mardi 25 mai 2010

Ma plus belle soirée de théâtre au Théâtre de la Croix Rousse

Récits de juin de Pippo Delbono

Samedi 22 mai à 20h, unique représentation de Pippo Delbono de ses Récits de juin. Toute la salle est debout à la fin. A vue de nez, 10 minutes d'applaudissements ininterrompus. Chacun est sous le coup d'une émotion physique et quasi irréelle. Que s'est-il donc passé pendant l'heure 30 de ces Récits de juin ? D'une manière elliptique et morcelée, Pippo nous raconte l'histoire de sa vie, ses rapports avec sa mère, son grand amour avec son ami qui s'est fracassé contre un mur en scooter. Il nous raconte ses premiers pas au théâtre, plus précisément aux cours de théâtre. Il nous raconte le jour où il apprend qu'il est séropositif. Et il nous raconte sa vie d'homme de théâtre. Enfin, sa rencontre avec Bobó, qu'il a délivré de quarante cinq ans d'asile psychiatrique. Tous ces moments de sa vie sont racontés extrêmement brièvement et systématiquement s'échappent vers les poètes : Artaud, Pasolini.

Tout cela est évidemment bouleversant. Mais ce n'est rien par rapport à ce que Pippo Delbono donne à voir de son corps. Car soudain son corps d'homme légèrement enrobé devient une sorte d'exutoire de la souffrance, de tentatives déchirantes, d'audaces presque chorégraphiques qui pourraient paraître misérables. Pippo est un jouisseur et en même temps son corps est son pire ennemi. Alors, il tente des sortes de reptations infirmes, des gestes invraisemblables de naïveté, des coups de sang et des coups de folie. Il ne danse pas, il essaye d'élever son corps vers une légèreté impossible. Toute la salle est restée stupéfiée par autant d'humilité. Voilà un artiste qui ne fait pas de spectacles mais qui interroge la nature humaine dans ce qu'elle a de magnifique, d'injuste et de mortel. Et lorsqu'à la fin Bobó, dont il nous a parlé, cet être venu de nul part, monte sur la scène en s'appuyant sur sa canne, je crois pouvoir dire que les larmes sont venues à une grande partie des spectateurs.

Ce moment de théâtre est pour moi, depuis que je dirige le Théâtre Croix-Rousse, une des choses les plus essentielles que j'ai vue sur scène. Une des plus bouleversantes. Je crois pouvoir dire qu'à sa manière, Pippo Delbono réinvente douloureusement le théâtre à travers notre pauvre condition d'être humain. Parfois dans le rôle de directeur de théâtre, il arrive qu'on ait des joies inattendues, d'une certaine manière je pourrais dire que ces Récits de juin ont été une joie effrayante et j'aurais voulu dire ce soir-là combien j'ai été ému par le public qui a fait corps avec un artiste non répertorié, non codifié, avec un homme dans toute sa grandeur originelle. Si certains de ces spectateurs lisent ce blog, qu'ils reçoivent toute ma tendresse. Décidément, le théâtre est vraiment l'œuvre des poètes et non des malins et, comme Rimbaud, Pippo Delbono brûle sa vie aux horizons insoupçonnés.

Philippe Faure

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