jeudi 12 novembre 2009

Les larmes qui coulent

Dimanche dernier, visite du couvent de la Tourette imaginé (structuré) par Le Corbusier. Inouï bâtiment en béton brut. Des espaces dénués de tout détail, de tout symbole. Une nudité abstraite. Et tout autour une campagne verte, vallonnée, un bois, des chemins qui serpentent. On pourrait dire que Le Corbusier est un « créateur de vide ». Le plus impressionnant ce sont ces immenses façades de béton qui se taisent, ou qui prient ? Mais le béton a-t-il une âme ? C’est peut-être la vraie question que pose Le Corbusier.

Lu dans L’Express une très longue interview de Gérard Depardieu. J’ai souvent confessé que j’étais littéralement amoureux de cet homme. Il est en photo pleine page au cœur de l’article. Monstrueusement énorme, boudiné dans une chemise à fleurs rouge. Des mains si épaisses. Un visage bouffi. Quand je pense à lui, je le vois immédiatement courir dans les prés, curé de Bernanos et de Pialat : Sous le soleil de Satan. Il dit dans l’interview qu’il est un « explorateur de l’existence » et que c’est ce qui le rend libre. Il dit aussi qu’on « ne peut pas faire les choses seul », qu’il est une éponge, une grosse éponge. Il dit aussi qu’il faut « savoir ce que l’on veut » sinon on n’est rien. Prendre le risque de décider et d’aller au bout. Il dit encore : « Le beau c’est quand rien n’est sûr et quand rien n’est sûr il faut faire un effort sur soi pour arriver à quelque chose. » Enfin, il conclut : « Le bonheur et le malheur deviennent vite des obsessions si tu y penses. Il vaut mieux avancer avec l’autre. »
Je le revois dans Tartuffe, mis en scène par J. Lassalle. Poudré de rose, la voix à peine audible, comme une rivière qui coule… Je le revois dans La Femme d’à côté de Truffaut, dans Dites-lui que je l’aime de C. Miller, dans tant d’autres rôles. Il a la force de ceux qui ne cèdent jamais au découragement. C’est une sorte de paysan planté dans son champ, qu’aucune variation climatique ne parviendra à ébranler. Il est décidément le bossu de Manon des sources qui s’en prend à Dieu, là-haut dans un ciel qui ne veut pas pleuvoir. Il n’est pas un acteur, il est un homme pour de vrai. Il est aussi un orage. Il est un paratonnerre. La foudre le transperce et s’enfonce dans la terre.

Ma fille Marie a 11 ans. C’est son anniversaire. Quelques jours plus tard, Marline, sa sœur, aura 9 ans. Nous sommes en pleine période d’anniversaires. Elles sont si belles toutes les deux. Je n’ai jamais autant aimé être père. Je n’oublie pas mon Damien. Trois enfants si différents, mais je dois le dire, si pleins d’amour. Peut-être leur ai-je passé le message : il ne faut jamais avoir peur d’aimer et le dire. Les mots d’amour nous sauvent irrémédiablement de notre médiocrité. Enfin, être aimé nous donne le courage d’être nous-mêmes.

Il y a quelques mois, j’avais déjà évoqué ce don que certains ont : celui de la Gentillesse. Un livre sort : La Stratégie de la Bienveillance de Juliette Tournand. Selon elle, les personnes les plus gentilles seraient les plus heureuses. Jean Jacques Rousseau estimait que la gentillesse est l’attribut humain le plus désirable. Chez Voltaire, elle est signe d’intelligence. Stefan Einhorn (suédois) avait publié L’Art d’être bon, oser la gentillesse. Pourquoi la gentillesse est-elle toujours associée à la vulnérabilité ? Elle est aussi perçue comme un déficit, une infirmité, « trop gentil pour être honnête » dit-on. J’aime la gentillesse parce qu’au fond elle nous ramène à l’innocence perdue. Elle dit simplement à l’autre que c’est un bonheur qu’il existe, qu’il soit là. La gentillesse donne envie d’aimer. Inversement, les agressifs, les méchants n’aimeront jamais personne. Pas même eux. Ils se « prendront en grippe » comme on dit. Allez, n’ayons pas peur. Soyons tout en gentillesse !...

Beaucoup de spectateurs s’interrogent sur mon sentiment à propos du Roman d’un Trader. Spectateurs déçus. À la vérité, je dois reconnaître que si le spectacle dans son ensemble était tout à fait digne, la pièce elle-même était très décevante. N’entrant jamais dans le sujet, l’esquissant, le fuyant même, elle nous laissait comme un goût d’inachevé, de superficialité. Elle manquait d’engagement, de férocité, comme aurait dit un prof « hors sujet » et pourtant le sujet c’était bien celui-ci… Celui annoncé.

Philippe Vincent a créé son Woyzeck et son Cabinet du docteur Narcotique. Il y a chez ce garçon comme un désir de chaos. Les 2 spectacles multipliaient « les entrées » si l’on peut dire. Ce besoin d’une technicité envahissante (vidéo, sons, musique live, actions simultanées, emboîtées d’une salle à l’autre) m’interroge sur sa vision du monde. Et l’amour dans tout ça ? Le monde n’est-il à ses yeux qu’une machine infernale ? En tous cas, certaines images sont dignes de Francis Ford Coppola… Peut-être que si Marlon Brando avait été dans la distribution… Cela dit le spectacle a été un vrai succès (contre toute attente ?)

Ah ! Au fait, il y a un peu plus d’une semaine, j’ai beaucoup pleuré. Comme quoi, être directeur de théâtre ne protège pas du chagrin. Si les larmes coulent, c’est le signe que, ni on ne triche, ni on ne ment ; on se console comme on peut et puis la vie est là, qui nous attend.

« Les mots sont les passants mystérieux de l’âme. » (Victor Hugo)

« La brume, lugubrement empourprée, élargissait l’astre. On eut dit une pluie lumineuse ». (Victor Hugo)

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