lundi 30 novembre 2009

La Maladie d’amour

La Petite Fille aux allumettes et Thérèse Raquin sont sur les routes (alternativement, car il s’agit de la même équipe de comédiens) depuis la rentrée.
Cette dernière semaine nous étions au Centre Dramatique Régional de Rouen. Toute la semaine, ce furent deux représentations par jour assez triomphales. En tout cas, le spectacle était magnifiquement beau dans le théâtre d’Elisabeth Maccoco.
La semaine prochaine, c’est au tour de Thérèse Raquin de prendre la relève et ainsi de suite jusqu’en février.
Depuis maintenant presque huit ans, toutes nos créations ont parcouru inlassablement toute la France dans tous les sens. Ce nomadisme est très émouvant, car s’y installent des fidélités. Chaque théâtre a son âme, chaque patron de théâtre a sa sensibilité, chaque ville a sa vibration. D’années en années nous retrouvons des publics qui suivent notre travail, et à chaque fois ces retrouvailles sont heureuses. C’est une chance immense que d’être ainsi accueillis dans autant de théâtres différents. J’ai beaucoup de gratitude et de reconnaissance pour tous ces directeurs qui nous donnent leur confiance, qui la renouvellent. En tout cas, nous avons le souci chaque soir de présenter le meilleur spectacle possible. C’est ainsi que nous consacrons chaque fois 4 à 5 heures de raccords dans tous les lieux traversés. Il convient chaque soir de donner le meilleur de nous-mêmes.


Nous réitérons dans quelques jours l’opération Semaine des Vêtements Chauds (voir site). Cette année, nous y ajoutons la collecte de cadeaux neufs pour 200 enfants qui n’auront pas de Noël. C’est ce que Victor Hugo appelait sa « petite œuvre de fraternité pratique » lorsqu’il invitait à diner à Guernesey tous les orphelins et les adolescents en difficultés. J’ai la chance d’avoir autour de moi une équipe qui partage cette responsabilité ; que notre théâtre déborde de son rôle de rassembleur pour aborder le territoire de la solidarité. Nous ne cessons d’imaginer des dialogues avec tous les publics que l’on dit "empêchés" (mot à la mode).
Je veux être un artiste avec son tempérament, ses exigences et sa vision poétique, mais je veux aussi être utile, concrètement, immédiatement à ceux que la société oublie, délaisse, méprise.
Voilà, disons que je fais du théâtre pour n’oublier personne. Alors ces vêtements chauds et ces cadeaux je vous invite à les déposer dans les caisses en bois qui entoureront notre hall. Ensuite, nous ferons le nécessaire pour la redistribution. (La saison dernière, cette opération fut une réussite totale !)


La semaine dernière nous a réservé un événement bouleversant. Voilà que le spectacle de Bruno Meyssat, Observer, ne rencontre pas son public à l’abonnement. Jauges maigrichonnes. Je décide d’inviter tous les abonnés de notre maison (10500) en attirant leur attention sur l’étrangeté du travail de Meyssat, sur sa singularité, sur son audace et au fond sur son humanité.
Et là, en 3 jours, ce sont plus de 1000 personnes qui ont répondu à notre invitation. Magnifiques preuves d’amour.
Bouleversant, car c’est la preuve que notre public est vivant, attentif, fidèle, amoureux de théâtre. J’ai souvent, dans ce blog, fait allusion à mes états amoureux. Mais au fond c’est la seule chose que je voudrais qu’il reste de moi : "il fut amoureux", et quel bonheur de sentir que j’ai pu, autant que possible, vous rendre "amoureux".

À propos de cette initiative, j’ai reçu un mail d’Abraham Benghio (directeur général à la Région Rhône-Alpes), un homme pour qui j’ai une profonde estime. Dans un premier temps, il se réjouit de cette opération et puis il ajoute : « tu corrobores chaque jour ce que je dis souvent : "Ne dites pas de mal de Philippe Faure. C’est vrai qu’il peut être exaspérant, mais une telle générosité au service du théâtre, je ne l’ai pas souvent rencontrée…" » Evidemment j’ai été très touché même si je dois admettre que visiblement certains peuvent dire du mal de moi, et que j’ai pu être exaspérant pour d’autres…
Cela n’est rien, seule existe la conscience de ce que l’on fait, et puis je dois avouer que quelqu’un qui m’était très proche et très cher ne cessait de me traiter de "pauvre type" m’invitant plus que de raison à "me bouger les fesses" et souvent me répétant que je lui "polluais la vie". Cette personne fut toujours très généreuse dans son mépris. Sans doute n’étais-je pas digne d’elle. En tout cas, ça rend humble. Donc inutile dorénavant de dire du mal de moi. Ça ne pourra jamais être aussi violent que ce fut avec elle.


Actuellement nous travaillons ou plutôt nous rêvons beaucoup sur la saison prochaine. C’est que d’une certaine manière j’ai décidé de tout reprendre à zéro, de nous réinterroger sur notre mission, sur notre rapport au public, sur notre rôle auprès des artistes. Avec plus de 10000 abonnés, cette saison est glorieuse et c’est le moment où justement il convient d’oser réinventer notre travail, notre rôle. Ces temps-ci je travaille beaucoup (oserai-je dire intellectuellement ?). J’écris beaucoup de notes de réflexions, mais aussi du théâtre. Comment dire, après un passage à vide, les mots se sont à nouveau emparés de moi, comme si j’avais un besoin pressant de ne pas (plus) perdre de temps. Ce n’est pas rien que le théâtre, c’est le verbe qui prend possession du corps. J’ai conscience que le théâtre est fait de chair. Et l’incroyable alchimie du verbe et du corps (nous) donne une énergie vitale. Et il y a peu d’endroits où cette énergie-là est possible. Je pense bien évidemment à Molière, investi d’une telle énergie. Ah ! Ce Malade imaginaire que je me réjouis tellement de rejouer en janvier !


La chair. La peau. L’étreinte. La caresse. La souffrance. Le corps dans tous ses états et le verbe consolateur et révolutionnaire. Le verbe qui n’est que corps à corps. Zola, Hugo, Rimbaud, Verlaine, Molière, Zweig, Musset, Kawabata, Modigliani. Tous ces fous d’amour qui m’ont tant inspiré n’ont guère épargné leur corps et leur santé. Malades d’amour. Le théâtre est une maladie d’amour. Voilà qui est dit. Je n’en démordrai pas.


L’interne dont j’ai parlé précédemment dans ce blog (revenir en arrière) me téléphone.
- Vous allez bien ?
- Oui
- Ce serait bien que l’on se voit.
- Ce serait bien.
- Demain ?
- Oui, d’accord.
- Le matin tôt, après je suis toute la journée à l’hôpital.

Et là, je crois bon de plaisanter :
- C’est mieux le matin tôt
car je ne sors plus le soir…

Je ne peux m’empêcher de préciser :
- Enfin, pour le moment.
Sûrement que dans quelques jours, je vais ressortir le soir.

À l’autre bout du fil, elle rit :
- Sûrement. Alors, huit heures demain matin ?
- Merci d’avoir appelé.

Et là, elle conclut à ma grande stupéfaction :
- C’est moi qui ai envie de te dire merci.

Voilà qu’elle m’a tutoyé !


Samedi après-midi avec ma fille Marie. Ma petite amoureuse (comme eut pu dire Jean Eustache). On va chez le coiffeur. Elle est belle comme un cœur. Elle a chaussé les bottines à talons de sa mère. Elle est immense, et elle insiste pour que je lui donne le bras. Il y a des moments où la vie est un cadeau.

Philippe Faure

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