mardi 4 mai 2010

Dénicher l'Utopie ?

La plaquette de la saison 2010 / 2011 est à l'imprimerie (quel vilain mot que ce mot de plaquette). Dire livret serait plus juste (le mot n'est pas idéal non plus). Nous avons consacré beaucoup d'énergie à rêver, écrire et réaliser ces 76 pages. Sonia Araujo et Gabriel Guedj lui ont apporté un soin infini.

J'ai souhaité qu'elle ne soit pas un document de communication habituel (comme on dit). Mais bien plutôt qu'elle raconte le cheminement de notre réflexion. Faire le point de là où nous en sommes. De là où nous venons, et naturellement de là où nous désirons aller. J'évoque l'idée de refondation. Le mot est lourd de conséquences sans doute. En tout cas, il traduit un vrai besoin de se situer (ou de se resituer).

Nous sortons d'une saison à flux tendu. Presque une trentaine de spectacles, avec d'invraisemblables coups du sort, des urgences de toute nature. Il y eut Observer de Bruno Meyssat, où nous avons invité tous nos abonnés. Acte rarissime dans les maisons de service public. Mais il importait plus que tout que ce spectacle fut vu. Cette approche particulière de la tragédie d'Hiroshima était bouleversante et je crois qu'elle a bouleversé un grand nombre de spectateurs. Meyssat est un pur artisan du théâtre.

Nous avons dû changer les dates de La Vie devant soi avec Myriam Boyer pour cause de tournage du nouveau film de Bertrand Blier. 8 000 personnes pour 8 000 changements de date. Et cela en pleines vacances de Noël. Ce ne fut pas une mince affaire. Nous avons été très touchés pas la confiance de chacun qui a fait tout son possible pour se reporter à une date ultérieure. Le spectacle bouleversa. Myriam Boyer fut infiniment heureuse de son séjour croix-roussien et donna sur scène le meilleur d'elle-même.

Il y eut l'épisode des Cauchemars du gecko où nous dûmes annuler deux représentations. Le camion transportant décor et costumes tomba dans un ravin à la sortie d'Aurillac. La troupe présenta avec les moyens du bord une seule soirée de ce spectacle. Ce fut là encore bouleversant.

Etrangement tous ces accidents de parcours donnèrent à la saison une énergie particulière. Le théâtre est plus fort que les coups du sort. On le croit à terre et le voilà qui se redresse, qui ressurgit, qui nous emporte. Le théâtre ne se résigne jamais.Il n'a peur de rien. Au fond, le théâtre est libre d'être ce qu'il est. Un territoire singulier où tout est possible : raconter le monde, détailler un acte ordinaire, déchirer l'horizon, revendiquer un langage inconnu, prendre parti, rêver au-delà de nos rêves.

Aujourd'hui le théâtre est mal aimé par le pouvoir. Mal aimé parce que jugé inutile ou pire snob, en tout cas négligeable. Comme si le peuple (nous) devions nous contenter de "regarder passer les trains". L'urgence serait de se taire (alors que le théâtre est un lieu de paroles), et quand il fait silence c'est pour mieux dire encore nos peurs et nos rêves.

Ce pouvoir-là n'a pas compris que le peuple avait besoin de se sentir humain et citoyen. Rassemblé sur l'idée que nous ne sommes rien les uns sans les autres. Le théâtre est l'ennemi héréditaire de la solitude (des solitudes). J'avais placé beaucoup d'espoir dans la nomination de Frédéric Mitterrand au poste de ministre de la Culture. J'aimais l'homme et son travail. Malheureusement, il n'a pas su initier une vraie politique de service public. Il a géré la culture à "la petite semaine". Sans doute n'avait-il pas le poids politique suffisant pour sortir du rang et nous montrer le chemin.

Ainsi est-ce à nous, à chaque directeur, à chaque artiste, de prendre les choses en main : d'inventer des formes renouvelées de rassemblement, de déterrer des symboles enfouis depuis si longtemps dans l'indifférence du sommet de l'Etat. Celui-ci remet en question les collectivités territoriales (ville, région, conseil général). Mais heureusement qu'ils sont là : attentifs et courageux. Ils sauvent la Culture autant que faire se peut.

Il n'y a là dans mes propos aucune amertume ni même colère. Il n'y a que le désir de faire, honnêtement, poétiquement et civiquement. Si j'osais, je dirais : "j'en appelle au peuple". Osons.

Et rendez-vous de toute façon le 31 mai pour la présentation de saison. Nous essayerons ce jour-là de dénicher l'utopie.

Philippe Faure

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