mardi 1 juin 2010

Le blog déménage!


Retrouvez le blog de Philippe Faure sur le nouveau site du Théâtre de la Croix-Rousse.

vendredi 28 mai 2010

Pas de risque de s'endormir pour la présentation de saison

Jour J-3. Ce lundi 31 mai présentation de la saison à partir de 19h30. Derniers petits détails à régler, mais tout est prêt. Que dire sans dévoiler d'ores et déjà le contenu de la saison ?

Première chose, elle est extrêmement ramassée. Seulement 10 spectacles. J'aurai l'occasion de commenter ce choix radical. Deuxième chose, artistiquement, il me semble que c'est la plus impressionnante que nous ayons eu (sans doute, la réduction de la programmation nous a t-elle aidés à faire des choix essentiels). Troisième chose, ce soir-là, donc ce 31 mai, je m'apprète à tenter un happening qui risque de rester dans les annales (en tout cas dans celles du Théâtre de la Croix-Rousse).
Enfin, je me réjouis, qu'aussi bien dans la forme (dont je viens de parler) que dans le fond, nous engagions cette maison dans une vraie réflexion et dans un vrai pari sur l'avenir. Au fond, quel sens cela a t-il aujourd'hui dans une période de crise qui évidemment touche les plus précaires d'animer un théâtre et de faire entendre la parole des poètes. Comment inscrire une maison comme la nôtre dans une réalité sociale chaque jour plus difficile à vivre. Rassurez-vous, tout cela sera dit sans grand discours mais je l'espère avec fantaisie. Nous vous demandions dans une précédente information de préparer ce soir-là votre plus beau sourire, j'insiste beaucoup sur cette sollicitation. Il convient qu'ensemble nous nous réjouissions.

Je ne résiste pas à vous dire quelques mots d'un spectacle qui vient d'être créé au Théâtre Vidy-Lausanne et qui sera chez nous en octobre. Il s'agit d'un texte de Lydie Salvayre, La Médaille, mis en scène par Zabou Breitman. Il s'agit au sens propre d'une remise de médailles dans une entreprise pour des gens qui partent à la retraite. Le spectacle est irrésistiblement drôle, ce qui n'exclut pas une certaine cruauté. Le début et la fin sont formidables d'inventions. On rit, on est touchés, on a des fois envie de pleurer et à la fin, au sens propre, on fait tous "la chenille". J'ai découvert en Zabou Breitman une fille vraiment formidable, drôle, douce, attentive, formidablement vivante. Enfin, ce soir-là, jeudi dernier, René Gonzalez, qui dirige ce grand théâtre européen et qui a traversé ces derniers temps une sorte de tsunami médical, qui a failli l'emporter, m'annonce que son dernier scanner indique une guérison. Inutile de dire que cette nouvelle nous a tous enflammés. Du coup, entre La Médaille, Zabou Breitman et René Gonzalez, la soirée fut magnifique.

Mais n'allons pas plus loin dans le récit de la prochaine saison. Inutile de vous dire que je vous attends impatiemment avec toute la tendresse dont de suis capable et pour ceux qui ont pris l'habitude de fréquenter cette maison, ils savent que côté tendresse je n'ai pas peur de m'économiser. A lundi donc pour ce moment que nous avons toujours voulu depuis le début festif, fantaisiste, et parfois délirant qu'est la présentation de saison. Hors de question pour nous de prononcer de grands discours, de s'éterniser sur les créations, en gros de s'endormir dans le confort des fauteuils. Nous avons toujours préféré vous transmettre notre joie d'habiter cette maison et de vous faire découvrir des artistes que nous aimons. A lundi !

Philippe Faure

mardi 25 mai 2010

Ma plus belle soirée de théâtre au Théâtre de la Croix Rousse

Récits de juin de Pippo Delbono

Samedi 22 mai à 20h, unique représentation de Pippo Delbono de ses Récits de juin. Toute la salle est debout à la fin. A vue de nez, 10 minutes d'applaudissements ininterrompus. Chacun est sous le coup d'une émotion physique et quasi irréelle. Que s'est-il donc passé pendant l'heure 30 de ces Récits de juin ? D'une manière elliptique et morcelée, Pippo nous raconte l'histoire de sa vie, ses rapports avec sa mère, son grand amour avec son ami qui s'est fracassé contre un mur en scooter. Il nous raconte ses premiers pas au théâtre, plus précisément aux cours de théâtre. Il nous raconte le jour où il apprend qu'il est séropositif. Et il nous raconte sa vie d'homme de théâtre. Enfin, sa rencontre avec Bobó, qu'il a délivré de quarante cinq ans d'asile psychiatrique. Tous ces moments de sa vie sont racontés extrêmement brièvement et systématiquement s'échappent vers les poètes : Artaud, Pasolini.

Tout cela est évidemment bouleversant. Mais ce n'est rien par rapport à ce que Pippo Delbono donne à voir de son corps. Car soudain son corps d'homme légèrement enrobé devient une sorte d'exutoire de la souffrance, de tentatives déchirantes, d'audaces presque chorégraphiques qui pourraient paraître misérables. Pippo est un jouisseur et en même temps son corps est son pire ennemi. Alors, il tente des sortes de reptations infirmes, des gestes invraisemblables de naïveté, des coups de sang et des coups de folie. Il ne danse pas, il essaye d'élever son corps vers une légèreté impossible. Toute la salle est restée stupéfiée par autant d'humilité. Voilà un artiste qui ne fait pas de spectacles mais qui interroge la nature humaine dans ce qu'elle a de magnifique, d'injuste et de mortel. Et lorsqu'à la fin Bobó, dont il nous a parlé, cet être venu de nul part, monte sur la scène en s'appuyant sur sa canne, je crois pouvoir dire que les larmes sont venues à une grande partie des spectateurs.

Ce moment de théâtre est pour moi, depuis que je dirige le Théâtre Croix-Rousse, une des choses les plus essentielles que j'ai vue sur scène. Une des plus bouleversantes. Je crois pouvoir dire qu'à sa manière, Pippo Delbono réinvente douloureusement le théâtre à travers notre pauvre condition d'être humain. Parfois dans le rôle de directeur de théâtre, il arrive qu'on ait des joies inattendues, d'une certaine manière je pourrais dire que ces Récits de juin ont été une joie effrayante et j'aurais voulu dire ce soir-là combien j'ai été ému par le public qui a fait corps avec un artiste non répertorié, non codifié, avec un homme dans toute sa grandeur originelle. Si certains de ces spectateurs lisent ce blog, qu'ils reçoivent toute ma tendresse. Décidément, le théâtre est vraiment l'œuvre des poètes et non des malins et, comme Rimbaud, Pippo Delbono brûle sa vie aux horizons insoupçonnés.

Philippe Faure