lundi 29 décembre 2008

De Marc Aurèle aux vêtements chauds en passant par Bethléem

Il y a l’évidence par Marc Aurèle : « Accomplir chaque action comme si c’était la dernière. » Pour tout être de bonne volonté, cela crée une responsabilité supérieure : que cette dernière action ne soit pas une mauvaise action. J’avoue craindre sans cesse de déroger à cette évidence. Alors je me concentre de plus en plus sur les actes de ma vie. J’éloigne de moi, autant que faire se peut, la désinvolture, la lâcheté, la facilité, l’habileté. Je tente à chaque fois la rigueur nécessaire. C’est parfois harassant. J’ai beaucoup fui ma vie, à la vérité.

Encore cette évidence de Marc Aurèle : « Exercez-vous à regarder les choses dans leur nudité. » Je repense à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, et aux mesures qui doivent conduire au bonheur commun : http://
1/ Secours aux plus démunis.
2/ Distribution aux indigents des biens pris aux ennemis de la révolution.
3/ Taxation, châtiments des accapareurs.
Et Benjamin Constant d’affirmer : « Que l’autorité se borne à être juste, nous nous chargerons d’être heureux. »
Et Kant : « Seule la droiture morale décide de la valeur d’une vie. »

Diriger un théâtre, tout en mettant en scène, en écrivant, en jouant, en inventant le quotidien d’une maison presque toujours ouverte, c’est être en mouvement. Il ne s’agit pas évidemment de créer "du temps vide". Il s’agit de créer des espaces de liberté qui rendent accessibles "les œuvres capitales de l’humanité au plus grand nombre" (décret du 29 juillet 1959).

Quand on est libre, on est disponible. Et c’est cette disponibilité-là qu’il faut chercher dans l’autre, en chacun. Alors nous serons rassemblés dans "l’ordre de l’esprit". Nietzsche évoquait la religion du bien-être. Il s’insurgeait "contre l’idéologie du Troupeau" ; contre "l’aspiration servile au repos", s’emportait contre "le culte des loisirs », qui flatte la paresse. Voilà bien une attitude désastreuse : la paresse. Il y a tant à faire, tant à donner, tant à aimer. Surmontons les résistances, ne laissons pas s’installer le laisser-aller, le fatalisme, la résignation ou le cynisme. Toujours Nietzsche : « Soyons les poètes de notre existence, inventons notre vie. » La paresse me terrorise et je dois reconnaître que je lui mène une guerre permanente.

Pour revenir à Spinoza (pourquoi pas) : « Le désir comme une puissance de vie, comme le légitime mouvement vers l’estime de soi et la joie de vivre. » La paresse et le désir, voilà bien deux ennemis irréductibles.

Prennent fin six mois d’intense travail à la Croix-Rousse. Trois mois de répétitions pour le diptyque Zola/Andersen, et trois mois de représentations. Pas loin d’une cinquantaine de représentations de La Petite Fille aux allumettes et de Thérèse Raquin (en alternance). Des salles pleines, une critique élogieuse dans son ensemble, beaucoup de confrères se sont déplacés. Mais c’est surtout la fréquentation quotidienne de ces deux monstres sacrés que sont Zola et Andersen. Ils nous ont "tirés vers le haut" comme on dit vulgairement. Ils nous ont inspirés : Zola avec son regard impitoyable sur la condition humaine. Oui, nous sommes capables d’être monstrueux et cette monstruosité-là est en nous. Il y a comme un plaisir sauvage à s’y résoudre. Nous sommes capables de dépasser toutes les limites de la raison. Par amour ? Plutôt par orgueil, par vanité, par goût de la perdition, par détestation de soi. Comme si à l’évidence nous prenions conscience que nous ne sommes pas "aimables". Zola, une force de la nature, un monstre évidemment. Un critique a salué l’audace du spectacle : C’est que Zola nous a fasciné dans son "emportement viscéral".
Andersen, lui qui sait regarder chaque chose, chaque être, chaque mouvement sur terre, avec la grâce d’un poète, mais qui, si j’ose dire, "ne fait pas de cadeau". Il tue presque tout ce qu’il regarde. Il nous dit par-là (me semble-t-il), ne faites pas comme moi, "sauvez le monde". Et les poètes sauvèrent le monde parce qu’ils surent dépasser sa brutalité, pour nous inviter à une légèreté soudain retrouvée. Les deux spectacles partent en tournée dès le début du mois de janvier (jusqu’en avril). Quelle chance avons-nous de tourner autant depuis cinq ou six ans. C’est aussi sur les routes que le théâtre prend tout son sens…

Le jour de Noël, René Gonzalez (directeur du théâtre de Vidy. Le théâtre peut-être le plus inventif d’Europe.) est venu voir La Petite Fille aux allumettes. Ensuite pot-au-feu au bistrot de Lyon. Je dois beaucoup à cet homme (vraiment beaucoup). Il m’a fait confiance à un moment où j’avais perdu toute confiance en moi. Il m’a traité à cette époque d’égal à égal. Il m’a soudain rendu la fierté d’être un homme de théâtre. C’est un compagnon de route. Un homme qui donne envie d’être digne. Bien sûr, comme dirait Brel, "Nous eûmes des orages…". Bien sûr "Mille fois je pris mon bagage", mais la force de nos désirs fut toujours centrifuge. Longue vie à lui, si solitaire et pourtant si au milieu des autres. René Gonzalez c’est un arbre dont les racines sont enfouies si profond qu’il est indéracinable.

Pinter est mort. Je me souviens avec une extrême émotion de la mise en scène de No Man’s Land de Planchon. Distribution vertigineuse : Michel Bouquet, Jean Bouise, Guy Tréjean, André Marcon. Spectacle mémorable. Vu l’autre nuit un documentaire justement sur Planchon. Depuis quatre ou cinq ans, je lui propose de créer un spectacle à la Croix-Rousse avec de jeunes comédiens, et presque sans décor. J’ai eu envie qu’il retrouve chez nous sa liberté des débuts, son innocence. À chaque fois, il accepte ma proposition puis deux jours après s’embarque sur des propositions redondantes mille fois expérimentées. Dommage. Arriverai-je à le convaincre de se débarrasser de ses décors d’opéra ? Toujours est-il que je me considère comme un enfant de Planchon. Ah ! Tartuffe ! Ah ! Athalie ! Ah ! Périclès ! Ah ! Par-dessus bord, et ses Folies bourgeoises… Autant de spectacles que la jeune génération de metteurs en scène n’ont pas vus ! Le théâtre a de ces cruautés…

Quand même, Bernard Tapie dans Oscar sur France 2 le soir de Noël, faut le faire ! De Funès était un génie dans le rôle, il avait la grâce et la folie d’un oiseau pris dans les phares d’une voiture, en pleine nuit. Un oiseau qui se cogne contre une réalité malveillante et injuste. De Funès, un oiseau affolé aux prises avec tout le malheur du monde. Pathétique et maladroit, vibrionnant au-delà du raisonnable. Si seul qu’il fait peur et provoque un étonnement délirant. Tout le contraire de Bernard Tapie qui se regarde jouer, et pire, qui s’apprécie comme acteur ! La fin des haricots quoi ! Et puis c’est inutile de comparer l’incomparable.

Vu plusieurs fois Luchini ces jours-ci à la TV. Nous l’avons beaucoup accueilli à la Croix-Rousse. Nous fûmes complices. J’ai recherché, je crois son affection. Mais Luchini "n’aime pas". Il joue toujours à être lui-même. C’est fascinant et ennuyeux tout à la fois, car il ne nous surprend jamais. Quelle est sa vraie relation avec tous ses auteurs fétiches : La Fontaine, Péguy, Nietzsche, Hugo et les autres ? Mystère ! Sincère ou maligne ? Profonde ou amusée ? Au fond, la déception vient qu’il ne soit pas une énigme (comme Michel Bouquet). Il est si prévisible ! Cela dit nous avons beaucoup ri ensemble. Ce qui n’est pas rien !

Stupéfaction : Julien Dray s’achète des montres à 54000 €. Je l’ai souvent entendu s’insurger contre la politique de la Ville initiée par Sarkozy… L’abandon des banlieues, la réduction des subventions pour toutes les associations qui travaillent sur le terrain… Je lis qu’il est un "acheteur compulsif" ! Cette passion des montres… Soupçons d’enrichissement personnel. Certes il y a la présomption d’innocence. Mais tout de même, comment un homme normal peut-il s’acheter une montre à 54000 € et y prendre du plaisir. Ce mystère-là est désolant et pour le moins peu rassurant.

On annonce un froid glacial. Notre théâtre est bien chauffé. Il y aurait donc deux sortes de monde : celui qui meurt de froid, et celui qui est à l’abri bien au chaud ?... Cette question m’effraye et me rend si vulnérable. À ce propos, notre semaine des "vêtements chauds" (voir la vidéo)a dépassé toutes nos espérances. Les caisses profondes, alignées dans le hall, sont pleines de vêtements chauds (bonnets, gants, couvertures, anoraks, manteaux, etc.). Ce qui me bouleverse, c’est le soin avec lequel le public dépose ces vêtements dans les caisses. Tout est lavé, repassé, empaqueté avec parfois des rubans de fête autour. On sent beaucoup de délicatesse dans la façon de donner. Tous ces vêtements seront redistribués par le Secours Populaire. La représentation du 30 décembre recette entièrement reversée aux Restos du Cœur) est pleine.
J’aime que le théâtre sache aussi s’inscrire dans la réalité sociale. Ainsi le théâtre n’est-il plus un monde à part : C’est le monde ! (ambition shakespearienne, non ?)

Je redis ce que je répète sans cesse. Jean-Marc Avocat, dans le studio du théâtre, poursuit son aventure racinienne. Bientôt Andromaque (après Phèdre et Bérénice). Racine est un génie. Jean-Marc Avocat n’est pas loin d’en être un dans son genre. Quelle fierté de les avoir tous les deux dans notre théâtre pour une aussi longue durée. La saison prochaine, ils seront dans la grande salle avec leur trilogie d’enfer. Logique, non ?

Ce blog m’est devenu une respiration nécessaire. Au fur et à mesure, j’essaie de "m’y mettre à nu", de m’y retrouver derrière le directeur, derrière l’homme de théâtre. Je sais bien que j’y suis encore trop conciliant, trop bienveillant avec moi-même. Je voudrais y être encore plus "cru". En tout cas, je tends vers la lucidité. C’est déjà ça de gagné.
Pourquoi ai-je depuis quelque temps autant conscience de mon humble rôle sur terre et en même temps de ma volonté d’être utile. À la place où je suis, je ne me pardonnerais pas d’exiger tout de moi-même. Cette exigence me donne un goût nouveau d’avenir.

Je découvre les propos d’Olivier Py à propos de ses spectacles adaptés des contes de Grimm (que nous avons accueillis à la Croix-Rousse) : « Les enfants ont peut-être confiance en cette étrange poésie qui osera leur dire ce qu’ils n’osent pas demander. » Bravo pour cette vision : J’adhère. Il ajoute : « Les contes de Grimm manient des vérités inébranlables. » Grimm/Andersen : même combat.

Cette réplique d’Antigone apprise depuis toujours : « Je ne suis pas venue sur la terre pour partager la haine, mais pour partager l’Amour. » Évidemment !

Et tirées des Béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent ; ils seront consolés. »

J’ai trois enfants. Un garçon, deux filles. Je me dis que c’est beau d’être père. J’espère être digne d’eux. J’aime les enfants. J’aime qu’ils aient besoin de moi. J’aime aussi leur indépendance d’enfant. On se retrouve alors sur l’essentiel. Ne jamais les trahir. Les aimer dans la clarté d’une vie assumée. Leur donner en exemple le courage d’être soi-même dans ce que l’on a de meilleur. Mon Dieu quelle responsabilité ! Surtout ne pas se réfugier derrière les soubresauts de nos vies.

Vu à la télévision deux films.
Charlie et la chocolaterie de Tim Burton avec Johnny Depp. Tout y est magnifique. C’est un film inspiré. Et à la fin, Johnny Depp découvre "le bonheur d’avoir une famille ».
Bienvenue chez les Ch’tis. Prétendre que Danny Boon est le "Pagnol du Nord" c’est un peu exagéré ! C’est surtout n’importe quoi ! Pagnol avait le sens du tragique. La simplicité de ses mots nous amenait directement à l’absolu de l’amour. Tout ça avec un naturel quasi-documentaire. L’âme humaine n’avait pas de secret pour lui. Vivement Pagnol !

Début janvier, c’est Sacha Guitry qui prend le relais dans la grande salle. Un sacré voyeur ! Il voit tout. Surtout ce qu’il ne faut pas voir. Il y a chez lui l’ivresse de dire des vérités (toutes bonnes à dire). Le style emporte tout sur son passage. Guitry c’est un déferlement.

Hier, il y eut 300 morts après l’attaque d’Israël contre le Hamas. Et un peuple qui pleure ses morts. L’opération militaire s’appelait "Plomb durci". Sans commentaire ! Décidemment, seuls les poètes nous consolent de la folie humaine. L’arbre de Bethléem est éteint ! C’est un cyprès de dix mètres de haut. Il est éteint en signe de protestation. Vivement que la lumière soit.

Philippe Faure

jeudi 18 décembre 2008

Epaulons-nous les uns les autres

Nouvelle distribution de vivres aux Restos de Cœur. De plus en plus de monde : un métissage d’âges, de nationalités, de situations sociales, de détresses physiques et morales. Comme il est violent de donner à manger à ceux qui n’ont plus les ressources nécessaires pour se nourrir. Il y a comme un vertige, et comme une plénitude à être bénévole comme on dit.
Mais tout cela est-il réel ? Pourtant il existe bel et bien ce monde où 1 euro est une fortune.
Et tous ces milliards qui valsent au-dessus de nos têtes et dans notre dos, quelle valeur ont-ils ? Malheureusement la crise boursière nous rappelle qu’ils ne valent rien. Il faudrait revenir à "l’argent vrai". Celui que l’on gagne et que l’on dépense, celui que l’on investit concrètement pour développer les entreprises. Où est-il cet "argent vrai" ? Ce sont les banquiers, les actionnaires, les boursiers de malheur, les malins qui l’ont démonétarisé !
Et alors les petites gens, nous tous, nous courrons après cet "argent vrai". Mais il n’existe quasiment plus. Il est un vieux souvenir, du temps où 1 franc, c’était 1 franc. Maintenant 1 euro, c’est presque 7 francs. C’est le monde à l’envers. C’est le cas de le dire.

À partir de mardi, nous démarrons "La semaine des vêtements chauds". Je suis de plus en plus préoccupé que le théâtre rejoigne la réalité de la rue. Avec un petit spectacle en préambule des représentations de La Petite Fille aux allumettes, nous allons dresser le portrait de gens comme vous et moi… Sont-ils, sommes-nous, des sans-abri en puissance ? Malgré le succès incroyable de La Petite Fille aux allumettes et de Thérèse Raquin (près de 45 représentations archi-pleines), le malheur des gens de la rue m’empêche de me réjouir. Je veux (nous voulons ici dans cette maison) être acteur de ce sauvetage généralisé, car c’est bien de cela dont il s’agit… J’ai mal aux autres.

Quel bonheur que le théâtre soit un art rassembleur. Au moins, nous ne sommes pas inutiles sur terre. Nous rassemblons. Je sais bien que les plus intelligents pourront ironiser sur cette religion de la fraternité. Peu importe. Le temps presse. Le peu que nous faisons, c’est déjà ça de fait.

Quelques confidences :
Je n’aimerais pas, pour rien au monde, être président de la république, encore moins ministre. Maire peut-être (à la rigueur). Mais à Lyon la place est déjà prise et bien prise. Gérard Collomb est un maire remarquable.

Personne ne parle mieux des mers et des océans qu’Olivier de Kersauson. Son dernier livre Ocean’s songs est impressionnant.

Nous venons de décider le souhait inscrit sur notre carte de vœux 2009 : « Epaulons-nous les uns les autres ». J’adore cette idée de s’épauler !

Ouf ! Romane Bohringer devrait revenir chez nous la saison prochaine. Elle nous manque !

Lu un article de trois pages dans Libération sur Werner Herzog. Titre de l’article "Illuminer la vérité". Titre me semble-t-il d’une justesse absolue. Werner Herzog est à mon sens un des plus grand metteur en scène de cinéma. Aguirre ou la colère de Dieu, Fitzcarraldo sont deux films qui dépassent l’entendement.

Je sais que beaucoup lisent ce blog avec attention, et tendresse. Beaucoup de signes me sont adressés de manière pudique. Mon dieu, un peu de pudeur ne ferait pas de mal dans ce monde brutal et injuste ! Je ne supporte plus le spectacle de ce qui est voyant, cher et très prétentieux. Je repense à une très vieille dame ce matin aux Restos du Cœur, et à un jeune homme d’origine africaine, si doux tous les deux, si délicats, sûrement si seuls. J’avoue avoir "doublé" leurs vivres. J’ai désobéi aux règles. Plus de pâtes de fruits, de gâteaux, de compote. C’était ce que je distribuais ce matin.
Revenons donc à l’essentiel : « Epaulons-nous les uns les autres ».

Philippe Faure

jeudi 4 décembre 2008

Aujourd'hui : 1ere permanence aux Restos du Cœur de la Croix-Rousse

J'étais au rayon qui distribue pommes de terre, carottes et poireaux. Chaque personne a droit à un certain nombre de points suivant sa situation familiale et chaque marchandise a sa valeur :
Boîte de haricots verts ou rouges : 1 point ; Paquet de riz : 3 points ; etc.
Une part de légumes frais se compose, par personne, de 2 pommes de terre, 1 carotte et 1 poireau.
Il y a le coin "féculents", le coin "fromages", le coin "desserts" et le coin "nourriture pour bébés". Il y a aussi le coin "surgelés" et le coin "baguettes de pain". A chaque fois que la personne arrive dans un coin, elle récupère l’intégralité de ses points. Les points sont dépensés coin après coin et se reconstituent à chaque coin.
Effectivement, les gens qui viennent aux Restos du Cœur sont de toutes nationalités, de tous niveaux sociaux, de tous âges.
J’ai été frappé par la grande équipe de bénévoles (plus d'une quarantaine de personnes) qui organise les choses (mères de famille, retraités, jeunes étudiants, etc.).
Il y a eu, dans cette matinée de distribution alimentaire, comme un bonheur indicible, le bonheur d’être "ensemble" dont j’ai souvent parlé ici dans ce blog. Et je me redis cette éternelle vérité : si tous les gens qui avaient un pouvoir, petit ou grand, cherchaient à rassembler et jamais à diviser, l’humanité serait une joie.
Evidemment je pense à Coluche, dont la photo est placardée sur tous les murs des Restos du Cœur. J’ai adoré cet homme. J’ai eu la chance de le voir deux fois sur scène dans deux spectacles différents. C’était un génie, car qu’est-ce qu’un génie si ce n’est de saisir à sa manière le mouvement du temps : du temps qu’il fait, du temps qui passe, du temps qui reste, du temps qui vient, du temps présent. Oui, décidemment, cette intuition des Restos du Cœur est un coup de génie.

En ce moment, tous les après-midi, nous jouons La Petite Fille aux allumettes devant des salles pleines d’enfants, de parents, de public "empêché" (personnes en réinsertion, en hôpital de jour, personnes handicapées), de centres sociaux, de compagnies de théâtre amateur, etc. Et c’est très bouleversant comme ils reçoivent cette Petite Fille aux allumettes. C’est un monde magique qui leur arrive et cet imaginaire-là les rend plus légers. Beaucoup de petites filles et de petits garçons pleurent aussi sur la mort de la petite marchande d'allumettes. Quel bonheur que de présenter cette Petite Fille aux allumettes jusqu’au 31 décembre, pendant les fêtes. Comme j’adore ce spectacle !

En ce qui concerne Thérèse Raquin, toute la presse est unanime et plutôt dithyrambique. Un journaliste dans Lyon Mag parle d’« une réussite, sombre et furieuse ». Les mots sont très justes.

Nous venons de lancer "La Semaine des vêtements chauds". N’oubliez pas de nous interroger sur cet événement et surtout d’apporter du 23 au 31 décembre, à l’occasion de la petite forme que nous jouerons une heure avant chaque représentation de La Petite Fille aux allumettes,
un vêtement chaud.
N’oubliez pas non plus la représentation du 30 décembre à 15h où l’intégralité de la recette sera versée aux Restos du Cœur. Et n’oubliez surtout pas de dire aux gens que vous aimez que vous les aimez (voilà que mon éducation chrétienne et lyonnaise reprend le dessus).

Quelqu’un m’écrit, un psychiatre, à propos de Zouc, cette comédienne suisse qui fut l’égale de Coluche à un moment donné, dans un tout autre genre bien sûr. Ce psychiatre me dit que Gallimard lui a demandé de faire la suite des entretiens avec Zouc (entretiens commencés avec Hervé Guibert). Il me dit aussi que Zouc présente une grave infirmité respiratoire qui, hélas, est déjà largement avancée. Il conviendrait vraiment que nous imaginions un projet à propos de Zouc. La saison dernière, c’est Nathalie Baye qui s’y était collée, mais elle a annulé toute la tournée prévue.

Toujours pas de neige. Pourtant le temps reste à la neige.

Philippe Faure

lundi 1 décembre 2008

1er – 31 décembre : Alternance La Petite Fille aux allumettes / Thérèse Raquin avec du 23 au 31 décembre "La Semaine des vêtements chauds"


Fin de la première série de représentations de Thérèse Raquin.
Le public a été assez estomaqué de redécouvrir cette terrible histoire de corps foudroyés. Zola demeure un auteur en même temps populaire et fascinant. Il est véritablement le coeur de la littérature française. Chaque soir, la salle était pleine. Jusqu’ici la presse a salué le travail des acteurs, la scénographie, le travail d’adaptation. En un mot, la presse a aimé le spectacle. Nouvelle série de représentations à partir du 9 décembre.

Aujourd’hui, nouvelles répétitions de La Petite Fille aux allumettes pour une reprise à partir de demain 2 décembre. Décidemment, cette Petite Fille aux allumettes m’a demandé un travail insensé. Créer un univers onirique et en même temps rester au plus près du minimalisme du conte est un équilibre périlleux. Depuis le début des représentations, c’est un spectacle qui m’est très cher. Peut-être parce qu’il est au cœur de l’actualité sociale aujourd’hui et peut-être aussi parce que c’est la première fois que je "rêve" un tel spectacle ; les enfants et les adultes doivent s’y retrouver, en une même émotion.

Aujourd’hui 1er décembre : ouverture des Restos du Cœur. Je lis dans la presse cette phrase d’un commentateur : «Ça coûte plus cher d’être pauvre que d’être riche.»

Nous avons décidé d’être présents sur le front de la détresse sociale. Concrètement.
Du 23 au 31 décembre, sous la formulation générique de "La Semaine des vêtements chauds",nous allons proposer deux événements aux buts extrêmement précis :

-Le 30 décembre à 15h : représentation exceptionnelle de La Petite Fille aux allumettes. La Croix-Rousse/Scène nationale de Lyon invite les spectateurs, et les spectateurs font un don de l’équivalent de leur place(ou plus) aux Restos du Cœur. Voilà une action concrète.

-Ensuite, du 23 au 31 décembre, nous allons proposer, avec les comédiens de La Petite Fille aux allumettes, une heure avant chaque représentation, une petite forme que j’ai écrite avec Emmanuel Robin : Petits portraits de sans abri. Cette intervention théâtrale aura lieu dans le hall du théâtre où seront disposées toutes les caisses en bois servant à transporter les costumes de nos spectacles en tournée. Nous appellerons, à l’occasion de cette petite forme, à la générosité des spectateurs, pour qu’ils apportent avec eux des vêtements chauds (anoraks, couvertures, gants, bonnets, pantalons, pulls over, etc.). Nous remplirons ainsi les caisses et nous redistribuerons ces vêtements aux associations.
Chacun donne un vêtement chaud !

Ainsi, La Petite Fille aux allumettes d’Andersen rejoindra-t-elle la réalité d’aujourd’hui, et le théâtre, à sa manière, participera-t-il à la solidarité nationale.

Depuis la création de ce blog, il m’est souvent arrivé de faire allusion au rôle militant que devait avoir un théâtre. Cette "Semaine des vêtements chauds" est un premier acte. De plus en plus, nous inventerons de nouvelles façons d’être présents, actifs et réactifs envers les plus démunis (même si depuis la création de ce théâtre ce fut toujours notre obsession).

Quand on sait qu’il y a des gens qui dorment dans des abris de plastique ou de carton et qui, à chaque minute de la nuit, risquent de mourir de froid, on est en droit de se poser cette énervante question : A quoi sert le théâtre ? Et en poussant le raisonnement dans ses retranchements, on pourrait même dire : « A-t-on le droit de faire du théâtre quand à côté de soi des gens dorment dehors ? » Au fond, il me semble que c’est tout l’enjeu de La Petite Fille aux allumettes : raconter la mort, en même temps qu’on raconte le rêve. C’est tout le génie d’Andersen.

A part ça, le temps est à la neige !

Philippe Faure

mardi 25 novembre 2008

Zola et les Restos du Coeur

Déjà trois représentations de Thérèse Raquin (vendredi, samedi, dimanche).
Déjà la première critique.
Chacun, public et professionnel, (re)découvre cette histoire extra-ordinaire de Zola. Il y a là une force (physique) qui jette les deux amants l’un contre l’autre et qui, dans le même temps, jette le mari à la Seine.
Pour reprendre les propos de Nicolas Blondeau hier dans Le Progrès :
« (…) Thérèse (Anne Comte, troublante), Laurent (Marc Voisin, irrésistible), Camille (Jean-Claude Martin, impeccable) et Claire Cathy (hallucinante de vérité dans le rôle de la belle-mère). »
Tout est dit et je me réjouis que, malgré le tragique du spectacle, cette création semble être un succès public.

Dans un genre pas si éloigné que ça, on retrouve dans l’affrontement de Martine Aubry et de Ségolène Royal quelque chose de Zola : sa radicalité. Tout détruire pour reconstruire, mais Zola nous dit qu’on ne reconstruit rien sur le crime, et ce que fait le Parti socialiste en ce moment est un crime.

Agnès Jarlier, qui est en relation avec le monde des comités d’entreprise ici, me dit à quel point sont nombreuses les entreprises qui décident des chômages techniques (1,2 voire 3 semaines). C’est évident, la crise étrangle les entreprises.

A partir de la semaine prochaine, s’ouvrent les Restos du Cœur à côté du Théâtre. J’irai moi-même distribuer des repas tous les jeudis. Il y a là le désir de participer à la solidarité générale. Mais, peut-être de façon plus complexe, y-a-t’il le désir de découvrir en chair et en os ce monde des exclus. Est-ce malsain ? Est-ce un sentiment de culpabilité ? Est-ce un artiste qui cherche à comprendre le peuple ? (Seul Victor Hugo a su employer ce mot de peuple à sa juste signification.) Bien évidemment, je reviendrai sur cette expérience (si l’on peut appeler ça ainsi).

Ce matin, le froid est là. Et des gens vont dormir dehors. Je me souviens que Jean-Louis Martinelli, du temps où il était directeur du TNS, avait abrité des exclus dans son théâtre. La question se pose-t-elle d’une manière générale pour nous tous, directeurs de théâtres ?

Aujourd’hui, toute l’équipe (administrative, technique, ainsi que les comédiens des deux créations : soit 35 personnes) déjeunent ensemble pour fêter les 9300 abonnés de notre maison. Le plus gros score que nous ayons atteint ici étant de 9180 abonnés. Il ne s’agit pas de se glorifier des chiffres, il s’agit simplement de se réjouir que la maison reste vivante et crée encore du désir.

Philippe Faure

Trois créations avec Philippe Faure par Anne Comte


A travers les trois créations auxquelles j’ai participé avec Philippe Faure, j’ai pu toucher à des registres de jeu littéralement différents. A chercher, encore et encore, à atteindre (autant que faire se peut) une certaine vérité de jeu située, par ses complexités et ses exigeances, à divers niveaux d’interprétation :
Le rôle de Camille, dans On ne badine pas avec l’amour requiert la rigueur du verbe, les subtilités des contradictions et les sinuosités de la pensée. C’est un personnage cérébral.
Celui de Thérèse, dans Thérèse Raquin, induit, quant à lui, à une libération des instincts, à une désinhibition du corps, aux luttes permanentes entre fantasmes, folie et cruauté. Thérèse est un personnage animal et dangereux.
Celui, enfin, de la petite marchande, dans La Petite Fille aux allumettes, qui, parce qu’elle est une enfant livrée aux mondes qui l’entourent (réels ou imaginaires) et qu’elle subit, se laisse « emporter » par l’univers fantasmagorique et onirique d’Andersen, amène à une sorte de lâcher prise, de maléabilité.
Philippe Faure laisse beaucoup de liberté aux comédiens quant à l’interprétation des rôles. Cela nous demande donc de développer notre propre imaginaire, de le stimuler sans cesse, de l’interroger, de le malaxer. Que provoque en nous la parole d’un « autre » dans notre corps, notre instrument ? Et voilà toute la difficulté. Voilà aussi, et par là-même, le signe de la confiance qu’il nous porte.
Anne Comte, interprète de La Petite Fille aux allumettes et de Thérèse Raquin.

vendredi 21 novembre 2008

L'idée du "blotissement"

Hier au soir 20 novembre : dernier filage de Thérèse Raquin .
Grande impatience de montrer ce travail.
Décidemment, ce roman (massacré à sa parution) est sans doute la plus belle histoire de passion racontée avec La Femme d’à côté de François Truffaut.

Mais comment vont-ils faire pour se réconcilier ?
Comment des gens aussi intelligents peuvent-ils se combattre alors que le peuple attend d’eux de la considération ?
Le PS demeure un mystère, mais vraiment, il y a des mystères que l’on n’a pas envie de percer.

Hervé Villard a été victime d’une crise cardiaque. Il a été opéré en urgence.
J’ai beaucoup de tendresse pour cet homme. Il y a deux ans, il avait proposé un récital avec des textes d’Aragon, de Genet, etc. Je me souviens que Libération avait fait une page sur le spectacle. Et puis quand même, un type qui a écrit Capri c’est fini reste indiscutable.

Souvent, il est question dans des enquêtes de la solitude des gens aujourd’hui.
Sait-on quand on est seul ?
Il me semble que l’on est seul lorsqu’on n’a pas la chance de pouvoir se blottir contre l’autre. Le "blottisement" (mot que j’adore) est le secret de la vie.

Aujourd’hui, première de Thérèse Raquin, j’ai failli offrir à tous les comédiens le livre de Jean-Louis Fournier Où on va papa ?, Prix Femina 2008.
Je me suis totalement identifié à ces deux enfants handicapés et à leur père. J’ai pensé, en lisant ce livre, à Raymond Queneau, à Marcel Pagnol. Je ne connaissais pas cet auteur.
Lisez-le et dites-moi vos impressions.

Madame la Ministre Christine Albanel est à Lyon aujourd’hui. Peut-être va-t-elle me téléphoner. Je vous tiens au courant.

Christophe Perton me propose d’accueillir Roberto Zucco de Koltès la saison prochaine. La distribution est énorme, le spectacle très lourd financièrement. Je vais devoir renoncer.
Christophe Perton m’envoie un mail, je le cite :
« Si le "désir" est là (il parle de mon désir d’accueillir Roberto Zucco), alors je suis convaincu qu’il sera plus fort que "la réalité économique". »
Voilà des mots ("désir" et "réalité économique") qui n’engendrent pas la mélancolie.

Enfin, beaucoup de réactions violentes à propos des deux spectacles de Raimund Hoghe présentés la semaine dernière sur notre scène : Boléro variations et Swan Lake, 4 acts.
Il fut le dramaturge de Pina Bausch, c’est clair.
Je suis troublé que ce petit homme, si doux, si délicat, si poli, légèrement bossu, au langage si pur et si nuancé, ose des chorégraphies aussi décalées dans le temps par leur lenteur, leur dépouillement, par leur solitude. Hoghe est un artiste qui n’a pas peur. Il ose quasiment le silence du corps.
Il y a quelques semaines, Jean-Paul Montanari, qui dirige Montpellier Danse, me disait que Hoghe était un génie. Je lui fais toute confiance et j’aurais plutôt tendance à me ranger à son avis.

Philippe Faure

lundi 17 novembre 2008

Confidences

Je réalise que sur un blog, si on le considère véritablement comme un journal intime, tout doit être dit et donc les sujets et les humeurs ne peuvent que se mélanger dans une sorte de curieux désordre.

Allons-y pour les confidences :
Ce vendredi 14 novembre, comité de suivi du Théâtre de la Croix-Rousse réunissant la Ville de Lyon, la Région Rhône-Alpes, le Conseil général du Rhône et la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Rhône-Alpes. Il s’agit dans ces comités de suivi de faire le point extrêmement précisément sur la situation budgétaire, artistique, sur la fréquentation, et de tracer les perspectives d’avenir de la maison. C’est donc un exposé d’un peu plus d’une heure qui m’est proposé et qui évidemment demande un énorme travail en amont.
Ensuite, chaque collectivité territoriale prend la parole, dit ce qu’elle a à dire et porte un jugement particulier et global sur la manière dont est dirigée cette maison.
Je dois dire, à la vérité, que j’ai rarement ressenti, depuis que je dirige cette maison, un tel engagement de la part de chacun. Il y avait quelque chose d’assez bouleversant d’entendre les uns et les autres être à ce point conscients de la place qu’occupe le Théâtre de la Croix-Rousse en Rhône-Alpes et en France. Il fut question d’exemplarité, de directions innovantes, de rigueur intellectuelle, d’aventures irremplaçables. Par les temps qui courent, un tel engagement derrière une mission de service public est tout à fait exceptionnel. Je m’en réjouis bien évidemment et je me dis que ces très longues journées passées, chaque jour au théâtre, ne sont pas vaines, mais qu’au contraire, elles prouvent plus que jamais que les artistes, les politiques et les administratifs doivent être ensemble pour inventer l’avenir. Merci donc à Abraham Bengio, Catherine Cremet, Georges Képénékian, Bertrand Prade, Jean-Luc Legay, Bertrand Munin et Alain Lombard pour leur confiance, leur engagement et leur affection.

Autre humeur :
Mon Dieu, quelle tristesse que ce week-end de Reims où les éléphants socialistes (je ne dis pas le Parti Socialiste) n’ont pas su faire taire leurs rancoeurs et leurs ambitions !
La politique, bien évidemment, c’est tout le contraire. C’est la volonté ensemble, là encore, de construire l’avenir. Je suis sidéré qu’un parti comme celui-là puisse couver autant de haine. Dans l’exercice de mon métier et dans ma relation aux artistes, aux directeurs de théâtres et aux politiques, je n’ai jamais cédé justement à la confrontation pour un intérêt personnel. J’ai mené le combat toujours pour rassembler les uns et les autres autour d’une mission que je considérais d’intérêt public.
Deux conséquences à cela :
Je crois qu’aucun théâtre en France n’a invité autant de metteurs en scène différents dans leur esthétique, dans leur pensée et dans leur travail. J’ai toujours jugé que mes goûts personnels devaient passer après l’intérêt de montrer à notre public l’état du théâtre aujourd’hui.
Seconde conséquence :
Toutes les alternances politiques qui se sont produites dans la Région n’ont jamais altéré en rien le soutien des collectivités territoriales.
Être directeur de théâtre, c’est avoir une certaine idée de la générosité. J’appelle les éléphants socialistes à être généreux et à savoir vivre ensemble. Je repense à 1981, à Mitterrand, à l’union de la gauche. C’était quand même autre chose. C’était beau comme un avenir en marche. Il faut que les éléphants redeviennent des éléphanteaux. Légers comme des promesses.

Avant-dernière pensée :
Ces jours-ci, j’ai eu affaire avec le mensonge. Quelqu’une que j’aime m’a menti effrontément. Sans rentrer dans le détail, je me dis vraiment que le mensonge est "une fin du monde". C’est le moment où il n’y a plus rien à dire. Comme dirait l’autre, il faut laisser le mensonge à ceux à qui il appartient. Au fond, le mensonge est un acte personnel. Ne venons pas troubler celui ou celle qui ment. Laissons–leur l’entière responsabilité de leur choix. Il y a mieux à faire dans la vie que de se battre contre le mensonge. Par exemple, écouter le dernier album sublime de Christophe !

Enfin, je dois faire, dans les jours qui viennent, une coloscopie suite à mon anémie d’il y a quelques semaines. Examen courant et banal. Mais étrangement, je ne peux m’empêcher de penser à Jacques Weber qui dans sa loge, sur sa table de maquillage, avait environ une centaine de médicaments à sa disposition, comme s’il avait besoin de parer instantanément à toutes les maladies de la terre. Ça me donne envie, tout ça, de remonter Le Malade imaginaire, qui reste pour moi (le personnage et la pièce) mon plus grand bonheur de théâtre. Soudain je pense que ce mot de bonheur, on a rarement l’occasion de le prononcer dans nos métiers.

Philippe Faure

mercredi 12 novembre 2008

Fou !


« Fou ! ». Combien de fois me suis-je entendu qualifié ainsi à propos de mes grandes chevauchées raciniennes solitaires ! Fou, incontestablement ! Sans doute, plus fou encore qu’on ne l’imagine ! Doublement fou ! Et bientôt triplement fou ! Je n’ai pas souvenir d’avoir commencé une seule représentation de Phèdre ou de Bérénice – et il n’y a aucune raison pour qu’il en soit autrement avec Andromaque ! – sans m’être dit, dans l’heure épouvantable qui précède mon entrée en scène, un chapelet de « plus jamais ! ». Sans avoir appelé ma maman à mon secours, tant je me sens petit garçon devant la tâche à accomplir !
Sans avoir imploré une protection divine miséricordieuse ! Sans avoir pratiqué toutes sortes de signes cabalistiques, dont le signe de la croix ! Sans avoir pressé entre le pouce et l’index gauches le petit cube de jade que je porte suspendu à mon cou par une chaînette en or ! Sans avoir imposé mes mains sur toute espèce de surface en bois, portes, chaises, parquet… Sans avoir vérifié silencieusement, plusieurs fois à la minute, que la première réplique au moins ne m’échapperait pas ! Sans avoir répété, inlassablement, enchaînées ou mélangées, toutes ces pratiques superstitieuses, jusqu’au « go » final du compte-à-rebours ! Sur le trajet qui m’a conduit au théâtre, comme à un échafaud quotidien, mon calvaire observe toujours une station au moins devant une boutique de lingerie féminine, dont la contemplation de ses « petits trésors », comme dit Le Fétichiste de Michel Tournier, parvient, seule, à desserer l’étau de l’angoisse qui monte aussi vite que la fièvre chez un nourrisson…
Fou de trac ! Cette irrépressible névrose du comédien ! Directement proportionnelle à l’importance de son rôle ! ( En l’occurrence, de « mes » rôles ! Si mon cachet n’est pas multiplié par huit quand la tragédie comporte huit personnages, en revanche mon trac, lui l’est !)
« Le facteur sonne toujours deux fois ». Jacques Brel disait qu’à chacun de ses récitals, il vomissait toujours deux fois ! Il vomissait de trac, avant. Il vomissait d’épuisement, après !
Mais alors, pourquoi ? Pourquoi souffrir à ce point ? C’est une autre histoire, sujet d’un autre petit billet…
Jean Marc Avocat, metteur en scène et interprète de Phèdre, Bérénice et Andromaque.

lundi 3 novembre 2008

Ce week-end du 1er novembre : dernières répétitions de Thérèse Raquin avant la création le 21 novembre


Décidemment, ce roman de Zola me stupéfie encore et toujours. Après l’avoir déjà mis en scène il y a plus de 10 ans, je retrouve cette histoire avec la même fascination. D’où vient-elle ?
Elle vient sans doute du fait que le personnage principal de ce roman est le corps. Zola décrit avec une précision incroyable les dérèglements du corps. Certes, on peut parler de passion, on peut parler de haine, de dégoût, de violence, tous ces sentiments qui dérèglent la raison. Mais au-delà, il y a le corps lui-même. J’allais presque dire le corps comme matière humaine, sans matière grise, et ce qui m’a passionné dans ce travail de mise en scène, en fait, c’est avec les comédiens, et en particulier Laurent (Marc Voisin) et Thérèse (Anne Comte), ce travail sur le corps.
Mais bien evidemment, les trois autres comédiens du spectacle : Claire Cathy, Jean-Claude Martin, et Gilles Olen participent aussi de cette sorte de stupéfaction physique. Jean Claude Martin (Camille) exprime sa souffrance avce la maladresse du désespoir. Claire Cathy (Mme Raquin) est foudroyée et exangue.Le regard figé dans l'absolu. Gilles Olen (l'employé de la morgue) décrit le monde des cadavres avec une allégresse effrayante.
Au-delà des mots, investir le corps du comédien dans ce quasi dénuement où soudain il devient disponible à tous les vertiges. Le corps alors se tord, chancelle, frémit, se balance, se voûte, exulte, perd l’équilibre, les corps se cannibalisent l’un l’autre. J’avoue que ces deux comédiens-là ont l’art de libérer leurs corps de toute psychologie. Ils s’abandonnent véritablement aux dérèglements. Cela crée une poésie particulière. Le corps comme livré à lui-même, le corps affolé, le corps qu’on frappe et le corps qui reçoit les coups. Il y a quelque chose qui s’apparente aux sculptures de Rodin, à certaines toiles de Courbet. Le corps dans tous ses états. Et ça fait peur car, au fond, Zola nous dit que notre corps nous est étranger. C’est un autre nous-même que nous ne connaissons pas et qui parfois se révolte contre-nous.
Tous les grands acteurs (Gabin, De Funès, De Niro, Depardieu, Lancaster, Dewaere) s’imposaient d’abord par leur façon de bouger, de ne plus jouer mais de donner à voir leur corps comme la vérité de leur personnage. Alors les mots ne sont plus que des indications anecdotiques. C’est le corps qui dit qui ils sont.
C’est assez excitant après la création de La Petite Fille aux allumettes, où l’imaginaire rend les corps aériens, de revenir à Zola, à la réalité brutale du corps débarrassé de tout imaginaire. J’ai conscience que ce diptyque Andersen-Zola prendra tout son sens le 21 novembre, lorsque nous aurons créé Thérèse Raquin et qu’ensuite nous jouerons les deux spectacles en alternance.

Une dernière réflexion qui n’a rien à voir :
Premièrement, le prix des tours de manège à la Vogue des marrons à la Croix-Rousse est purement scandaleux : entre 3 et 5 € pour chaque tour qui ne dure pas plus de 2 minutes. Mieux vaut ne pas avoir de famille nombreuse, mieux vaut ne pas avoir d’enfant du tout. Et dire que la Vogue est un événement populaire ! Faut dire que les manèges pour la plupart sont tellement sophistiqués. Difficile donc à rentabiliser. Où est le temps où l'on se dressait sur les voitures de pompiers ou les hélicoptères pour rattraper le pompon et gagner un tour supplémentaire ?
Philippe Faure

mercredi 29 octobre 2008

Putain de banques !

Qu’est-ce que c’est que ce monde où il n’y a que le fric qui compte ?
Le fric des riches bien évidemment, mais aussi l’argent des pauvres. Pourquoi pas, l’argent c’est toujours de l’argent !
Qu’est-ce que c’est que ce monde des traders, mot barbare s’il en est.
J’entends partout qu’il faut sauver les banques pour qu’elles soient capables de réinjecter du crédit dans l’économie réelle. Vraiment ça me fait marrer. Quand je vois ce que les patrons de banques, les actionnaires, se mettent dans les poches, je doute que leur souci principal soit de sauver les petites PME et de permettre aux petites gens de survivre. Ce monde de l’argent est sans conscience. Pire, il sacrifie ce qui fait la dignité du peuple : le désir de vivre normalement.
Quand je songe à la misère du monde, à ces peuples en détresse, affamés, je me demande comment ces patrons de banques peuvent encore oser négocier des parachutes dorés.
Il faut quand même le redire, même si c’est démodé, l’argent ne donne pas de sens à la vie. Redisons-le : l’argent est un moyen de rendre les choses plus justes. Or, cette crise mondiale montre que l’argent ne crée que des injustices. Ce monde-là est dégoûtant et en plus c’est un monde de tricheur.
Tout de même ! Que l’Etat réinjecte des milliards dans cette nébuleuse alors que cette nébuleuse a appauvri presque la majorité de l’humanité pour n’enrichir que quelques-uns, c’est d’une absurdité absolue, d’une indécence totale. Ce monde-là ne mérite que notre mépris. Souvenons-nous du Crédit Lyonnais et de tant d’autres scandales. Ce sont toujours les mêmes qui paient l’addition : les plus modestes. Il n’y a vraiment pas de quoi montrer sa tête à la télévision mais bien plutôt se cagouler de honte.
Philippe Faure

P.S. Pour endiguer la faim dans le monde, il faudrait débloquer 3 milliards de dollars. Les gouvernements viennent de débloquer le plus naturellement du monde 180 milliards de dollars pour, soi-disant, sauver l’économie.

mardi 28 octobre 2008

Création de La Petite Fille aux allumettes


Ce samedi 25 octobre se sont achevées les premières représentations de La Petite Fille aux allumettes. Le spectacle sera repris du 3 au 31 décembre 2008.
Je dois admettre que ces premières représentations ont reçu un accueil formidable. Le "bouche à oreille" a immédiatement fonctionné et les salles étaient pleines. Quel plaisir tous les soirs d’accueillir ces enfants, ces familles, ces pères, ces mères, ces grands-parents, mélangés en une foule désireuse ! Plus que d’un public populaire, on pourrait évoquer la notion de "rassembler". Au fond, ce spectacle a rassemblé toutes les générations. Magnifique de retrouver cet enjeu du théâtre !
Le plaisir fut d’autant plus grand que cette création fut très difficile à mettre au point. Nous avons, l’équipe artistique et moi, traversé, non pas des périodes de doute, mais des périodes d’extrême difficulté. Car il faut bien le dire, donner à voir l’œuvre d’un poète n’est pas chose simple et la rendre accessible à des enfants à partir de 8 ans est un souci permanent. D’autant qu’il convient que les adultes y trouvent aussi "leur compte". Jamais je n’ai autant remis en chantier un spectacle, et lors des cinq premières représentations, nous n’avons cessé, tous les après-midi, de travailler sur des raccords. Le dernier jour, inventant même une scène collective dans le spectacle.
Mais au-delà du travail purement théâtral, il y a bien sûr l’humeur, l’état du metteur en scène qui agit sur l’imaginaire du spectacle et, il faut bien le dire, au moment d’aborder les répétitions en juin, et jusqu’au milieu du mois de juillet, l’humeur et l’état du metteur en scène n’étaient pas des plus heureux. Et quand le malheur est là, comment inventer la légèreté ? Dieu soit loué, la longue nuit s’achève et la clarté du jour réapparaît. Du coup, cette légèreté-là a envahi tout le spectacle, et des craquements d’allumettes de la petite fille est né un monde aérien qui, me semble-t-il, tous les soirs, a donné au public l’envie d’aimer délivrée de toute souffrance.
Philippe Faure

L’artisan et le mendiant

Il y a, d’une part les collectivités territoriales (Ville, Conseil général, Région) et d’autre part, le Ministère de la Culture avec un ministre à Paris et un directeur de DRAC à Lyon.

Les rapports avec les collectivités territoriales sont basés sur une vraie confiance. Nous travaillons dans une ville, au cœur d’une région. Nous sommes dans le concret de notre action et celle-ci peut être jugée sur le terrain à tout moment. La Croix-Rousse file vers les 10.000 abonnés. Elle a un taux d’autofinancement d’environ 60 %. Elle programme la plupart des metteurs en scène significatifs d’une esthétique : de Bruno Meyssat à Patrice Chéreau, de Bruno Boëglin à Richard Brunel, de Emilie Valantin à Laurent Pelly… Ses propres productions sont systématiquement suivies de longues tournées (entre 80 et 150 représentations pour chaque création). Tout cela fait l’objet d’un dialogue permanent avec les élus de tous bords.

La relation au Ministère de la Culture est d’un tout autre ordre puisqu’elle nous impose une posture de mendiant. Que mendions-nous ? Un vrai dialogue, une vraie honnêteté intellectuelle (Ah ! cette façon qu’a l’Etat de gagner du temps en diligentant des inspections, des audits, en fixant des échéances sans cesse contrariées, en se contredisant même entre la DRAC et le cabinet du ministre : l’un affirmant des décisions, l’autre les diluant dans le temps). Des mendiants parce que l’Etat nous impose une solitude assez vertigineuse. Nous sommes seuls face à ce monde de conseillers, de chefs de cabinet, de directeurs, de sous-directeurs, presque toujours à la recherche de la meilleure technique d’évitement.

Parfois (comme c’est le cas ici), un préfet de région (Jacques Gérault en l’occurrence) vient à notre secours, et alerte fermement notre ministre sur notre situation ubuesque.

Au fond, et Jérôme Bouët, ancien directeur de la DRAC, l’avait très précisément dit dans une interview, en parlant de l’époque où il était directeur de la DMDTS : « De Paris, on ne peut pas se rendre compte du travail d’un Philippe Faure à Lyon. » Il décida de faire de la Croix-Rousse une scène nationale (voir diverses interviews). Aussitôt le rapport Paris/Province se pose et son extrême déséquilibre. Là encore, nous mendions un rééquilibrage des moyens et des décisions.

Qu’on me comprenne bien, il n’y a pas de honte à être un mendiant et la brutalité de l’époque en jette dans les rues en quantités industrielles. Ce qui est dérangeant, pour ne pas dire insultant, c’est que le Ministère de la Culture crée ses mendiants. Pour reprendre l’expression fameuse de François Mitterrand : « le Ministère de la Culture a ses pauvres à lui. »

Tout de même, que faisons nous ici à La Croix-Rousse (et tous les autres ailleurs) si ce n’est défendre un service public, assumer une mission d’intérêt général ? L’Etat lui ne mendie pas, il se sert. Il fait les poches des collectivités territoriales et il nous regarde d’en haut en ne comprenant pas notre tristesse à mendier. Le pire dans tout cela, c’est que nous ne sommes plus en colère, nous ne sommes plus dans le combat. Comme "la petite fille aux allumettes" d’Andersen, nous tendons la main dans le froid de l’hiver. L’Etat, lui, a mieux à faire que de nous prendre la main, il sauve les banques.

Dieu soit loué (si j’ose dire), nous avons toujours assumé nos responsabilités, nous avons toujours payé de notre personne, nous n’avons jamais cherché à gagner du temps, à élaborer des stratégies tortueuses. Nous sommes là pour faire entendre la parole des poètes, pour que les metteurs en scène inventent le théâtre d’aujourd’hui, pour que les comédiens soient confrontés aux grands rôles. Nous sommes là pour que le public partage notre aventure. Peut-être le temps viendra-t-il où le Ministère de la Culture acceptera et décidera que nous sommes les artisans de cet art si mystérieux et si impalpable qu’est le théâtre ? Alors nous pourrons ranger dans nos malles d’osier nos oripeaux de mendiants et au hasard d’un Shakespeare, nous les ressortirions pour créer de vrais mendiants de théâtre.
Philippe Faure

À paraître dans La Tribune de Lyon le jeudi 30 octobre 2008.

mercredi 22 octobre 2008

En rentrant de la première de La Petite Fille aux allumettes… Sœur Emmanuelle m’attendait dans l’écran de la télévision

Hier au soir, en rentrant tard de la première de La Petite Fille aux allumettes, j’allume la télévision et je tombe sur une rediffusion de l’émission de Michel Drucker « Vivement dimanche », émission enregistrée il y a huit ans, toute entière consacrée à Sœur Emmanuelle.
A cette heure-là de la nuit, ça fait une drôle d’impression d’entendre cette femme de presque quatre-vingt-dix ans parler du monde en employant des mots aussi simples que : générosité, fraternité, amour, solidarité, homme debout ; de la voir applaudir comme une gamine à tous les chanteurs invités par Michel Drucker ; accueillir des gens comme Boutros Boutros-Ghali (ancien Secrétaire général de l’ONU), Xavier Emmanuelli (type assez remarquable, co-fondateur de Médecins sans frontières et fondateur du Samu social) avec une ferveur malicieuse ; rire à gorge déployée à tout bout de champ.
Stupéfaction pour moi dans cette émission : C. Jérôme chantait ! C’est donc qu’il y a huit ans il était encore vivant.
Quelques heures auparavant, l’OL battait Bucarest cinq buts à trois et devenait un grand d’Europe.
Encore un peu avant, la première représentation de La Petite Fille aux allumettes fut très tendrement reçue.
Dehors, il pleuvait.
J’ai l’impression que Sœur Emmanuelle et Andersen : même combat. Prendre soin de tous les êtres blessés par la vie, les consoler et leur donner la force de vivre, quitte à les ressusciter s’ils sont déjà morts. Plus tard, dans le journal de la nuit, on nous expliqua que Sœur Emmanuelle (très finaude) avait enregistré le message publicitaire de ses mémoires. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle s’est plus fait confiance qu’elle n’a fait confiance aux résurrections divines. Quelle soirée !
Philippe Faure

Andersen et Zola selon Marc Voisin


Andersen et Zola. Quel jeu de correspondances, peut-on trouver chez ces deux auteurs à priori très éloignés ? Que nous révèlent-ils ?
Zola sonde l’être humain « comme un scientifique », disait-il. Il fouille ses entrailles à la façon d’un entomologiste pour y trouver la part animale, qui nous entraîne irrémédiablement, y compris dans les zones les plus sombres. Il traque la bête dans le ventre chaud.
C’est un voyage intérieur. Nous sommes au plus près de l’intime. Un voyage mental qui nous entraîne dans un univers carcéral. C’est en partant des replis de notre chair que Zola raconte notre monde.
Andersen prend un chemin, pour ainsi dire, inverse. Chez Andersen, c’est le monde, le vaste monde dans son intégralité qui prend la parole. Le vent, la poussière dont on fait les étoiles, les fleurs, les insectes ; jusqu’aux objets les plus anodins. Une grande galerie de petites choses muettes, fragiles ou ignorées qui se racontent, prennent corps, vie et sens. Une féerie, sombre souvent, qui nous ouvre les yeux, qui réinvente notre perception du monde et l’élargit. Les choses les plus communes ont une grâce de nouveauté pour qui sait les voir, comme disait l’autre. Pour qui veut bien prêter attention à Andersen, ce sont alors les petites choses de ce vaste monde qui nous révèlent à nous-mêmes.
Un trajet inverse donc entre ces deux poètes. Deux espaces fictifs différents. Deux gauchissements de la réalité. Mais, et c’est là, me semble-t-il, que se joue les correspondances. Un souci commun chez ces deux hommes si fébrilement en prise avec leur monde, grands observateurs et grands sensibles, de sonder l’état de l’être humain plongé dans son monde, sa présence aux autres (non-présence souvent), sa solitude, la misère qu’elle génère. Et partout à l’œuvre en filigrane, le manque et la quête d’amour.
Marc Voisin, interprète de Laurent dans Thérèse Raquin et du hussard et de l'ange dans La Petite Fille aux allumettes.

lundi 20 octobre 2008

Un week-end (veille de première) à La Croix-Rousse

Il a fait très beau ce week-end. Un soleil d’automne à nul autre pareil, et pourtant toute l’équipe de La Petite Fille aux allumettes est restée enfermée dans le théâtre jusqu’à tard dans la nuit.
Et là, qu’avons-nous fait ? Nous avons lancé de la fausse neige dans le décor du spectacle, nous avons donné vie à un bonhomme de neige, à des crapauds, à une sorcière, au vent, à un vieux réverbère et à tant d’autres personnages d’Andersen. Il faut dire que ce week-end d’automne, nous étions, nous, sur le plateau, la veille du jour de l’an et qu’une petite fille, pieds nus, grelottait dans le froid. C’est quand même assez fou dans la manière que le théâtre a de décaler le temps !
Malgré cet enfermement forcé, chacun n’a eu de cesse de me dire que j’avais retrouvé un teint de bébé. Ce qui est sûr, c’est que le soleil n’y est pour rien. Ce sont les globules rouges transfusés à l’Hôpital de la Croix-Rousse les seuls responsables de cette métamorphose.
Vive les globules rouges !
Enfin ! je n’ai plus ce teint quasi mortifère qui faisait peur à tout le monde. Est-ce une conséquence ? Mais il y eut cette invitation à dîner de Virginie, si belle, si élégante, tout en noir, avec quelque chose de délicat dans la façon qu’elle a de vous regarder. Décidemment la délicatesse est un des plus beaux mots de la langue française.
Finalement, ce soleil d’automne, cette fausse neige, ces crapauds, ce teint rose retrouvé et cette délicate jeune femme apparue, tout cela, plus qu’un week-end de vogue, inspira mon travail, et le filage de dimanche soir fut un filage serein. On pouvait avoir l’impression de s’être abandonné au monde d’Andersen (à moins que ce soit lui qui fut venu à nous).
Philippe Faure

jeudi 16 octobre 2008

Bienvenue !

C'est une sorte de journal intime que j'invente sur ce blog. Rien de ce qui ne se passe dans un lieu comme un théâtre ne peut être détaché de la vie heureuse ou malheureuse de celui qui l'anime.
Bienvenue !
Philippe Faure

mardi 14 octobre 2008

De l’utilité de ne pas être mort


Un accident de santé a failli avoir raison de ma vie. La mort m’a frôlé. Je suis donc par la force des choses, un autre. Un survivant. Et de cette vie nouvelle, deux évidences surgissent.
D’abord il me faut absolument être utile, de là où je suis : responsable d’une institution théâtrale. Toute idée égoïste m’est insupportable. Je me dois d’être au service des autres plus que jamais. Le théâtre est l’art de donner une âme à toute idée qui s’occupe d’humanité et ces idées sont portées par les poètes. Alors oui, je suis utile à donner à entendre la parole des poètes et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que les poètes ne soient pas sacrifiés à la réalité de la crise.
La seconde évidence, c’est que seul l’amour nous donne la dignité d’être vivant. Je veux ignorer (dans ce monde en plein désarroi), les ricanements, les indifférences, les petits arrangements avec eux-mêmes de ceux pour qui l’amour n’est pas notre seule vraie responsabilité.
Quand on a failli être mort, on se demande à quoi l’on a servi sur terre. Et bien moi, je veux servir les poètes et l’amour. Fébrile de la vie qui m’a retenu, j’ose dire : ayons l’audace d’être utile et ne laissons pas la mesquinerie, l’orgueil, l’insatisfaction, la lâcheté, la vanité, le narcissisme nous détourner de notre devoir : Aimer être utile. Il est utile d’aimer.

Toute la saison de La Croix-Rousse/Scène nationale de Lyon (et tout le reste) est dédiée à Laurence Guedj qui fut la douceur et la force incarnée et qui envers et contre la maladie porta haut l’esprit de notre théâtre. Nous sommes avec elle.
Philippe Faure

Guillaume Depardieu est mort


Il y a quelques semaines, j’avais eu la chance de le rencontrer. C’était pour moi l’acteur le plus génial de sa génération, au même titre que Patrick Dewaere. Je lui avais proposé le rôle de Tartuffe et il était intéressé.

C’était un de ces êtres que j’admire plus que tout au monde, tout en fébrilité, tout en élans, tout en amour, tout en peur, tout en courage, tout en douceur, tout en secret.
Un de ces êtres qui nous donnent envie de nous surpasser, de nous dépasser.
Un de ces êtres qui ne cherchent pas à être peinard, planqué, intégré, codé, mais au contraire qui considéraient que la vie ne mérite pas d’être petite et mesquine.

Sa mort me bouleverse. Il y a tant de faiseurs, tant de "petits bras", tant de médiocrité, tant de vacanciers que le jour où un innocent meurt, on peut avoir l’impression que c’est le monde entier qui s’écroule.

Je pense au chagrin de son père, lui aussi acteur admirable, je pense à cette famille hors norme. J’ai son numéro de téléphone sur une page de mon agenda, il ne me répondra plus jamais. C’est à pleurer et je pleure.
Philippe Faure

lundi 13 octobre 2008

Monter La Petite Fille aux allumettes aujourd'hui


Le mot de récession est lâché depuis ce matin sur les ondes, à la télévision et dans la presse.
C’est donc que nous allons aborder (quand je dis nous, c’est le pays et le monde entier) une période extraordinairement dure économiquement et où le nombre des exclus va gonfler au fur et à mesure.

Evidemment, les plus pauvres vont rester encore plus pauvres, les plus fragiles vont devenir à leur tour pauvres, et les classes moyennes vont considérablement réduire leur train de vie pour aller uniquement à l’essentiel et ne pas risquer elles-mêmes de glisser vers la pauvreté.

Aussi, je me suis dit ce matin que créer La Petite Fille aux allumettes n’est plus du tout un acte innocent. Cette création, me semble-t-il, nous investit d’une responsabilité tout à fait nouvelle. Car au fond, grâce à Andersen, ce court spectacle va résumer la situation du monde. Les pauvres auront beau tendre la main, ceux qui ne sont pas encore pauvres n’auront ni le temps, ni le désir de prendre cette main. Ils passeront leur chemin en priant de ne pas être touchés eux-mêmes par la crise. Et puis, peut-être, au delà de ce constat, cette histoire pose la question de la parole des poètes. A quoi sert-elle en des temps troublés et dramatiques ? Bien sûr, à s’échapper de la réalité, mais aussi sans doute à rêver à un monde meilleur et plus juste. Un monde où les crapauds, les bonshommes de neige, les vents, les lampadaires, auraient le pouvoir de transformer la vie.
Philippe Faure

Diptyque : La Petite Fille aux allumettes suivie de Thérèse Raquin


La Petite Fille aux allumettes ainsi que Thérèse Raquin, adaptées pour le théâtre par Philippe Faure, viennent de paraître dans un même ouvrage aux éditions la passe du vent (9€).
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Dans Thérèse Raquin, Thérèse et Mme Raquin ont une petite mercerie, dans une impasse pluvieuse. Tout cela ne respire pas le luxe. Dans La Petite Fille aux allumettes, évidemment celle-ci est obligée de vendre des allumettes à ses clients indifférents pour ne pas se faire battre par son père et gagner quelques sous pour se nourrir.
Émile Zola et Christian Hans Andersen nous disent à leur manière qu’on échappe pas à son destin. Dès que Thérèse rencontrera Laurent, son avenir sera inéluctable. Quant à la pauvre petite fille aux allumettes si pauvre, si seule, elle mourra de cette pauvreté et de cette solitude.

Malgré tout, et Zola et Andersen, à travers le mystère des destins, nous disent que rien n’est pire que la tranquillité de la vie. Souvenons-nous de Musset et de On ne badine pas avec l’amour : "Mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime (…) J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice, créé par mon orgueil et mon ennui."

Histoires d'une saison par Philippe Faure


Duras. Dominique Blanc. Patrice Chéreau
à la Croix-Rousse. Juste pour deux représentations. Ce n’est même plus un événement. Ça tient du miracle. Jean-Marc Avocat et Racine. Ça tient du Phénomène. Après une Bérénice à guichets fermés la saison dernière, lui est apparu le désir fou d’une trilogie. Avocat possède une force intérieure qui nous sidère tous _ Pascal Mengelle et son Macbeth. On garde le souvenir ébloui de l’un de ses précédents passages chez nous avec Van Gogh le suicidé de la société (Arthaud) _ On ne badine pas avec l’amour (Musset). Quatrième saison. Comment quitter une histoire d’amour aussi profonde ? Impossible. Alors on file vers les 150 représentations… Ainsi on gagne du temps _ Laurent Brethome (Feydeau) on se souvient de son "Levin". Ça risque d’être du "brutal". D’être humain et drôle aussi. Il est comme ça Brethome _ Joris Mathieu / Volodine et leur trilogie. C’est à voir parce que ces images-là n’existaient pas encore au théâtre, avant eux _ Laurent Gaudé qui puise dans le passé les blessures d’aujourd’hui _ Thérèse Raquin / Zola. C’est un compagnonnage à la vie à la mort, si j’ose dire _ Sartre / Camus enfin à la Croix-Rousse. Nous rêvions de les donner à entendre. Deux œuvres fondamentales et si rarement jouées. Les Justes, Les Mains sales. Quand le théâtre osait encore poser des questions qui nous dépassent _ De la danse. Deux spectacles. Grâce à Guy Darmet que nous aimons d’amour. Et oui ! _ Du cirque (Hirsute) pour la première fois à la Croix-Rousse. Et en plus l’équipe est d’ici, de Die ! _ De l’opéra ! Pourquoi pas ! Là aussi une première. Une histoire bouleversante : Jérémy Fisher ! _ Du Hip Hop ! Nous le voulions absolument. Le camarade Emmanuel Daumas est de l’aventure. Chic ! Il était un acteur génial dans Le Roi nu de Laurent Pelly _ Guitry. Ah oui ! Guitry et sa folie à nulle autre pareille. Une histoire d’adultère pas piqué des vers _ Andersen et sa Petite Fille aux allumettes. Andersen et son monde invraisemblable mais si humain _ Dominique Pitoiset, dont nous admirons les mises en scène (souvenons-nous de Sauterelles de Biljana Srbljanovic), ici avec Wajdi Mouawad, enfin chez nous _ Omar Porras encore et toujours. Après tous ses triomphes chez nous et ailleurs (Maître Puntila et son valet Matti, le dernier en date) Les Fourberies de Scapin / Molière. Ça promet _ Et pour finir (ou plutôt pour commencer) du Flamenco. Vivement l’avenir !
Philippe Faure