vendredi 16 janvier 2009

Dans la froidure de l’hiver

Revu en partie hier soir à la télévision Lucie Aubrac de Claude Berri. La Résistance est une période qui m’a toujours impressionné. À plusieurs reprises, j’ai tenté d’écrire une pièce sur ce moment d’histoire. Malheureusement, toutes mes tentatives sont restées vaines. L’idée est ancrée en moi et je ne désespère pas un jour de trouver "le bon angle d’attaque", si j’ose dire.
Pour en revenir au film, je suis fasciné par l’interprétation de Patrice Chéreau en Jean Moulin. J’adore cet acteur (comme metteur en scène, il est mon dieu avec Antoine Vitez). Ce visage impassible, bouche serrée, yeux quasi exorbités "pris" dans une sorte de fixité aux aguets, sa voix sombre et neutre, quelque chose de grave et de secret transparaît, comme l’inquiétude d’un drame qui couve. J’ai souvent aimé les metteurs en scène acteurs (Berri, Chéreau, Boëglin, Planchon, Jouvet…). Ils ont un poids qui impose un jeu retenu, presque silencieux.

Au cœur du film, la trahison. J’ai beaucoup été trahi dans ma vie, et jamais je n’ai su gérer une trahison. J’ai toujours été stupéfait que l’on puisse trahir "l’autre". Je n’ai jamais compris que l’on trahisse. Du coup, je n’ai jamais eu à pardonner car on ne pardonne que lorsqu’on a été blessé. Or, les trahisons ne m’ont jamais vraiment blessé. Je m’en suis désintéressé et j’ai abandonné les "traîtres" sur le bord de la route.

Aujourd’hui, c’est un comble. La presse est pleine du retour de Jean-Marie Messier. Qui plus est, il s’exprime à longueur de colonnes sur son diagnostic de la crise financière. Décidemment, les journalistes n’ont peur de rien, eux qui l’ont assassiné à coups d’éditoriaux vengeurs. Moi, Jean-Marie Messier, ce qu’il dit, je m’en fous, mais alors à un point…

Les gros buveurs de café ont davantage d’hallucinations que les consommateurs normaux selon une étude britannique… Maintenant, je comprends mieux pourquoi j’hallucine aussi souvent.

Julien Dray aurait dépensé 350.000 € avec sa carte bleue. On dit qu’au plan politique il a pris du recul. C’est bien le moins, non ?

315 enfants palestiniens sont morts à Gaza. C’est incroyable qu’en 2009 les enfants viennent au monde pour mourir sous des pluies de roquettes. Pourquoi le monde ne veut-il pas être en paix ? avec lui-même.
Vu un reportage sur des soldats dans un tank. Sincèrement qu’est-ce qu’il y a de plus con qu’un tank ? A quoi ça sert ? Ça sert à tuer, et ça tuer, on ne peut pas dire que ça serve à grand chose ! Si ce n’est à tuer encore. Et après, on fait quoi ? Non décidemment, le tank est l’une des inventions les plus cons qu’aient imaginées les ingénieurs. Il y en a d’autres, comme par exemple les sous-marins nucléaires. Ça aussi c’est gratiné comme invention.

Hier au soir, retrouvé une vieille (!) connaissance en anorak rouge. Ces retrouvailles m’ont profondément ému. J’ai eu l’impression de me retrouver moi-même. J’ai écrit, il y a quelques années, une pièce, Il voulait voir naître une étoile filante. L’histoire d’un père et d’un fils autiste dans un pré, la nuit, à guetter les étoiles filantes. Le personnage du fils était vêtu d’un gros anorak bleu. Décidemment, les anoraks me poursuivent. Enfin, hier au soir, c’est moi qui ai rattrapé l’anorak rouge par la manche, sinon il s’enfuyait ; et c’eût été vraiment dommage. D’ailleurs, j’ai son numéro de téléphone. Sauvé !

La Billetterie de notre théâtre explose. Chaque jour, les locations s’affolent. Le Nouveau Testament et Andromaque font salle comble… et les spectacles suivants affichent complet. Nous sommes à 9.600 abonnés. Nous jouons presque tous les jours depuis septembre (y compris les 15 jours de vacances d’hiver ; Noël, jour de l’an). J’ai l’impression d’habiter dans cette maison, où l’ambiance de l’équipe n’a jamais été aussi bonne. Elle accomplit (l’équipe) sa mission dans une sorte de plénitude et le public le sent, le ressent.
Quelle chance de diriger un théâtre aussi fréquenté. Et le public est si mélangé, si métissé . C’est le peuple du Théâtre de la Croix-Rousse. Génial !

Il y a une petite quinzaine de jours, j’ai mis ma vie personnelle "au clair". Et aujourd’hui, je suis un homme libre. Je n’ai plus à fuir (à me fuir). Il y a longtemps que je n’avais pas été aussi fier de moi. Enfin, je n’ai plus à "faire semblant".

Je lis cette phrase de George W. Bush : « Je veux juste que vous sachiez que quand nous parlons de guerre, c’est en fait de la paix dont nous parlons. »
Celle-ci encore : « Je sais que l’homme et le poisson peuvent coexister pacifiquement. » Il était vraiment grand temps que ce président-là rentre à son ranch, et s’occupe de ses barbecues !

Avant-hier, les trottoirs de Lyon, les places et les rues étaient dangereusement gelés. Tout le monde glissait, dérapait, se tenait aux murs des immeubles ! N’était-ce pas une sorte de métaphore de notre société, qui a tant de mal à marcher droit.

Philippe Faure

mercredi 14 janvier 2009

Les Vœux du Président

Nicolas Sarkozy aurait-il lu mon blog hier ?
Je réclamais "tous les pouvoirs" aux artistes. Or à Nîmes, lors de ses vœux au milieu culturel, il a délivré un message "d’amour" aux créateurs. Ajoutant même que dans le domaine amoureux, "les preuves" comptent plus que "les mots". Aussitôt dit, aussitôt fait. Concernant le spectacle vivant, il a annoncé le déblocage de la totalité des crédits mis en réserve, soit un bon tiers de la centaine de millions gelés dans le budget de la culture.
Semble-t-il, il s’est éloigné de la notion "d’obligation de résultats".
Il a réaffirmé "son attachement au régime spécifique de l’intermittence".

Formidables nouvelles, donc. J’ai suffisamment par le passé critiqué sa vision étroite de la culture pour aujourd’hui me réjouir de cette intervention inespérée.

Hier, dans mon blog, je parlais de la France qui va assez bien et de la France qui va plutôt mal. Appelant Claude Lévi-Strauss à la rescousse, Nicolas Sarkozy a parlé de l’identité de la France, et dans "identité", nous retrouvons ce qui fait la spécificité de notre démocratie : Liberté, égalité, fraternité.
Enfin, le Président parle aux artistes.

Philippe Faure

mardi 13 janvier 2009

« Aux artistes les pleins pouvoirs »

Depuis le début de la saison, toujours la même ferveur du public. Les salles sont pleines à ras bord. Les locations journalières dépassent tout ce que nous avons connu jusqu’ici. De ce constat, je ne tire aucune gloriole, même si cela est réjouissant bien sûr.
Au contraire, une inquiétude ne me quitte pas. C’est ce que j’exprime régulièrement dans ce blog : que notre responsabilité n’a jamais été aussi grande. Le public a donc confiance en nous, puisque malgré la froidure, la crise ambiante, l’angoisse du lendemain, il vient de plus en plus nombreux dans notre théâtre. J’allais écrire, il vient de plus en plus disponible. Les spectacles des quatre prochains mois affichent quasiment tous complets (Laurent Gaudé ; la Cie A’Corps ; Duras, Chéreau et Dominique Blanc ; Shakespeare et Macbeth ; Feydeau ; Camus ; Sartre…). Alors ? Sans doute toutes ces années de travail inlassable ont-elles créé un terrain propice à la rencontre. D’une certaine manière, nous ne programmons pas de spectacles, nous invitons les uns et les autres à se rencontrer et évidemment à dialoguer. Les uns : les poètes, les artistes. Les autres : le peuple ! (toujours cette référence au génial Victor Hugo). Nous avons (l’équipe de la Croix-Rousse) la chance d’en être les intermédiaires nécessaires. Et cette chance, nous l’assumons avec de plus en plus d’humilité, de sens des responsabilités.
La politique (le politique) a renoncé à créer les conditions de cet indispensable dialogue où les idées s’échangent, les idéaux ressurgissent, les horizons sortent de terre. La politique, depuis si longtemps, ne s’est occupée que d’elle-même, que de son propre avenir (ce qui très malheureusement a été le cas lors du dernier congrès du PS). La politique n’écoute plus le peuple, comme si le peuple n’était pas à "la hauteur des enjeux", n’était pas digne d’intérêt.
Or, ici à la Croix-Rousse, nous avons une confiance absolue dans ce peuple de France : le peuple qui va assez bien et le peuple qui va plutôt mal. Nous pensons qu’il ne rêve que d’une chose : qu’on lui propose de s’épauler les uns les autres. Intellectuellement bien sûr, car aujourd’hui peu de vérités sont inébranlables ; toutes les vérités doivent s’adapter à un monde qui ne cesse d’être en mouvement. Fraternellement aussi, car la solitude nous guette tous, qui que nous soyons. Plus que jamais, j’ai conscience que le théâtre ne triche pas avec l’humanité. Il affronte à mains nues les contradictions, les doutes et les peurs de l’époque. Le théâtre, cet art si modeste, si artisanal, a en lui une énergie sidérante. Il prend "les choses en main", si j’ose dire. Il crée de la beauté morale (même quand il se rate). Le théâtre a ceci de particulier que chacune de ses tentatives est pour le moins un acte poétique. Et cet acte, dans sa fragilité, cherche toujours à rassembler, à donner un sens à nos vies. Voilà, le grand mot lâché : le sens. C’est ce qui fait que les poètes nous sont aussi nécessaires que l’eau ou l’oxygène. Leurs mots nous oxygènent le cerveau ; le contraire de ce que fait la politique qui asphyxie nos rêves.
Quelle tristesse aujourd’hui que de voir le Ministère de la Culture réduire les artistes à des êtres encombrants et inutiles. Ce même ministère les culpabilise chaque jour davantage. Il les assaille d’humiliations. Il ne comprend pas (parce qu’il n’est pas sur le terrain de la pensée) que les artistes excitent les consciences. Il décide tout "de là-haut", de sa prétention remplie d’ignorance. Enfin Madame le ministre, nous vous en prions : Laissez vivre les artistes. Donnez leur les "pleins pouvoirs". Ne rognez pas systématiquement leurs désirs. Oui décidemment, même si cela demande beaucoup d’énergie, c’est une chance d’être un "contre-pouvoir ".

Vu hier l’émission sur Jean-Paul Belmondo. Bouleversante interview. J’ai toujours adoré cet acteur, cet homme. Aujourd’hui le voilà abîmé par un coup du sort. Mais le regard est intact : malicieux, tendre, sincère. Et les plissures de cette bouche tordue par une demi-paralysie : rigolardes, naïves, amicales. Il y a de l’enfance dans ce visage aux traits grossis et profonds. Il y a surtout, qui vibre dans cette voix si particulière, un amour invétéré de la vie. C’est un artiste de la plus belle espèce : qui nous donne envie de jouer. C’est un homme admirable qui force l’admiration, même si, à vrai dire, il n’y a pas besoin de beaucoup se forcer pour l’aimer. Longue vie à lui.

Appris le coma de Claude Berri. Je ne saurais juger le producteur ni le metteur en scène. Mais l’acteur qu’il fut dans un certain nombre de films m’a toujours paru remarquable. Son livre (j’ai oublié le titre), récit impressionniste de sa vie était d’une qualité d’écriture surprenante. Ce bougonnement dans son visage un peu renfrogné, cette tristesse toujours dans son regard un peu bas, ses cheveux dépeignés, cette façon de parler toujours une cigarette entre les doigts, avec précipitation, gravité et étonnement… Claude Berri m’a toujours intrigué et fasciné. Après avoir rédigé ce billet, j’apprends que Claude Berri est mort.

Pris un café avec Sylvie Testud. Sans doute l’une de nos plus grandes comédiennes (si ce n’est pas la plus grande). Elle enchaîne film sur film. Elle souffre le martyre de ne plus pouvoir fumer dans les cafés (elle qui fume 2 ou 3 paquets de cigarettes par jour). Elle ne s’arrête jamais d’avoir envie de faire. Donc elle s’arrange tout le temps pour avoir "à faire".

Actuellement à la Croix-Rousse : Le Nouveau Testament de Guitry. Porte le spectacle un acteur qui me bluffe tous les soirs : François Marthouret. Il y a du génie dans son jeu, et l’homme est si fraternel. Il est un spectacle à lui tout seul. C’est injuste de dire cela, car le spectacle lui-même est de premier ordre.

Toujours les bombes à Gaza. Et dire que la guerre dure depuis 60 ans.

Pour finir, écrivons que nous allons, ici à la Croix-Rousse, pratiquer la Politique des poètes, en espérant que bientôt la politique, celle qui normalement devrait nous gouverner, réinvente la liberté, l’égalité et la fraternité.

Philippe Faure