultes comme s'il en pleuvait. Insultes qui se résument sous le vocable de "Pauvre type".

Le jour où nous avons visité la maison elle déjeunait avec un type rencontré sur Internet. Et quelques semaines auparavant, elle couchait avec un homme qui l'a rendue folle. Un vététiste/éducateur (oui ça existe et pour elle c'est même le summum).

Depuis, elle est toute seule dans cette grande maison, heureuse car elle a besoin de toute la place pour vivre (le plus souvent, j'étais à l'extérieur de la maison pour ne pas la déranger). Elle m'avait prévenu : " je ne suis pas une fille sympa ". Je n'ai pas voulu l'écouter. J'étais dans les sentiments. Elle m'a répété que mes maladies " la gonflait ", qu'elle n'avait pas à assumer une quelconque responsabilité.

Je pense qu'elle surfe sur Internet pour trouver celui qui conviendra le mieux à ses exigences. Elle m'a dit qu'elle voulait s'amuser. Je pense donc qu'elle s'amuse.

Même son père s'y est mis, me traitant de "clampin", sa mère de "rien du tout". En conclusion, je n'étais pas le bienvenu dans cette famille exemplaire. Pourtant, elle m'avait répété que je leur polluais la vie.

Aujourd'hui, je suis heureux de les avoir débarrassés d'un "boulet". Avec le recul, tout cela serait comique si je n'avais pas failli y laisser ma peau. Mais comme elle dirait dans ce cas là : " Ce n'est pas mon problème que tu sois mort, ce que je veux c'est m'amuser. "

Bon anniversaire!

Philippe Faure

PS : Elle m'avait avoué qu'elle ne pourrait jamais aimer les enfants d'un autre.
Là-dessus elle avait entièrement raison. Elle n'aima pas mes filles.

Conclusion : Musset et Marivaux demeurent salvateurs. Ils nous entrainent dans les conflits amoureux avec élégance et fragilité. Et bizarrement, c'est jouissif.Marre, marre de la méchanceté, vive la lumière de l'esprit et du cœur.

Et pour finir, cette phrase qu'elle prononça à maintes reprises : "Je ne suis pas une fille qui s'excuse". Voilà qui est dit!

mardi 8 décembre 2009

Un bloc de tendresse et un feu d'artifice

Samedi soir, dernière représentation d'Observer, le travail de Bruno Meyssat. Personnellement cette mise en théâtre de la tragédie d'Hiroshima m'a laissé sans voix. Bouleversant dans la précarité de cette mise en abîme. Notre public a répondu présent (au-delà de toute attente) à notre invitation. Décidément Bruno Meyssat est un honnête homme et un artiste obstiné et il est juste qu'un grand nombre de spectateurs aient pu découvrir son univers. En arrivant ce lundi matin au théâtre, j'ai eu la surprise qu'il m'ait offert un sublime livre sur UKIYO-E (images du monde flottant). Il s'agit d'un courant artistique japonais qui naquit pendant la période prospère de l'Edo (1615-1868).

Samedi soir encore, une rencontre avec Cathy Bouvard, spectatrice engagée d'Observer. Cathy Bouvard est aujourd'hui co-directrice des Subsistances avec Guy Walter. Nous avons travaillé ensemble pendant un peu plus de cinq ans aux débuts du Théâtre de la Croix-Rousse. Notre séparation fut extrêmement douloureuse, et il a fallu beaucoup de temps pour que nous retrouvions notre calme l'un envers l'autre. Elle a eu un rôle essentiel dans l'aventure de cette maison. Elle occupait en fait le poste de secrétaire générale et surtout je lui avais délégué le choix des spectacles. Je crois être à l'origine de notre séparation. Sans doute, traversai-je à cette époque une période de grand tumulte et au fond notre complicité, notre intimité, m'étaient devenues douloureuses. Peut-être n'étais-je pas à ce moment-là en capacité d'assumer un tel partage des responsabilités. Toujours est-il qu'il y a entre nous deux une vraie estime, une grande fidélité, une affection jamais démentie. Et si, pour une raison ou pour une autre, il fallait rêver à un successeur à la direction de cette maison, c'est sans aucun doute vers elle qu'il faudrait se retourner, elle que j'appellerais. Oui, il y a l'un envers l'autre une considération définitive. Peut-être parce que nous savons l'un et l'autre ce que nous nous devons et que non seulement nous l'assumons, mais nous sommes très fiers d'avoir travaillé ensemble. Qui plus est, je crois que toute l'équipe ici partage cette fidélité à Cathy Bouvard et sa reconnaissance.


Je lis cette réflexion fondamentale de Michel Serres (magnifique philosophe)
« On ne fait jamais de progrès sans admettre son incapacité. »
Mon Dieu, que cela est vrai!

La semaine qui vient risque d'être intense. Beaucoup de rendez-vous décisifs, et puis l'écriture, et puis ce texte du Malade imaginaire qu'il me faut réapprendre (la mémorisation n'est pas mon point fort) enfin dimanche prochain (le 13) très longue journée. A 11 heures du matin, brunch autour de Myriam Boyer, genre conférence de presse. Toute la presse sera là ainsi que nos principaux relais. Il s'agit d'accueillir fraternellement et respectueusement cette actrice incomparable. Ensuite, deux représentations (complètes) de La Vie devant soi à 15 heures et 20 heures.

Règne dans notre maison depuis la rentrée une ambiance que je qualifierais d'épidermique, dans le sens énergique du terme. Toute l'équipe est heureusement mobilisée, investie, légère et donc particulièrement efficace. Je me surprends moi-même à retrouver l'humeur de mes débuts à La Croix-Rousse. Les très pénibles mois de mai, juin, juillet, août, septembre, où je fus extrêmement fragilisé m'ont étrangement redonné le goût de l'aventure. Il est des fréquentations qui ont le don de vous perdre au fond du trou et au fond du trou, ce n'est pas très gai.

Un maire d'une grande ville m'a appelé pour me proposer la direction d'un théâtre (nous avons joué à plusieurs reprises dans sa ville). J'ai décliné la proposition. Je crois que ma vie est ici et j'ai la certitude qu'il ne faut jamais abandonner une aventure en cours de route. Il faut courageusement surmonter les doutes, la lassitude et tout autre sentiment qui pourrait conduire à la facilité. Il ne faut pas céder à la tentation de l'infidélité, au contraire il faut résister, c'est à ce prix que l'on acquiert l'estime de soi-même. Et sans estime de soi-même, rien n'est possible.

Cette réflexion étonnante sur laquelle il convient de méditer. Réflexion de Jean-Paul Sartre :
« La patrie, l'honneur, la liberté, il n'y a rien : l'univers tourne autour d'une paire de fesses, c'est tout. »
J'engage donc une période de méditation et dès que possible, je livre ma conclusion.

Beaucoup d'articles en ce moment dans la presse sur Charlotte Gainsbourg à propos de la sortie du nouveau film de Chéreau et de son nouvel album, "IRM".
Chéreau dit d'elle : « On a tous envie de l'aimer.»
Ce qui me frappe chez elle c'est sa délicatesse. Cette manière qu'elle a de tout frôler avec précaution. Comme si elle était obsédée par l'idée de ne rien abimer. Elle évoque constamment ses admirations. Peut-être son talent est-il d'avoir compris que l'on doit tout aux autres. Ce sont eux qui vous font grandir, donc il convient de les respecter. Charlotte Gainsbourg est une jeune femme respectueuse et ça fait du bien, et du coup, comme le dit Chéreau, on a envie de l'aimer.

Maguy Marin : « Il s'agit surtout de ne pas rester bloqué dans sa petite histoire. »

Dimanche soir, j'ai emmené mes filles Marie et Marline regarder le feu d'artifice. Elles étaient blotties contre moi, chacune d'un côté. On ne faisait qu'un tous les trois. J'ai toujours eu un peu de mal avec les feux d'artifices. Ca ne m'a jamais ni impressionné ni fait rêver. Mais là, nous étions tous les trois un bloc de tendresse, alors le feu d'artifice, par la force des choses, je l'ai trouvé beau !

Philippe Faure

vendredi 4 décembre 2009

Le pourquoi du journal intime

La vie privée est intimement liée au travail. C'est sans doute le sens de ce journal intime.

J'anime ce théâtre avec ce que je suis, avec ce que je vis, avec les chagrins, les joies, les solitudes, les emballements, parfois les tendresses et les déceptions qui font la vie. C'est que je suis par la force des choses au cœur d'un mouvement général. Il y a l'équipe autour de moi, les artistes, le public, les médias, les complicités extérieures, les autorités nécessaires, enfin tous ceux qui pour une raison ou une autre ont à faire avec notre théâtre. Et ça fait un monde fou. Et au fond, tous et chacun ont besoin de savoir que celui qui crée le mouvement est totalement sincère, engagé, et digne de confiance.

Ce journal intime est un garde-fou. Il m'oblige à chaque fois à faire preuve de vérité. Il dit à peu près tout des efforts inouïs que je dois accomplir pour relever le défi. Et le défi, c'est d'être toujours ouvert aux autres, généreux, de ne pas être dupe de ses propres limites, de ne pas avoir peur d'assumer ni ses réussites, ni ses échecs.
Il faut être à nu.

Lorsque je raconte les désillusions (cruelles) d'une relation amoureuse, ce n'est pas de l'impudeur, c'est que l'état de fragilité où je suis raconte à sa manière le théâtre. Les ennuis de santé dont il m'est arrivé de parler disent à leur manière l'éphémère du théâtre. Dire l'intime pour dire la peur de ne pas être suffisamment délicat. Ce journal intime m'aide à ne pas oublier que la délicatesse approche au près la nature humaine. Il n'y a pas de vérité sans délicatesse. Car au fond, dans la vie, comme dans le théâtre, il n'y a pas de vraie vérité. Il n'y a que des tentatives pour être un tant soit peu exemplaire. Et ces tentatives sont tout le sens de nos vies.

C'est ce que j'exprime dans ce journal intime (vilainement rebaptisé blog), je tente en permanence d'être au service des autres. Pas pour satisfaire leur insatisfaction, non, pour les emmener vers la légèreté. Et la légèreté, c'est le refus du mensonge, de la trahison, de la colère, du mépris, de la suffisance. C'est admettre que nos vies n'ont de sens que si elles s'élancent vers un désir de partage. Comme on s'élancerait dans le vide. Sauf que dans ces conditions, on ne s'écrase pas sur le sol. Non, on vole. Les ailes nous poussent. C'est qu'on s'est délesté de tous nos petits égoïsmes.

Ce journal intime, c'est donc pour que des ailes me poussent dans le dos. À vérifier.

Philippe Faure

jeudi 3 décembre 2009

L’innocence au théâtre

Dans le passé, j’avais écrit une pièce dont la carrière fut assez miraculeuse : La Caresse. (Je n'étais pas encore à La Croix-Rousse.)
Il n'y a pas si longtemps, j'ai écrit une "suite" si l'on peut dire, un complément d'enquête pourrait-on dire : Les Etreintes. (C'était il y a 8 ou 9 ans.) Autant que je m'en souvienne, le spectacle passa un peu inaperçu. Et pourtant j'adorais ce que nous avions imaginé scénographiquement avec Alain Batifoulier. La troupe d'acteurs était assez formidable. C'étaient de courtes histoires qui se télescopaient. Le spectacle déclinait en toute liberté, intimité et absurdité ; les différents états de l'étreinte. Sans doute un jour reprendrai-je ce spectacle. Le réinventerai-je. À cette époque, j'avais dans l'idée de créer une trilogie : La Caresse, Les Etreintes et les Baisers. Et puis d'autres projets se sont enchainés. Depuis quelques jours j'ai commencé à écrire ce dernier volet de ma "trilogie de l'intime". Je suis donc en "plein baisers" et j'avoue que j'ai sur ce sujet l'imagination fertile.

Hier au soir, première du spectacle de Bruno Meyssat, Observer. Salle pleine (je ne reviens pas sur l'opération que nous avons lancée d'invitations de tous nos abonnés). Cela dit, il est tout à fait admirable et rassurant que plus de 2000 personnes aient réservé leur place en à peine une semaine. Je crois que cet événement fera date dans l'histoire de notre théâtre. Pour en revenir au travail de Bruno Meyssat qui revisite le souvenir d'Hiroshima, c'est tout à fait impressionnant. De quoi s'agit-il? De créer un certain désordre d'objets, de signes, de bruits, d'immobilités, d'errance, d'ombres et de lumières pour que s'invente au fur et à mesure une sorte de paysage fantomatique qui, étrangement, parle à nos sens. Sans que rien ne soit dit. Meyssat est une sorte d'agitateur de fantômes et puis l'homme, s'il est un honnête homme et un artiste obstiné, n'en demeure pas moins un petit garçon aux prises avec ses cauchemars nocturnes. Peut-être attend-il seulement que sa maman le console (évidemment, cette supposition n'engage que moi).

Hier, j'ai visité un appartement juste en face du théâtre. Toutes les fenêtres donnent sur la place Joannès Ambre. Il est en plein sud. Refait à neuf, modeste mais paisible. Pas très grand. Mais cela n'a pas grande importance. J'ai pu expérimenter il y a quelques mois que de vivre dans une grande maison n'impliquait pas que je puisse avoir mon espace vital. D'ailleurs, j'ai passé plus de temps à l'extérieur de la maison plutôt qu'à l'intérieur. Malgré la superficie, je n'avais pas ma place, je n'étais pas à ma place. D'ailleurs, j'avais été prévenu : « Moi, j'ai besoin de toute la place » m'avait-elle dit, et encore cet avertissement : « Impose-toi! ». C'est donc que vivre dans cette maison devait nécessairement être un combat. Pas de place pour les sentiments. Décidément, ce petit appartement en face du théâtre, dans sa modestie, ne peut être qu'un havre de paix.

Journée triste dans l'équipe hier.
L'une de mes collaboratrices avait perdu sa mère dans la nuit précédente.
La mort d'une mère, ou plutôt la disparition d'une mère, est un événement ingérable. Lorsqu'une mère part, c'est toute l'enfance qui s'évanouit.
On reste démuni, stupéfié. Celle-là qui nous a mis au monde nous abandonne à nous-mêmes. Alors, il faut un courage infini pour ne pas se déconstruire mais au contraire pour réaffirmer ce que nous sommes pour tenter de devenir ce que notre mère rêvait que nous soyons. Je me souviens que quelques semaines avant de mourir, ma mère m'avait dit : «Je sais que je pourrai être fière de toi. »
"Que je pourrai" m'a-t-elle dit. C'est donc qu'il allait falloir que je travaille toute ma vie à être moins médiocre que je ne pouvais l'être. Car nous sommes tous ordinaires. Heureusement que nos mères ne doutent jamais de nous. Rien n'est pire que de faire douter une mère de nous-mêmes. Bien sûr toute l'équipe souhaite du courage à notre collaboratrice.

Lu cette définition d'Albert Camus :
« Le théâtre est un art de chair qui donne à des corps vivants le soin de traduire ses leçons, un art en même temps grossier et subtil, une entente exceptionnelle des mouvements, de la voix et des lumières. Mais il est aussi le plus conventionnel des arts tout entier dans cette complicité de l'acteur et du spectateur qui apportent un consentement mutuel et tacite à la même illusion. »
Il ajoute à un moment donné cette phrase magnifique : « Je me retrouve innocent au théâtre. »
Il ajoute encore cette phrase non moins magnifique : « La camaraderie a été l'une des grandes joies de ma vie. »
Conclusion : heureusement que Camus existe !

Philippe Faure

lundi 30 novembre 2009

La Maladie d’amour

La Petite Fille aux allumettes et Thérèse Raquin sont sur les routes (alternativement, car il s’agit de la même équipe de comédiens) depuis la rentrée.
Cette dernière semaine nous étions au Centre Dramatique Régional de Rouen. Toute la semaine, ce furent deux représentations par jour assez triomphales. En tout cas, le spectacle était magnifiquement beau dans le théâtre d’Elisabeth Maccoco.
La semaine prochaine, c’est au tour de Thérèse Raquin de prendre la relève et ainsi de suite jusqu’en février.
Depuis maintenant presque huit ans, toutes nos créations ont parcouru inlassablement toute la France dans tous les sens. Ce nomadisme est très émouvant, car s’y installent des fidélités. Chaque théâtre a son âme, chaque patron de théâtre a sa sensibilité, chaque ville a sa vibration. D’années en années nous retrouvons des publics qui suivent notre travail, et à chaque fois ces retrouvailles sont heureuses. C’est une chance immense que d’être ainsi accueillis dans autant de théâtres différents. J’ai beaucoup de gratitude et de reconnaissance pour tous ces directeurs qui nous donnent leur confiance, qui la renouvellent. En tout cas, nous avons le souci chaque soir de présenter le meilleur spectacle possible. C’est ainsi que nous consacrons chaque fois 4 à 5 heures de raccords dans tous les lieux traversés. Il convient chaque soir de donner le meilleur de nous-mêmes.


Nous réitérons dans quelques jours l’opération Semaine des Vêtements Chauds (voir site). Cette année, nous y ajoutons la collecte de cadeaux neufs pour 200 enfants qui n’auront pas de Noël. C’est ce que Victor Hugo appelait sa « petite œuvre de fraternité pratique » lorsqu’il invitait à diner à Guernesey tous les orphelins et les adolescents en difficultés. J’ai la chance d’avoir autour de moi une équipe qui partage cette responsabilité ; que notre théâtre déborde de son rôle de rassembleur pour aborder le territoire de la solidarité. Nous ne cessons d’imaginer des dialogues avec tous les publics que l’on dit "empêchés" (mot à la mode).
Je veux être un artiste avec son tempérament, ses exigences et sa vision poétique, mais je veux aussi être utile, concrètement, immédiatement à ceux que la société oublie, délaisse, méprise.
Voilà, disons que je fais du théâtre pour n’oublier personne. Alors ces vêtements chauds et ces cadeaux je vous invite à les déposer dans les caisses en bois qui entoureront notre hall. Ensuite, nous ferons le nécessaire pour la redistribution. (La saison dernière, cette opération fut une réussite totale !)


La semaine dernière nous a réservé un événement bouleversant. Voilà que le spectacle de Bruno Meyssat, Observer, ne rencontre pas son public à l’abonnement. Jauges maigrichonnes. Je décide d’inviter tous les abonnés de notre maison (10500) en attirant leur attention sur l’étrangeté du travail de Meyssat, sur sa singularité, sur son audace et au fond sur son humanité.
Et là, en 3 jours, ce sont plus de 1000 personnes qui ont répondu à notre invitation. Magnifiques preuves d’amour.
Bouleversant, car c’est la preuve que notre public est vivant, attentif, fidèle, amoureux de théâtre. J’ai souvent, dans ce blog, fait allusion à mes états amoureux. Mais au fond c’est la seule chose que je voudrais qu’il reste de moi : "il fut amoureux", et quel bonheur de sentir que j’ai pu, autant que possible, vous rendre "amoureux".

À propos de cette initiative, j’ai reçu un mail d’Abraham Benghio (directeur général à la Région Rhône-Alpes), un homme pour qui j’ai une profonde estime. Dans un premier temps, il se réjouit de cette opération et puis il ajoute : « tu corrobores chaque jour ce que je dis souvent : "Ne dites pas de mal de Philippe Faure. C’est vrai qu’il peut être exaspérant, mais une telle générosité au service du théâtre, je ne l’ai pas souvent rencontrée…" » Evidemment j’ai été très touché même si je dois admettre que visiblement certains peuvent dire du mal de moi, et que j’ai pu être exaspérant pour d’autres…
Cela n’est rien, seule existe la conscience de ce que l’on fait, et puis je dois avouer que quelqu’un qui m’était très proche et très cher ne cessait de me traiter de "pauvre type" m’invitant plus que de raison à "me bouger les fesses" et souvent me répétant que je lui "polluais la vie". Cette personne fut toujours très généreuse dans son mépris. Sans doute n’étais-je pas digne d’elle. En tout cas, ça rend humble. Donc inutile dorénavant de dire du mal de moi. Ça ne pourra jamais être aussi violent que ce fut avec elle.


Actuellement nous travaillons ou plutôt nous rêvons beaucoup sur la saison prochaine. C’est que d’une certaine manière j’ai décidé de tout reprendre à zéro, de nous réinterroger sur notre mission, sur notre rapport au public, sur notre rôle auprès des artistes. Avec plus de 10000 abonnés, cette saison est glorieuse et c’est le moment où justement il convient d’oser réinventer notre travail, notre rôle. Ces temps-ci je travaille beaucoup (oserai-je dire intellectuellement ?). J’écris beaucoup de notes de réflexions, mais aussi du théâtre. Comment dire, après un passage à vide, les mots se sont à nouveau emparés de moi, comme si j’avais un besoin pressant de ne pas (plus) perdre de temps. Ce n’est pas rien que le théâtre, c’est le verbe qui prend possession du corps. J’ai conscience que le théâtre est fait de chair. Et l’incroyable alchimie du verbe et du corps (nous) donne une énergie vitale. Et il y a peu d’endroits où cette énergie-là est possible. Je pense bien évidemment à Molière, investi d’une telle énergie. Ah ! Ce Malade imaginaire que je me réjouis tellement de rejouer en janvier !


La chair. La peau. L’étreinte. La caresse. La souffrance. Le corps dans tous ses états et le verbe consolateur et révolutionnaire. Le verbe qui n’est que corps à corps. Zola, Hugo, Rimbaud, Verlaine, Molière, Zweig, Musset, Kawabata, Modigliani. Tous ces fous d’amour qui m’ont tant inspiré n’ont guère épargné leur corps et leur santé. Malades d’amour. Le théâtre est une maladie d’amour. Voilà qui est dit. Je n’en démordrai pas.


L’interne dont j’ai parlé précédemment dans ce blog (revenir en arrière) me téléphone.
- Vous allez bien ?
- Oui
- Ce serait bien que l’on se voit.
- Ce serait bien.
- Demain ?
- Oui, d’accord.
- Le matin tôt, après je suis toute la journée à l’hôpital.

Et là, je crois bon de plaisanter :
- C’est mieux le matin tôt
car je ne sors plus le soir…

Je ne peux m’empêcher de préciser :
- Enfin, pour le moment.
Sûrement que dans quelques jours, je vais ressortir le soir.

À l’autre bout du fil, elle rit :
- Sûrement. Alors, huit heures demain matin ?
- Merci d’avoir appelé.

Et là, elle conclut à ma grande stupéfaction :
- C’est moi qui ai envie de te dire merci.

Voilà qu’elle m’a tutoyé !


Samedi après-midi avec ma fille Marie. Ma petite amoureuse (comme eut pu dire Jean Eustache). On va chez le coiffeur. Elle est belle comme un cœur. Elle a chaussé les bottines à talons de sa mère. Elle est immense, et elle insiste pour que je lui donne le bras. Il y a des moments où la vie est un cadeau.

Philippe Faure

jeudi 26 novembre 2009

C’est quoi vivre ?

Peu de temps pour écrire sur le blog ; c’est que " vivre" prend beaucoup de temps. Vivre, c’est quoi ? C’est admirer. L’époque est certes au dénigrement, à la critique systématique, à la dénonciation, à la mauvaise foi, à l’égocentrisme. Admirer évite tous ces pièges. L’admiration nous fait nous oublier. Alors nous voilà disponibles pour s’enrichir de l’autre, et l’autre est admirable lorsqu’il crée, lorsqu’il partage, lorsqu’il s’applique à donner de l’espoir en montrant tous les possibles de l’humain.

Plus j’avance en âge et plus mon pouvoir d’admiration est immense.

Il y a les exemples "reconnus" et récents.
Johnny Hallyday qui dans son dernier clip chante Et maintenant de Gilbert Bécaud. En noir et banc, visage aux traits presque effacés. Visage comme une empreinte. L’empreinte d’une vie profondément humaine. J’ai été frappé par ses yeux comme évanouis dans une sorte d’infini. Toute une vie à rassembler le peuple de France.
Gérard Philippe, dont on reparle un peu partout. Gracile, sombre, d’un enthousiasme presque affolé. Au service de Vilar, des grandes œuvres, celles indispensables et celles en devenir, militant, syndicaliste effréné.
Camus, qui fait encore l’actualité aujourd’hui, fou de tolérance, défenseur des droits de l’homme, agrandisseur de l’esprit humain, professeur de libertés.

Trois exemples qui me viennent à l’instant, mais d’autres sont aussi admirables ici et maintenant. Par exemple, mon camarade Bruno Meyssat (qui sera sur les planches de La Croix-Rousse la semaine prochaine). Paysan entêté, le voilà qui fouille le souvenir terrible d’Hiroshima. Bricoleur, arpenteur, collectionneur, chiffonnier, si modeste, presque absent, il nous dit à sa manière de nous méfier de nous-mêmes. C’est que nos intentions ne sont pas toujours recommandables.
Je pense aussi à Myriam Boyer qui sera elle aussi à La Croix-Rousse pendant toutes les fêtes de fin d’année. À 17 ans, elle a foulé pour la première fois les planches d’un théâtre, le nôtre (à l’époque salle des fêtes), ensuite Planchon et l’aventure du TNP puis Chéreau, Maréchal, Boëglin, Françon. Fille d’une mère infirme et d’un père alcoolique, elle s’est prise en charge jusqu’à être une actrice poignante. Elle porte nos malheurs et nos joies avec une grâce inattendue. Elle est Madame Rosa (Emile Ajar) comme on prend une décision.

Mais il ne faut jamais oublier d’admirer ceux qui nous accompagnent au quotidien, ceux qui nous aident à vivre et qui prennent soin de ne pas nous blesser. Je pense à l’équipe du théâtre qui m’entoure. Si investie, si consciente de ses responsabilités, si unie. C’est que le théâtre demeure un lieu de chair et de sang. Le verbe y claque comme un fouet. Les acteurs, les chefs de troupe, les poètes nous représentent le monde et nous le donne à comprendre à leur manière.

Me viennent ces quelques vers de Victor Hugo à propos de la fraternité :
« Je rêve l’équité, la vérité profonde,
l’amour qui veut l’espoir qui luit, la foi qui fonde
et le peuple éclairé plutôt que châtié.
Je rêve la douceur, la bonté, la pitié et le vaste pardon.
De là ma solitude. »
Admirables vers !

Mais vivre c’est aimer et aimer au fond n’est pas un sentiment, c’est une aventure. On s’aventure dans l’amour sans savoir ce que c’est. C’est l’histoire du " juste un peu" et du "presque rien", c’est comme ça. Comme une frontière.

L’amour c’est le regard que l’on pose autour de soi. Aimer c’est regarder, c’est aussi simple que ça. Dès que l’on rentre dans le questionnement, c’est foutu, car il n’y a pas de réponse.

J’aime regarder. Le silence du regard dit tout. Le regard ne ment pas. Je voudrais écrire un spectacle sur le regard justement. Souvenons-nous du Regard du sourd de Bob Wilson. Titre et spectacle admirables.

Vivre c’est donc admirer, regarder, mais c’est aussi accepter. Accepter que l’avenir c’est maintenant, à chaque seconde, à chaque instant. Seuls comptent les actes d’aujourd’hui (ce sont eux qui justement construisent l’avenir). Chaque instant est un miracle en soi. Puisque nous sommes vivants. Toujours vivants. Se projeter dans l’avenir, selon l’expression coutumière, est une hérésie. Cela voudrait dire que l’on se réjouira plus tard. Folie. Lorsque je regarde mes enfants, que je les étreints, que je les embrasse, que l’on se parle, je me dis que la vie est là. Et avec la vie, la tendresse.

Beaucoup d’événements personnels et professionnels m’engagent à vivre généreusement. Ecrire ces derniers mots me rassurent comme si tout n’était pas perdu, mais au contraire comme si tout commençait toujours.

En tous cas fuyons les petites mesquineries, les petites jalousies, les petites trahisons, les petits arrangements, les petits mensonges comme la peste. Fuyons tout ce qui nous rend petits !

Philippe Faure

lundi 16 novembre 2009

La Force de croire

Marre de toutes ces polémiques (Pasqua, Chirac, NDiaye, Mitterrand, Villepin, etc.). La France serait-elle devenue un pays de concierge ? Comme si toutes ces polémiques étaient utiles à l’amélioration des conditions de vie de millions de Français.
Il y a là quelque chose de pathétique de ce détournement des urgences…
La réalité de tant de gens est si rude et depuis si longtemps, qu’ils sont en droit d’espérer de la politique de vraies décisions qui améliorent leur sort. Les journalistes ont une responsabilité coupable en relayant généreusement tous ces conflits ridicules. Où est passé l’intérêt général ? Les gens pillent les poubelles pour ne pas mourir de faim, dorment dans le froid, meurent dans les bois, et de nouvelles polémiques surgissent encore qui concernent les nantis, ceux des beaux quartiers. Où est la dignité au moment où les Pôles pour l’emploi sont débordés, assaillis, démunis, effondrés ?
Victor Hugo député déclarait la guerre à la misère. Aujourd’hui, les polémiques sont de vulgaires "cache-misère". Il faut absolument travailler à l’avenir des plus démunis et rétablir la confiance. Se taire et agir. N’abimons pas la parole. Rendons lui sa force. La Force de croire.

Je lis un grand papier dans Libération sur Dominique Besnehard (agent chez Art Media puis coach de Ségolène Royal) J’ai été (autant que je m’en souvienne) très ami avec lui. Je l’ai beaucoup aimé. Drôle, intuitif, amoureux de la variété française (Sylvie Vartan, Dalida, etc.), formidable raconteur d’histoires, toujours débordé, toujours inquiet, expéditif, fasciné par les vedettes, enfantin et malin, remarquable acteur (chez Pialat), lourd et pudique. Un homme contradictoire, un peu lâche mais capable de mener des combats impossibles. J’ai gardé beaucoup de tendresse pour ce qu’il est : libre et empêtré. Et puis c’est lui qui m’a fait rencontrer Patrick Dewaere (je racontais tout ça dans Maman, j’ai peur dans le noir). Son pouvoir d’admiration est sans limite, et ses admirations partent dans tous les sens. C’est un artiste de la vie. Il vit en funambule. Sophie Marceau, Nathalie Baye, et tant d’autres actrices ; on eut pu dire qu’elles étaient toutes ses filles, ses fiancés de cinéma, et lui le grand frère n’a cessé de leur dire qu’elles étaient les plus belles du monde. Ce qui est remarquable, c’est qu’aucune ne fut jalouse les unes des autres. Besnehard est un saint homme. Il était inéluctable qu’il rencontre sainte Ségolène et visiblement les saints entre eux "c’est pas gagné".

Samedi dernier, après la représentation de Woyzeck, longue conversation (inattendue) dans mon bureau avec quelqu’un qui fut dans l’intimité de Laurence Guedj (décédée il y a un peu plus d’un an). Pendant plus de dix ans, elle a été une collaboratrice fidèle, rigoureuse, attentionnée, heureuse. C’est elle qui tapait tous mes manuscrits. Nous avions de longues conversations tendres et parfois orageuses. Elle était têtue. Mais nous avions l’un pour l’autre une vraie considération (voilà un mot magnifique : la considération).
Bien sûr, elle me manque beaucoup. Ma confiance en elle était inépuisable. Au cours de cette conversation samedi, cette personne me fit des confidences (à propos de Laurence) qui me bouleversèrent. Et si ces confidences avaient simplement mis des mots sur une relation au fond assez secrète. Laurence m’écrivit quelques semaines avant son dernier séjour à l’hôpital qu’elle était fière et heureuse de travailler près de moi (cette lettre est toujours en évidence sur mon bureau). Il y avait entre nous comme une évidence : nous avions besoin l’un de l’autre et je crois que même dans les moments de tensions, nous ne nous fîmes jamais de mal. Nous savions l’un et l’autre que notre relation était définitivement précieuse. Merci à ce visiteur impromptu de m’avoir rappelé que la tendresse existe et qu’elle avait existé entre Laurence et moi. Après cette longue conversation il me ramena chez moi car je dois l’avouer j’avais les jambes "en coton" et la tête "lourde de solitude".

Depuis quelques semaines je consacre toutes mes matinées à l’écriture. J’écris l’utile et l’inutile. L’utile c’est à dire tout ce qui se rapporte à la vie et à l’avenir du Théâtre de la Croix-Rousse. L’inutile, c’est à dire tout ce qui me permet de réfléchir, de rêver et d’imaginer des histoires de la vie. Je ne quitte pas Victor Hugo non plus (génie parmi les génies). C’est que je travaille à l’adaptation de sa plus grande œuvre. Ce repli dans l’écriture me reconcentre, me guérit de longs mois désespérés (désespérants). À propos, nombre de personnes (à propos d’une confidence sur ma dernière intervention dans mon blog) me demande pourquoi j’ai beaucoup pleuré il y a une dizaine de jours. C’est qu’à un moment donné, alors que l’autre ne cessait de vous traiter de "pauvre type" et que l’on mettait l’insulte sur le compte de la colère, on réalise que c’était le fond de sa pensée. À ce moment là, ne restent que les larmes pour calmer son chagrin. Ce n’est pas l’insulte qui vous assassine, c’est l’aveuglement dans lequel on s’est obstiné. On imagine alors qu’il va nous falloir beaucoup de courage pour se remettre d’un malentendu pareil. Le mépris appartient à celui qui méprise. Rendons à César ce qui appartient à César.

Repris les répétitions du Malade imaginaire avec les "petites Louisons". Décidément, Argan ne me quitte pas. J’ai souvent considéré qu’il était un autre moi-même ou que j’étais un autre lui-même. Peu importe. Il me bouleverse et j’aime plus que tout être son ami. On pourrait citer la phrase de Montaigne : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Je suis émerveillé de savoir que toutes les représentations du Malade imaginaire à la Maison de la Danse en janvier vont être pleines à craquer. Je voudrais serrer dans mes bras ces 6000 / 7000 personnes qui "nous" font ainsi confiance à Argan et moi.

« Un peu d’amour, voilà le vrai fond de la vie.
Tout est là. Tout le reste est ombre et fausse envie.
Un regard bienveillant qui vous suit doucement
Dans votre solitude et votre accablement
Vous tient lieu de pays, de maison, de famille.
Qu’on soit aimé d’un gueux, d’un voleur, d’une fille,
D’un forçat misérable à l’épaule imprimée,
Qu’on soit aimé d’un chien, pourvu qu’on soit aimé. »
Victor Hugo

Actuellement, je ne suis pas reconnaissable dans la rue, car je suis emmitouflé dans un anorak vert fluo de la dernière mode. Si vous voyez passer une grosse tache verte, genre couleur de pré… c’est moi !

Philippe Faure

jeudi 12 novembre 2009

Les larmes qui coulent

Dimanche dernier, visite du couvent de la Tourette imaginé (structuré) par Le Corbusier. Inouï bâtiment en béton brut. Des espaces dénués de tout détail, de tout symbole. Une nudité abstraite. Et tout autour une campagne verte, vallonnée, un bois, des chemins qui serpentent. On pourrait dire que Le Corbusier est un « créateur de vide ». Le plus impressionnant ce sont ces immenses façades de béton qui se taisent, ou qui prient ? Mais le béton a-t-il une âme ? C’est peut-être la vraie question que pose Le Corbusier.

Lu dans L’Express une très longue interview de Gérard Depardieu. J’ai souvent confessé que j’étais littéralement amoureux de cet homme. Il est en photo pleine page au cœur de l’article. Monstrueusement énorme, boudiné dans une chemise à fleurs rouge. Des mains si épaisses. Un visage bouffi. Quand je pense à lui, je le vois immédiatement courir dans les prés, curé de Bernanos et de Pialat : Sous le soleil de Satan. Il dit dans l’interview qu’il est un « explorateur de l’existence » et que c’est ce qui le rend libre. Il dit aussi qu’on « ne peut pas faire les choses seul », qu’il est une éponge, une grosse éponge. Il dit aussi qu’il faut « savoir ce que l’on veut » sinon on n’est rien. Prendre le risque de décider et d’aller au bout. Il dit encore : « Le beau c’est quand rien n’est sûr et quand rien n’est sûr il faut faire un effort sur soi pour arriver à quelque chose. » Enfin, il conclut : « Le bonheur et le malheur deviennent vite des obsessions si tu y penses. Il vaut mieux avancer avec l’autre. »
Je le revois dans Tartuffe, mis en scène par J. Lassalle. Poudré de rose, la voix à peine audible, comme une rivière qui coule… Je le revois dans La Femme d’à côté de Truffaut, dans Dites-lui que je l’aime de C. Miller, dans tant d’autres rôles. Il a la force de ceux qui ne cèdent jamais au découragement. C’est une sorte de paysan planté dans son champ, qu’aucune variation climatique ne parviendra à ébranler. Il est décidément le bossu de Manon des sources qui s’en prend à Dieu, là-haut dans un ciel qui ne veut pas pleuvoir. Il n’est pas un acteur, il est un homme pour de vrai. Il est aussi un orage. Il est un paratonnerre. La foudre le transperce et s’enfonce dans la terre.

Ma fille Marie a 11 ans. C’est son anniversaire. Quelques jours plus tard, Marline, sa sœur, aura 9 ans. Nous sommes en pleine période d’anniversaires. Elles sont si belles toutes les deux. Je n’ai jamais autant aimé être père. Je n’oublie pas mon Damien. Trois enfants si différents, mais je dois le dire, si pleins d’amour. Peut-être leur ai-je passé le message : il ne faut jamais avoir peur d’aimer et le dire. Les mots d’amour nous sauvent irrémédiablement de notre médiocrité. Enfin, être aimé nous donne le courage d’être nous-mêmes.

Il y a quelques mois, j’avais déjà évoqué ce don que certains ont : celui de la Gentillesse. Un livre sort : La Stratégie de la Bienveillance de Juliette Tournand. Selon elle, les personnes les plus gentilles seraient les plus heureuses. Jean Jacques Rousseau estimait que la gentillesse est l’attribut humain le plus désirable. Chez Voltaire, elle est signe d’intelligence. Stefan Einhorn (suédois) avait publié L’Art d’être bon, oser la gentillesse. Pourquoi la gentillesse est-elle toujours associée à la vulnérabilité ? Elle est aussi perçue comme un déficit, une infirmité, « trop gentil pour être honnête » dit-on. J’aime la gentillesse parce qu’au fond elle nous ramène à l’innocence perdue. Elle dit simplement à l’autre que c’est un bonheur qu’il existe, qu’il soit là. La gentillesse donne envie d’aimer. Inversement, les agressifs, les méchants n’aimeront jamais personne. Pas même eux. Ils se « prendront en grippe » comme on dit. Allez, n’ayons pas peur. Soyons tout en gentillesse !...

Beaucoup de spectateurs s’interrogent sur mon sentiment à propos du Roman d’un Trader. Spectateurs déçus. À la vérité, je dois reconnaître que si le spectacle dans son ensemble était tout à fait digne, la pièce elle-même était très décevante. N’entrant jamais dans le sujet, l’esquissant, le fuyant même, elle nous laissait comme un goût d’inachevé, de superficialité. Elle manquait d’engagement, de férocité, comme aurait dit un prof « hors sujet » et pourtant le sujet c’était bien celui-ci… Celui annoncé.

Philippe Vincent a créé son Woyzeck et son Cabinet du docteur Narcotique. Il y a chez ce garçon comme un désir de chaos. Les 2 spectacles multipliaient « les entrées » si l’on peut dire. Ce besoin d’une technicité envahissante (vidéo, sons, musique live, actions simultanées, emboîtées d’une salle à l’autre) m’interroge sur sa vision du monde. Et l’amour dans tout ça ? Le monde n’est-il à ses yeux qu’une machine infernale ? En tous cas, certaines images sont dignes de Francis Ford Coppola… Peut-être que si Marlon Brando avait été dans la distribution… Cela dit le spectacle a été un vrai succès (contre toute attente ?)

Ah ! Au fait, il y a un peu plus d’une semaine, j’ai beaucoup pleuré. Comme quoi, être directeur de théâtre ne protège pas du chagrin. Si les larmes coulent, c’est le signe que, ni on ne triche, ni on ne ment ; on se console comme on peut et puis la vie est là, qui nous attend.

« Les mots sont les passants mystérieux de l’âme. » (Victor Hugo)

« La brume, lugubrement empourprée, élargissait l’astre. On eut dit une pluie lumineuse ». (Victor Hugo)

lundi 26 octobre 2009

Brel avait raison

On commence par Clint Eastwood. Je l’ai vu, de mes yeux,vu. Incroyable, cette silhouette au scalpel. Ce visage émacié. On dirait "profilé". Ce regard qui vous cloue au mur comme un vulgaire insecte et comment dire, au delà de ce physique si mince sans aucune graisse, presque maigre, si haut sur pieds (ah ! ses jambes, immenses, interminables…) au delà de ses si longues mains, il y a le sentiment que l’on pourrait être son ami, qu’il vous regarde avec délicatesse, bienveillance, curiosité. L’homme a 80 ans ! C’est pas Dieu possible ! Il a quasiment traversé le siècle. Et cette traversée-là est inoubliable. Clint Eatwood dépasse l’entendement.

Félicitations à l’ami Thierry Frémaux pour son premier festival Lumière 2009. La soirée d’ouverture était géniale. Simple et amoureuse. Tant d’images magnifiques sur l’écran… Tout le cinéma du monde ce soir-là nous a sauté aux yeux, et l’on est ressorti de cette soirée en "petit garçon" et en "petite fille". C’était beau comme du Leone, beau comme du Fellini, beau comme du cinéma.

Incroyable mais vrai. L’entraineur de l’OL, Claude Puel, est venu à La Croix-Rousse avec sa femme pour Le Roman d’un trader et cela deux jours après avoir battu Liverpool à Liverpool 2-1.
Gérard Collomb m’avait demandé d’être présent au lancement du projet du « Grand Stade » à Décines. Gros raout au siège de l’OL à Gerland. J’étais en compagnie de mon ami Gaby et de Georges Képénékian, l’adjoint à la Culture. Collomb a signalé ma présence publiquement et la tête de J.M. Aulas s’est figée soudain dans le marbre.C’est que nos rapports (notre absence de rapport plutôt d’homme à homme) n’ont pas toujours été ni simples ni tendres. Pendant longtemps, je n’ai pas "senti" cet homme. Son sourire figé dans un maxillaire agressif m’a toujours effrayé. Et puis, peu à peu, j’ai appris à aimer, à comprendre l’homme. Aujourd’hui, il me semble qu’il est un grand président de club. Quelque chose s’est passé. Peut-être que l’échec relatif de la saison dernière l’a rendu plus humain. Il a tombé le masque du "j’ai toujours raison". L’arrivée de Puel, la confiance qu’il lui a faite, l’a en quelque sorte délivré…
Au fond, faire confiance à l’autre est une délivrance, et inversement, ne plus lui faire confiance est un enfer.

À propos de confiance, j’ai regardé l’autre nuit le long portrait de Ségolène Royal sur France 3. Il y était beaucoup question de la trahison amoureuse de François Hollande. Jusqu’ici et pendant 28 ans, le couple avait été fusionnel. Et puis la trahison a tout déchiré, et évidemment Royal (qui n’a toujours pas pardonné semble-t-il) s’est vengée en écrasant Hollande au moment de la candidature pour la présidentielle.
Cette élection (côté socialiste) ne fut en fait qu’un règlement de compte entre époux, impitoyable, souvent mesquin, sans limite, brutal, meurtrier.
Ségolène Royal parle de fidélité rompue et elle a eu la pire vengeance qui soit en demandant à l’autre (François Hollande) de vivre sa vie sans elle (loin d’elle). Je n’ai pas le sentiment que pour lui ce fut la meilleure nouvelle du monde car Ségolène aimait François comme sans doute personne d’autre n’aimera plus François. Et maintenant même s’il est accompagné, François est seul. Il est sans Ségolène !
(Ceux qui ont vécu ça d’un côté ou de l’autre me comprendront)

Revu la fameuse scène du Mépris de Godard où Brigitte Bardot est allongée sur le lit nue, à côté de Michel Piccoli. Et elle pose des questions toutes simples avec sa voix si particulière, décalée, et boudeuse.
« Tu les aimes mes seins ? »
« Tu les aimes mes cuisses ? »
« Tu les aimes mes jambes ? »
« Tu l’aimes mon ventre ? »
Et à chaque fois, Piccoli acquiesce.
La musique est légèrement sirupeuse mais tout de même lyrique (des violons si je ne m’abuse).
C’est une scène d’une étonnante sensualité parce qu’elle n’a aucun caractère sexuel. Au fond, on pourrait dire que cette scène résume parfaitement Brigitte Bardot. "Une femme qui n’a pas conscience qu’elle est une femme libre". Peut-être Piccoli à ce moment là est-il un idéal masculin. Sa voix nous brûle tant elle est chaude.

Myriam Boyer a décidé de tourner le prochain film de Bertrand Blier aux côtés de Jean Dujardin. Du coup, elle ne peut plus assurer les représentations de La Vie devant soi aux dates prévues. Nous avons donc 8000 personnes à déplacer et à replacer. Une broutille.
Nous avions prévu de fermer le théâtre presque 15 jours pendant les vacances de Noël, et bien c’est râpé. Toute l’équipe devra être sur le pont. Putain les vacances c’est encore loin ? …
Cela dit, Myriam Boyer est adorable. C’est une actrice magnifique. Mais bon, il semble que le théâtre ne fasse pas le poids par rapport au cinéma. Le théâtre n’est qu’un petit art artisanal et ne parle qu’à quelques centaines de spectateurs, un soir donné. Le cinéma, lui, est "permanent".

Beaucoup de tendresse autour de moi en ces temps pluvieux. Brel avait raison, la tendresse est le seul sentiment qui ne ment pas, et qui plus est c’est un sentiment modeste qui ne prétend à rien d’autre qu’à dire à l’autre (aux autres) que l’on est heureux qu’il existe (qu’ils existent). C’est pas beau la vie !

« À mesure que j’avance dans la vie je me simplifie, et je deviens de plus en plus patriote de l’humanité. » Victor Hugo
Cher Victor, j’essaye moi aussi d’avancer dans la vie en me simplifiant !

Lu Toxique de Françoise Sagan, illustrations de Bernard Buffet. Très court livre écrit lors d’une cure de désintoxication par Françoise Sagan. C’est très vif, très rapide. Effrayant. Les dessins de Bernard Buffet au crayon noir sont secs comme des coups de trique, des corps au cordeau, des objets tout en lignes noires. Moi qui n’aime pas spécialement Sagan, j’ai été impressionné par sa lucidité si brutale.
Extrait : « Voilà fini ce petit journal de la désintoxication. Elle aura été bénigne et ce journal salutaire. Je vais vivre et écrire de bon comme on dit. Je ne trouve pas de phrase morale ou amorale pour finir. »
Cela dit Bernard Buffet reste un mystère. Pourquoi est-il si peu aimé ? Quand je pense qu’il s’est suicidé en s’enveloppant la tête dans un sac plastique. Mort asphyxié ! Fallait-il qu’il soit seul !

Lu Un roman français de Frédéric Beigbeder. Formidable. Jamais peut-être les rapports de frères n’ont été aussi bien décryptés (Charles et Frédéric). C’est très poignant et le style est sans bavure.

Impossible de lire jusqu’à la fin le livre de Justine Lévy, Mauvaise fille. Ses rapports avec sa mère mourante son trop vrais… et puis le monde médical y est décrit avec une sévérité qui m’a fait ranger le livre à peine commencé sur le rayon de la peur.

Ce samedi, panique générale au théâtre. Des centaines de lignes téléphoniques en attente. Notre système informatique de réservations en panne. Entre le triomphe du Roman d’un trader et le replacement des milliers de places pour La Vie devant soi, c’est le bug assuré.
Du coup, j’appelle en urgence et en renfort une partie de l’équipe pour répondre à toutes ces lignes saturées. Tous répondent présents et dans la demi-heure qui suit, ils abandonnent leur repos dominical pour reprendre du service. Ca s’appelle la solidarité et quand une équipe est aussi solidaire de "sa maison" on n’a qu’une envie c’est d’applaudir des deux mains. Décidément nous vivons actuellement un état de grâce. Solidarité quand tu nous tiens, on ne risque rien.

Elle dit : « Tu as la peau douce. »
Il dit : « C’est le titre d’un film de Truffaut. Génial avec Françoise Dorléac et Jean Desailly. (Il a toujours adoré cet acteur et toujours trouvé injuste qu’il n’ait pas fait la carrière qu’il méritait au cinéma)
Elle dit : « Je ne te parle pas de Truffaut mais de ta peau. J’aime ta peau.
Il dit : « … Quand même il faudra que tu voies ce film. »
Elle dit : « Ta peau est plus douce que la mienne. »
Il dit : « Tu n’exagères pas un peu ??? »

J’ai effectué plusieurs permanences en soirée pour Le Roman d’un trader (archi complet). Une petite centaine de personnes m’ont demandé de mes nouvelles. Soit elles ont lu mon blog, soit elles sont venues voir Maman j’ai peur dans le noir.
Ce lien au public est bouleversant. Tous ont des mots si gentils, si attentifs, si pudiques…
Une dame à qui je demandais si tout allait bien, m’a répondu : « Bien sûr puisque vous êtes là. »
Je suis très fier de leur confiance à tous et de leur affection. Certains pour me moquer disent que je suis un incorrigible affectif. Ils ont entièrement raison. Je le revendique. Généralement, ce sont les mêmes qui ne donnent rien que leur prétention et leur égoïsme.
Vive les affectifs de tous bords !

Philippe Faure

vendredi 9 octobre 2009

Bonheurs divers (d'hivers)

Je viens d’acheter le dernier livre de Justine Lévy, Mauvaise fille. J’ai adoré les deux précédents. Hâte de le lire.

Mardi prochain, je suis invité à la soirée d’ouverture du Festival de cinéma Lumière 2009.
Diner ensuite.
Clint Eastwood sera là.
Du privilège d’être directeur de théâtre.

Depuis deux jours le travail est intense. Une sorte d’énergie légère s’est emparée de moi. Chacune de mes collaboratrices est mise à contribution. Tout va vite, s’enchaîne. Les fautes d’orthographe se tiennent à carreau. Les mises en page filent doux. Graphiques, réflexions, avenir, bilans, projets, écriture, discussions ne demandent pas leur reste ! Il y a comme une inspiration (respiration) qui invente un horizon dégagé. Au fond, ma convalescence c’est le travail. Naturellement, tout ce travail prépare l’avenir. Mais je n’oublie pas que l’avenir c’est d’abord chaque heure qui passe. Ces heures-là qui construisent des journées, des semaines, des mois, je les vis intensément. Sans doute parce que j’ai frôlé la catastrophe. N’être envieux de rien ni de personne, n’être jamais insatisfait, se réjouir toujours "de faire des progrès" sur nos vies c’est cela et pas autre chose. Ne pas faire de mal.

Le week-end s’annonce. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige… je m’échappe !

Cette phrase de Victor Hugo à propos de Jean Valjean dans Les Misérables : « en se fondant en reconnaissance, il aimait de plus en plus ».
Autre phrase : « Qu’importe que la terre soit rouge, la lune reste blanche. Ce sont les indifférences du ciel. »

Frédéric Mitterrand est beaucoup attaqué à propos de lui et de son livre La Mauvaise vie. Je repense à ce que j’écrivais à propos de ce livre sur mon blog le 23 juin : « J’ai été très touché par son dernier livre La Mauvaise vie, confession âpre et remarquablement écrite d’où surgissait presque un désespoir, un regard doux et pitoyable, le portrait d’un homme qui ne se ment pas à lui-même. Qui dit sa petitesse pour mériter un peu de dignité. »
Ce livre-là était digne et l’homme Frédéric Mitterrand mérite notre respect.

Cette phrase de Philippe Lançon, journaliste à Libération, à propos d’une critique littéraire : « L’amour ce n’est ni le bonheur, ni le malheur, c’est une chance particulière. » Bien vu !

Vu un reportage à la TV sur la collection Chanel de Karl Lagerfeld. Tout se passe dans une ferme. Bottes de paille et paysage champêtre. Les vêtements imaginés et allègrement portés par des mannequins sont drôles, parfaits. Tabliers de fermières, bottes en plastique côtoient des dentelles et des vestes noires coupées au plus juste.
C’est assez fou, jamais exagéré…
Ca donne simplement envie d’aller vivre à la campagne (un seul mannequin suffira !).

Pardon de cette humeur primesautière. Elle ne le fut pas vraiment ces derniers mois, et pourtant le printemps est loin. C’est plutôt l’automne qui arrive. Comme quoi tout est une question d’état d’esprit.

Philippe Faure

Vu cette nuit la rediffusion de l’interview de Frédéric Mitterrand au journal de 20h sur TF1 par Laurence Ferrarri. Pathétique. Quand on pense que Laurence Ferrarri avoue le plus naturellement du monde qu’elle n’a pas lu le livre de Frédéric Mitterrand La Mauvaise vie, mais qu’elle n’a lu que des extraits publiés par la presse, on croit vraiment halluciner. En vérité, je pense qu’aucun de ceux qui parlent du livre ne l’ont lu. D’où ce malentendu pour le moins malsain. Un conseil : qu’ils lisent le livre. Ensuite seulement, ils pourront en parler et juger Frédéric Mitterrand.

jeudi 8 octobre 2009

Une bonne nouvelle !

Hier en fin de réunion d’équipe, j’ai eu l’immense plaisir et l’avantage d’annoncer à toute l’équipe que l’une de mes plus fidèles collaboratrices attendait un enfant. (J’étais dans la confidence depuis plusieurs semaines.) Toute l’équipe a accueilli la nouvelle avec une immense joie.
Il faut dire que Karine Fanton, puisqu’il s’agit d’elle (responsable de la billetterie) est une collaboratrice tout à fait remarquable. Ne ménageant jamais ni son temps ni ses forces. D’une conscience professionnelle absolue, à l’écoute de chacun, animant son équipe avec rigueur et habilité. C’est une femme respectée. Je dois dire qu’à titre personnel, j’ai toujours été séduit par sa grande prévenance, sa pudeur, sa délicatesse. Lorsque nous nous croisons, elle vérifie toujours d’un regard qui ne trompe pas si ma santé est bonne… si aucune défaillance n’apparaît pas à l’horizon.
Sœur ? Amie ? Collaboratrice ? Une belle personne en tous cas.
Ne reste plus qu’à trouver le prénom de l’enfant !

Philippe Faure

mercredi 7 octobre 2009

Rencontre inopinée et divers autres détails

Il la croisa en face de l’hôpital.
Il ne la reconnut pas.
Elle posa sa main sur son bras, comme ça. Comme par inadvertance.
Il mit quelques instants à se souvenir d’elle. C’est sûr le visage de la jeune femme ne lui était pas étranger. Il n’eut pas à prononcer la moindre parole. Elle chuchota :
- Je suis l’interne… cet été… en août… vous avez déjà oublié ?
Lorsqu’il l’avait croisé pendant les huit jours de son hospitalisation, elle était en blouse blanche. Là, jean serré et corsage blanc. Belle queue de cheval en liberté dans son dos.
- Vous avez bonne mine, ça me fait plaisir de vous rencontrer.
Il murmura :
- Moi aussi.
Elle ajouta :
- Vous êtes très élégant (costume léger noir et chemise bleue)
- Vous aussi… vous êtes très élégante.
Elle éclata de rire et ajouta :
- Je suis venue voir Maman j’ai peur dans le noir.
Il n’osa l’interroger plus avant. Elle prit les devants :
- Vous êtes un peu fou vous…
Elle s’empressa d’ajouter :
- C’est un compliment, je vous assure.
Et lui ne sut quoi dire. Il se lança :
- C’est très bien Interne !
Il comprit immédiatement que son commentaire frisait l’indigence. Il crut bon d’ajouter :
- Enfin, interne comme vous.
Il réalisa qu’il s’enfonçait ! Et là, il prit tous les risques.
- Ce qu’on fait, c’est que je vous appelle si vous me donnez votre numéro de téléphone.
- Vous avez des choses à me dire ?
Et là, il était soudain en roue libre !
- Je crois.
Elle écrivit son numéro sur un bout de papier. Lui tendit.
- Voilà !
- Bon alors je vous appelle !
- D’accord !
Elle lui sourit, descendit la rue.
Il la regarda s’éloigner, contempla le numéro de téléphone et pensa que c’était fou qu’une interne aussi élégante lui donna sans discuter son numéro de téléphone. Du coup, il se trouva effectivement très élégant.


Aujourd’hui, journée plutôt chargée.
À midi, repas avec un homme politique (secret).
Déjeuner délicieux et la conversation n’avait pas de limite. Tout y passa. De Jospin à Kouchner, de nos enfants respectifs au musée des confluences. Tout quoi ! Pendant le repas j’ai passé un coup de téléphone extrêmement important pour le théâtre (rien à voir avec l’interne). Et ce coup de fil fut très positif. Mon interlocuteur au bout du fil après nous être beaucoup cherchés est devenu un ami. Je reste volontairement discret car la discrétion reste le meilleur des alliés.


Réunion avec les représentants du personnel au théâtre. Réunion constructive, très argumentée et équilibrée. Je cite le préambule « les conditions de travail et les rapports avec la hiérarchie sont devenus plus simples. Par voie de conséquence, chacun des membres de l’équipe a pu atteindre ses objectifs ou est en voie de le faire. »
Les revendications m’ont semblé raisonnables. J’ai eu l’occasion à maintes reprises de me réjouir de l’ambiance travailleuse qui régnait dans la maison.
Tout cela est basé sur un rapport de confiance et avec la confiance tout est possible.


Décision radicale.
J’ai changé mon bureau de place. Nouvelle orientation dans la pièce. Je me sens mieux. Plus de bouche d’aération au dessus de la tête et plus de néon assassin dans les yeux. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une nouvelle vie qui commence. En tous cas, je suis mieux à ma place.


Je lis un article qui indique que la plupart des ministres sont au régime. Entrées : crudités, poisson systématique (plus de viande), fromage banni et dessert : sorbet.
L’article indique que c’est Sarkozy qui a initié cette « politique de la silhouette »
La silhouette est devenue un véhicule de communication politique selon le journaliste. Tout ça parce que le président est amoureux de Carla : longue silhouette fragile.
Eh oui, l’amour nous entraine sur des terrains mouvants. J’ai moi-même décollé. Ma silhouette s’est affinée. Fut une période où chacun s’inquiétait de me découvrir ainsi. Mais aujourd’hui les commentaires changent : voir l’exclamation de l’interne.


Marre de l’affaire Clearstream. J’ai pris le mensonge en horreur, et Dieu sait que de ce côté là j’ai été bien servi !
Diable, quelle bande de menteurs…


Un comédien remarquable : Daniel Russo.


C’est décidé : ce week-end, je me mets au vert à partir de vendredi après-midi. Jusqu’à dimanche soir. Je vais reprendre des forces disons que je vais m’occuper de mes globules rouges (cf. Maman j’ai peur dans le noir) puisque décidément ils sont le sang de la vie.

Philippe Faure

jeudi 1 octobre 2009

De l’émerveillement à la dignité…

Vu deux films.
Le bal des Actrices, de Maïwenn avec justement plein d’actrices dedans (Romane Bohringer, Julie Depardieu, Mélanie Doutey, Karine Viard, Charlotte Rampling…)
Drôle de film. Un peu maladroit, un peu bancal, parfois à côté de la plaque, parfois en plein dans le mille. Les femmes ne sont pas des actrices comme les autres… pourrait-on dire ! Souvent lucides (trop ?) elles savent pourtant qu’elles doivent plaire, séduire. Au fond, elles ont un mal fou à trouver leur place. Ce qui les rend parfois imbuvables, parfois désarmantes. En tous cas, la sérénité n’est pas un état qu’elles ont l’air de beaucoup fréquenter. Le film est tout cela et Maïwenn une drôle de trentenaire. Pas froid aux yeux la fille. Elle est belle sans être belle. Elle est une femme audacieuse, avec une volonté de fer.

Vu L’Etrange histoire de Benjamin Button. Scénario génial, mais bon, on s’endort un peu dans la seconde partie du film. Brad Pitt est à l’aise dans un rôle hors-norme et Cate Blanchett… Une femme qu’on aimerait bien qu’elle nous prenne dans ses bras.

Richard Brunel a été nommé directeur du centre Dramatique National de Valence. Très bonne nouvelle ! Nous l’avons accueilli lors de la première saison de La Croix-Rousse et nous l’accueillerons à nouveau en mai 2010.
Dire que nos rapports furent toujours simples serait exagéré. Cela dit, j’ai toujours reconnu son sens du théâtre et je me réjouis qu’il prenne la direction d’une maison. J’aurais tendance à dire qu’il le mérite, même si la notion de mérite est un peu dépassée aujourd’hui. Bon vent donc au camarade Brunel.

Les journaux sont pleins de l’affaire Polanski (comme on dit). Sujet compliqué. Il y a l’artiste et le citoyen. L’artiste est magnifique. Le citoyen a été condamné pour viol sur une enfant de 13 ans il y a trente ans. Il s’est enfui des Etats-Unis et donc a fui la justice de son pays. Certes, depuis, la victime a pardonné. Alors ? Alors la justice ne doit-elle pas être la même pour tout le monde ? Ou bien l’artiste jouit-il d’une impunité définitive ? Je pense à ma fille qui va vers ses onze ans. Comment réagirais-je si c’était elle qui avait été violée ? En père ? En chrétien ? En artiste ? En citoyen ?

Autre affaire : France Télécom.
Il est absolument incroyable que le patron Didier Lombard dont 24 de ses salariés se sont suicidés n’ait pas donné (ou proposé) sa démission.
A-t-on à ce point perdu le sens des responsabilités ? On m’a toujours appris qu’il fallait assumer le mal que l’on fait aux autres. La moindre des choses n’est-elle pas d’admettre son incompétence ? 24 suicides tout de même, ce n’est pas rien. 24 familles détruites. Des enfants orphelins. Des conjoints démolis. Et même pas de regrets. Il parle d’une « mode du suicide » tout en s’excusant après. Pour simplifier on va dire que c’est un gros con. Et pour reprendre la génial réplique d’Audiard : « les cons, ça ose tout, c’est à ça qu’on les reconnaît. »

Pour rire : polémique entre Michel Drucker qui recevait dans son émission à la radio Marc-Olivier Fogiel. La polémique porte sur le ton agressif des questions de Michel Drucker posées à Fogiel, genre sur la sexualité de Fogiel.
Michel Drucker : « Alors Marc : casé ou pas casé ? Garçon ou fille ? À quand la photo de votre femme avec un bébé dans un landeau ? »
À propos du livre de Fogiel : À mon tour d’être sur le grill. Michel Drucker : « Il a été réglé à 2 le grill. Vous ne risquiez pas de vous brûler. »
Décidément la télévision a les animateurs qu’elle mérite. Peut-être que nous, on mérite autre chose.

Ce matin le boulevard de la Croix-Rousse est ensoleillé. Je ne peux m’empêcher de m’asseoir sur un banc et de contempler cette lumière si transparente. De l’autre côté, il y a le marché. C’est un paysage en mouvement où respire le goût de vivre. Cela m’émerveille. Je repense à l’après-midi d’hier où exceptionnellement nous avons tenu notre réunion d’équipe à l’heure du goûter. Ce fut une réunion absolument débridée. Dire que nous avons été efficaces serait très exagéré. Une humeur régnait, fantaisiste, plaisante, un peu absurde. Comme une tendresse amusée et ondoyante. C’est que la vie y était bondissante. (Rien à voir avec le management de Didier Lombard à France Télécom !!!)
Ces deux dernières années me furent une épreuve quasi assassine. Aucune colère, aucun ressentiment ne s’est emparé de moi. J’assume pleinement le fait que d’être amoureux vous démunit et que par la force des choses tous les coups font mal. Et Dieu sait que les coups, il y en eut !!! Mon émerveillement ce matin est peut-être venu de là. J’ai été heureux d’aimer même si cela m’a conduit le plus souvent au malheur. Il faut savoir à la fin être digne quelles qu’en soient les conséquences.

Ce soir reprise de Raquin.
Hier générale magnifique. Marc Voisin et Anne Comte rendent leurs corps si disponibles que tous les frémissements et les vertiges de la possession amoureuse y vibrent d’une manière incandescente. Merci à eux.
Florence Muller reprend le rôle de Claire Cathy. Celui de Madame Raquin. Avant d’être une belle comédienne, voilà une femme sensuelle, drôle, fidèle et tendre. Bonheur de la retrouver dans La Petite fille aux allumettes et dans Le Malade imaginaire.

Samedi mon fils sort son nouveau CD. Son groupe s’appelle le Baron Perché. Il écrit les textes et est le chanteur. Soirée mémorable. Ces temps-ci nous nous parlons beaucoup, nous nous sommes beaucoup rapprochés l’un de l’autre. Je suis très fier de ce qu’il est. Ses sœurs l’adorent et c’est très beau ce trio recomposé. Quand je suis au milieu d’eux, je me dis que j’ai de la chance. Marie, avec son mètre 67 et ses 10 ans et demi, file vers l’adolescence et est amoureuse tous les matins d’un nouveau garçon. Marline et ses 8 ans et demi ne cesse de danser dans sa chambre, en se mettant inlassablement les mêmes CD. Damien est amoureux de Sophie, et Sophie est amoureuse de Damien. Ils essayent de se composer (recomposer) un avenir. Elle a trois enfants. Elle est mignonne et gaie. Ils sont venus me voir à l’hôpital en août, deux jours après mon opération. On s’est assis au bout du couloir. Près de la fenêtre. C’était doux et tendre.

mardi 29 septembre 2009

Rentrée du blog !!!

Presque trois mois sans écrire le moindre mot. Juillet, août, septembre comme retirés du monde, en tous cas, absolument silencieux. Et ce silence peut être dangereux, car il laisse le terrain libre à toutes les rumeurs. Tentons donc de retrouver les événements dans l’ordre où ils me viennent (qui n’est pas l’ordre chronologique), dans l’ordre de mes émotions dirions-nous.

D’abord revenons à l’essentiel : la création de Maman j’ai peur dans le noir. Ce spectacle fut un enfer à imaginer et à porter à la scène (à jouer ?) et pourtant ce fut un moment de théâtre unique. J’ai eu le sentiment chaque soir que j’allais trop loin dans une sorte de mise à nue, presque mortelle. Je n’ai cessé de penser à Molière et à sa dernière interprétation du Malade imaginaire. À sa mort quelques heures plus tard en coulisses. Au fond, je n’ai rien fait d’autre dans ce spectacle que de conjurer la mort. A travers cette conjuration, il me fut aisé de jouer avec le sens de la vie, de m’amuser de manière presque enfantine avec cette éternelle question : qu’est-ce que c’est qu’être vivant ? Et que doit-on faire de notre vie ?

J’en appelais au Curé d’Ars, à Dieu, à C. Jérôme, à Patrick Dewaere, à la médecine, aux femmes, aux enfants… enfin à tous les êtres qui me traversaient l’esprit et le cœur pour qu’ils m’aident à trouver une réponse la plus digne possible.
Evidemment, ces interpellations et ces tête-à-tête provoquèrent le rire… Dialogues absurdes, naïfs, mais bon, quand on s’abandonne au dénuement, on ne s’occupe plus de ce que les autres pensent. On fait ce que l’on peut.

Ce qui m’a bouleversé chaque soir (il y en eut dix) c’est que le public m’a profondément suivi dans ce vertige. Sans que cela soit dit, il a partagé ce qui ne fut rien d’autre qu’un élan d’amour. Un "sauve qui peut". Car quand la peur vous saisit (peu importe d’où elle vient) on se demande si l’on a assez aimé, si l’on a été suffisamment sincère. Si l’on n’a pas fait trop de mal, si l’on n’a pas trop menti, ni trahi, si l’orgueil n’a pas tout faussé ? Chaque soir j’ai ressenti que le public me rassurait autant que possible. Dans ses applaudissements si tendres.

Je découvrais qu’au fond, je n’étais pas un "si mauvais homme que ça". Drôle d’impression, et ma peur, ma fatigue de moi-même s’évanouissaient. La critique écrivit des articles extrêmement émouvants. Chacun comprit qu’il ne s’agissait pas là d’un exercice d’autoglorification, mais qu’à travers sa peur et sa souffrance, l’on avait une chance de mieux comprendre le monde et surtout de mieux assumer sa responsabilité d’homme de théâtre. Comment comprendre la souffrance des autres si soi-même on est peuplé de certitudes, de mépris, de jugements à l’emporte pièce, de prétention. C’est impossible.

Depuis que j’ai commencé à écrire ce blog, il me semble que je n’ai cessé d’invoquer cette humilité nécessaire, ce doute permanent, cette obsession de la tentative…
L’on voit où mènent ceux qui soi-disant possédaient la vérité. Revenir toujours à ce que nous sommes, et inlassablement corriger nos faiblesses, éloigner nos lâchetés, dissoudre nos certitudes. « Ce que nous sommes », voilà un titre de spectacle à inventer.
Voilà pour septembre !

Août maintenant. Sept jours d’hospitalisation. Rien de grave, mais comme m’a dit le professeur qui m’a opéré : mieux vaut être prévoyant. J’ai donc été prévoyant.
Drôle d’expérience que de vivre l’hôpital au mois d’août quand toute la France est en vacances (y compris dans le milieu hospitalier). Le lendemain de l’opération, je déambulais dans les couloirs avec mon fils, ou mon assistant E. Robin, ou mes filles et leur mère. Les médecins depuis plusieurs années ne cessent de me dire que j’ai une constitution redoutable et une santé de fer. Moi, l’hypocondriaque absolu, je commence seulement à me convaincre qu’ils n’ont peut-être pas tort.
C’est que mon corps je m’en suis toujours méfié.
Je ne lui ai jamais fait totalement confiance. Peut-être ces temps-ci se rue-t-il dans les brancards comme pour me dire que j’ai été très injuste avec lui (trop). Toujours est-il que depuis ces derniers mois je prends soin de ne plus le contrarier et de lui dire combien j’ai besoin de lui.

Juillet enfin.
Pris la décision de ne plus m’abimer le cœur dans un amour qui a fini par basculer dans le vide. Et je n’ai pas eu envie de basculer tout entier dans le vide. Tant pis pour cet amour-là ! Paix à son âme. J’ai choisi de rester digne.

Voilà, comme dirait l’autre, un trimestre bien rempli. Dire que ce trimestre-là ne m’ait pas un peu fatigué serait si ce n’est mentir, du moins exagérer. Qu’en ce moment je rêve de vacances, de soleil, de bord de mer (même avec un temps gris), de liberté, certes. Mais étrangement, peu à peu une sorte de rage de vivre s’empare de moi.

Le théâtre connaît un succès impressionnant. Pour la première fois, plus de 10 000 abonnés. C’est donc que l’usure n’est pas de mise. Que la confiance dans cette maison ne cesse de croître.
Nous travaillons pour l’année prochaine à une toute nouvelle organisation de la saison. C’est une chance bénie que d’être ainsi au cœur des mouvements de la société, de ses soubresauts, de ses chaos, de son avenir. Essayer encore et toujours de réconcilier les rêves et la réalité. De ne mépriser ni les uns ni les autres, pour tenter de trouver "l’ouverture". Car plus que jamais je pense que nos maisons doivent être ouvertes. Elles doivent respirer l’horizon. À nous d’inventer (dans nos faibles pouvoirs) un horizon "qui danse".

A propos de la sortie du film Le dernier pour la route avec François Cluzet, lu beaucoup d’interviews de lui. Acteur magnifique. Il dit à un moment : « On a fait les frais de l’individualisme stérile. Les faux héros de la performance égoïste se révèlent des escrocs et des imposteurs. Tant mieux si on commence à changer d’époque et à s’apercevoir que les profiteurs laissent vraiment trop de gens sur le bord de la route. Je suis convaincu que le progrès passera par le fait d’accepter les plus faibles et non pas de se retrouver entre forts. »
C’est dit et c’est bien dit.

Beaucoup d’autres choses à dire…
Mais la reprise de Thérèse Raquin m’attend. Répétitions et jeudi, première.
Pour finir, cette phrase de Thérèse à Laurent, son amant :
« J’ai ton odeur dans ma bouche. »
Voilà qui là encore est dit et bien dit !

mardi 7 juillet 2009

COMMUNIQUÉ

En ce mois de juillet, Philippe Faure écrit et répète Maman j’ai peur dans le noir. Rien à voir avec ses deux précédents solos.
De quoi s’agit-il ? D’oser tout dire.
De la mort d’une mère, à une anémie qui a failli être fatale.
D’une veine de cocu, au théâtre qui tombe du ciel.
De la peur de vivre sans interrupteur, à l’obsession de ne pas mourir dans les bras d’une femme en faisant l’amour. Du mystère des caresses. Et bien d’autres aveux.
Il n’y a là aucune complaisance aussi douloureuse soit-elle, mais au contraire le désir fou de ne plus avoir peur dans le noir. Sorte de délivrance. Pudeur ou impudeur, en tous cas nulle mégalomanie, juste une heure durant être libre de se mettre à nu, comme si le ridicule de la nudité pouvait le sauver de lui-même.
Maman j’ai peur dans le noir, serait donc en fin de compte l’histoire d’un sauvetage. Mais naturellement avec Philippe Faure il est permis d'espérer que tout cela prêtera à sourire, à rire et pourquoi pas à délirer.

Bonnes vacances à tous les bloggeurs !

lundi 29 juin 2009

Où il est question du respect que l’on se doit à soi-même

Vu à la télévision ce spot très impressionnant relatif aux femmes battues. On voit une femme belle, aller et venir dans la vie, et on entend une voix d’homme (off) l’insulter : « Cette femme est un boudin, c’est une salope, une garce… etc.» Puis soudain, la voix off affirme : « C’est ma femme. » Alors apparaît à l’écran un homme qui marche à côté de la femme en question et pose sa main sur son épaule comme une menace. La femme, dans un mouvement d’épaule imperceptible, fait glisser la main de l’homme dans le vide. Le visage de celui-ci est crispé de haine. Enfin, le spot se conclut par une voix qui dit : « Ne laissez jamais la violence s’installer » (ou « s’avancer », je ne sais plus le mot exact).
Ce spot, avec sa rigueur et sa sobriété, dit l’essentiel. Tout être humain a droit au respect de "celui qui est vivant". Pas d’insulte, pas de main levée, de coups portés, pas d’humiliation.
Certes, lorsque les coups s’abattent sur des êtres fragiles (enfants, femmes, aînés), c’est monstrueux. Mais ne passons pas sous silence ces "hommes battus", déchus de leur masculinité, abimés, et réduits à néant. Souvent, ceux-là, ce ne sont pas les coups qui ont eu raison de leur équilibre, mais les mots insultants et dégradants, le refus de leur accorder le moindre intérêt. Certaines femmes s’entendent parfaitement à les saccager. Je connais certains de ces hommes. Oserais-je avouer que j’ai été l’un d’eux ?

Michael Jackson est mort.
C’est bien évidemment un génie.
Chacun s’accorde à désigner les blessures de l’enfance. La violence de ce père qui l’insultait et le frappait. Cette tragédie de se sentir seul à cinq ans.
Ce drame du "non amour" peut se résumer dans le fait que Michael Jackson était obsédé de ne pas avoir un nez qui ressemblât à celui de son père. D’où cette cascade d’opérations et ce nez sur la fin qui n’en était plus un. Faut-il souffrir dans son cœur pour imposer à son corps une souffrance pareille ? Car ce génie n’était que souffrance. De cette souffrance a jailli son "Moonwalk" comme un signe divin. Comme un signe rimbaldien. Comme une échappée belle : l’idée que l’âme des martyrisés est inatteignable et qu’elle a des ressources fulgurantes. Michael Jackson est une fulgurance.

Achevé de lire l’énorme confession de Daniel Cordier (900 pages), Alias Caracalla (Gallimard).
Confession bouleversante : « Depuis que je me suis mis à écrire sur Jean Moulin, j’ai un rapport absolu à la vérité. L’idée même de mentir m’est devenue insupportable. »
Daniel Cordier fut l’un des tout premiers français à rejoindre Londres dès le 25 juin 1940 à l’âge de 19 ans. Il fut ensuite pendant onze mois le secrétaire de Jean Moulin.
« Quand je suis parti à Londres, je n’avais qu’une obsession : tuer du boche. Or, quatre ans plus tard à la Libération, je n’en avais toujours pas tué un seul. Cela a été le désespoir de ma vie. » Plus loin : « Il y a une chose dont je ne voulais pas parler, une chose affreuse, impardonnable, c’est l’antisémitisme qui était le mien à l’époque. »
Témoignage douloureux, sur une époque en guerre, sur une simple vie d’homme, sur un remord, sur une rencontre du destin, sur une vérité que chaque homme se doit à lui-même.

Le premier juillet, c’est mon anniversaire. Jusqu’à ces dernières années, cette date (ce rendez-vous incontournable) m’était insupportable et, pourquoi ne pas le reconnaître, je le reniais. Cette fois-ci (et pour la première fois), je suis heureux de cet anniversaire. J’apprécie à sa juste valeur ce rendez-vous avec moi-même. C’est que depuis de longs mois, j’ai souffert plus que de raison une vie affective extrêmement brutale et puis un corps qui donne des signes de lassitude. Qui a mal. On a bien évidemment grand tort de s’éloigner de soi-même surtout si c’est pour se perdre dans la malhonnêteté de l’autre, dans son désir de destruction. Alors oui, cet anniversaire là, je l’accueille avec joie.
Qui l’eut dit !

Merci à Justine, patiente collaboratrice de ce blog. Sa discrétion, sa rigueur et sa pudeur ont été idéales. C’est avec grand plaisir que je lui ai proposé d’intégrer définitivement l’équipe de La Croix-Rousse.

Le succès un peu irrationnel de la nouvelle saison ne se dément pas. Au contraire. Il ne cesse de s’accentuer chaque jour. Toute l’équipe est aux anges. Serait-ce à dire que nous sommes une équipe d’anges ? N’exagérons rien. Nous sommes simplement une équipe heureuse de travailler ensemble, d’être ensemble.

Philippe Faure