Il y a l’évidence par Marc Aurèle : « Accomplir chaque action comme si c’était la dernière. » Pour tout être de bonne volonté, cela crée une responsabilité supérieure : que cette dernière action ne soit pas une mauvaise action. J’avoue craindre sans cesse de déroger à cette évidence. Alors je me concentre de plus en plus sur les actes de ma vie. J’éloigne de moi, autant que faire se peut, la désinvolture, la lâcheté, la facilité, l’habileté. Je tente à chaque fois la rigueur nécessaire. C’est parfois harassant. J’ai beaucoup fui ma vie, à la vérité.
Encore cette évidence de Marc Aurèle : « Exercez-vous à regarder les choses dans leur nudité. » Je repense à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, et aux mesures qui doivent conduire au bonheur commun : http://
1/ Secours aux plus démunis.
2/ Distribution aux indigents des biens pris aux ennemis de la révolution.
3/ Taxation, châtiments des accapareurs.
Et Benjamin Constant d’affirmer : « Que l’autorité se borne à être juste, nous nous chargerons d’être heureux. »
Et Kant : « Seule la droiture morale décide de la valeur d’une vie. »
Diriger un théâtre, tout en mettant en scène, en écrivant, en jouant, en inventant le quotidien d’une maison presque toujours ouverte, c’est être en mouvement. Il ne s’agit pas évidemment de créer "du temps vide". Il s’agit de créer des espaces de liberté qui rendent accessibles "les œuvres capitales de l’humanité au plus grand nombre" (décret du 29 juillet 1959).
Quand on est libre, on est disponible. Et c’est cette disponibilité-là qu’il faut chercher dans l’autre, en chacun. Alors nous serons rassemblés dans "l’ordre de l’esprit". Nietzsche évoquait la religion du bien-être. Il s’insurgeait "contre l’idéologie du Troupeau" ; contre "l’aspiration servile au repos", s’emportait contre "le culte des loisirs », qui flatte la paresse. Voilà bien une attitude désastreuse : la paresse. Il y a tant à faire, tant à donner, tant à aimer. Surmontons les résistances, ne laissons pas s’installer le laisser-aller, le fatalisme, la résignation ou le cynisme. Toujours Nietzsche : « Soyons les poètes de notre existence, inventons notre vie. » La paresse me terrorise et je dois reconnaître que je lui mène une guerre permanente.
Pour revenir à Spinoza (pourquoi pas) : « Le désir comme une puissance de vie, comme le légitime mouvement vers l’estime de soi et la joie de vivre. » La paresse et le désir, voilà bien deux ennemis irréductibles.
Prennent fin six mois d’intense travail à la Croix-Rousse. Trois mois de répétitions pour le diptyque Zola/Andersen, et trois mois de représentations. Pas loin d’une cinquantaine de représentations de La Petite Fille aux allumettes et de Thérèse Raquin (en alternance). Des salles pleines, une critique élogieuse dans son ensemble, beaucoup de confrères se sont déplacés. Mais c’est surtout la fréquentation quotidienne de ces deux monstres sacrés que sont Zola et Andersen. Ils nous ont "tirés vers le haut" comme on dit vulgairement. Ils nous ont inspirés : Zola avec son regard impitoyable sur la condition humaine. Oui, nous sommes capables d’être monstrueux et cette monstruosité-là est en nous. Il y a comme un plaisir sauvage à s’y résoudre. Nous sommes capables de dépasser toutes les limites de la raison. Par amour ? Plutôt par orgueil, par vanité, par goût de la perdition, par détestation de soi. Comme si à l’évidence nous prenions conscience que nous ne sommes pas "aimables". Zola, une force de la nature, un monstre évidemment. Un critique a salué l’audace du spectacle : C’est que Zola nous a fasciné dans son "emportement viscéral".
Andersen, lui qui sait regarder chaque chose, chaque être, chaque mouvement sur terre, avec la grâce d’un poète, mais qui, si j’ose dire, "ne fait pas de cadeau". Il tue presque tout ce qu’il regarde. Il nous dit par-là (me semble-t-il), ne faites pas comme moi, "sauvez le monde". Et les poètes sauvèrent le monde parce qu’ils surent dépasser sa brutalité, pour nous inviter à une légèreté soudain retrouvée. Les deux spectacles partent en tournée dès le début du mois de janvier (jusqu’en avril). Quelle chance avons-nous de tourner autant depuis cinq ou six ans. C’est aussi sur les routes que le théâtre prend tout son sens…
Le jour de Noël, René Gonzalez (directeur du théâtre de Vidy. Le théâtre peut-être le plus inventif d’Europe.) est venu voir La Petite Fille aux allumettes. Ensuite pot-au-feu au bistrot de Lyon. Je dois beaucoup à cet homme (vraiment beaucoup). Il m’a fait confiance à un moment où j’avais perdu toute confiance en moi. Il m’a traité à cette époque d’égal à égal. Il m’a soudain rendu la fierté d’être un homme de théâtre. C’est un compagnon de route. Un homme qui donne envie d’être digne. Bien sûr, comme dirait Brel, "Nous eûmes des orages…". Bien sûr "Mille fois je pris mon bagage", mais la force de nos désirs fut toujours centrifuge. Longue vie à lui, si solitaire et pourtant si au milieu des autres. René Gonzalez c’est un arbre dont les racines sont enfouies si profond qu’il est indéracinable.
Pinter est mort. Je me souviens avec une extrême émotion de la mise en scène de No Man’s Land de Planchon. Distribution vertigineuse : Michel Bouquet, Jean Bouise, Guy Tréjean, André Marcon. Spectacle mémorable. Vu l’autre nuit un documentaire justement sur Planchon. Depuis quatre ou cinq ans, je lui propose de créer un spectacle à la Croix-Rousse avec de jeunes comédiens, et presque sans décor. J’ai eu envie qu’il retrouve chez nous sa liberté des débuts, son innocence. À chaque fois, il accepte ma proposition puis deux jours après s’embarque sur des propositions redondantes mille fois expérimentées. Dommage. Arriverai-je à le convaincre de se débarrasser de ses décors d’opéra ? Toujours est-il que je me considère comme un enfant de Planchon. Ah ! Tartuffe ! Ah ! Athalie ! Ah ! Périclès ! Ah ! Par-dessus bord, et ses Folies bourgeoises… Autant de spectacles que la jeune génération de metteurs en scène n’ont pas vus ! Le théâtre a de ces cruautés…
Quand même, Bernard Tapie dans Oscar sur France 2 le soir de Noël, faut le faire ! De Funès était un génie dans le rôle, il avait la grâce et la folie d’un oiseau pris dans les phares d’une voiture, en pleine nuit. Un oiseau qui se cogne contre une réalité malveillante et injuste. De Funès, un oiseau affolé aux prises avec tout le malheur du monde. Pathétique et maladroit, vibrionnant au-delà du raisonnable. Si seul qu’il fait peur et provoque un étonnement délirant. Tout le contraire de Bernard Tapie qui se regarde jouer, et pire, qui s’apprécie comme acteur ! La fin des haricots quoi ! Et puis c’est inutile de comparer l’incomparable.
Vu plusieurs fois Luchini ces jours-ci à la TV. Nous l’avons beaucoup accueilli à la Croix-Rousse. Nous fûmes complices. J’ai recherché, je crois son affection. Mais Luchini "n’aime pas". Il joue toujours à être lui-même. C’est fascinant et ennuyeux tout à la fois, car il ne nous surprend jamais. Quelle est sa vraie relation avec tous ses auteurs fétiches : La Fontaine, Péguy, Nietzsche, Hugo et les autres ? Mystère ! Sincère ou maligne ? Profonde ou amusée ? Au fond, la déception vient qu’il ne soit pas une énigme (comme Michel Bouquet). Il est si prévisible ! Cela dit nous avons beaucoup ri ensemble. Ce qui n’est pas rien !
Stupéfaction : Julien Dray s’achète des montres à 54000 €. Je l’ai souvent entendu s’insurger contre la politique de la Ville initiée par Sarkozy… L’abandon des banlieues, la réduction des subventions pour toutes les associations qui travaillent sur le terrain… Je lis qu’il est un "acheteur compulsif" ! Cette passion des montres… Soupçons d’enrichissement personnel. Certes il y a la présomption d’innocence. Mais tout de même, comment un homme normal peut-il s’acheter une montre à 54000 € et y prendre du plaisir. Ce mystère-là est désolant et pour le moins peu rassurant.
On annonce un froid glacial. Notre théâtre est bien chauffé. Il y aurait donc deux sortes de monde : celui qui meurt de froid, et celui qui est à l’abri bien au chaud ?... Cette question m’effraye et me rend si vulnérable. À ce propos, notre semaine des "vêtements chauds" (voir la vidéo)a dépassé toutes nos espérances. Les caisses profondes, alignées dans le hall, sont pleines de vêtements chauds (bonnets, gants, couvertures, anoraks, manteaux, etc.). Ce qui me bouleverse, c’est le soin avec lequel le public dépose ces vêtements dans les caisses. Tout est lavé, repassé, empaqueté avec parfois des rubans de fête autour. On sent beaucoup de délicatesse dans la façon de donner. Tous ces vêtements seront redistribués par le Secours Populaire. La représentation du 30 décembre recette entièrement reversée aux Restos du Cœur) est pleine.
J’aime que le théâtre sache aussi s’inscrire dans la réalité sociale. Ainsi le théâtre n’est-il plus un monde à part : C’est le monde ! (ambition shakespearienne, non ?)
Je redis ce que je répète sans cesse. Jean-Marc Avocat, dans le studio du théâtre, poursuit son aventure racinienne. Bientôt Andromaque (après Phèdre et Bérénice). Racine est un génie. Jean-Marc Avocat n’est pas loin d’en être un dans son genre. Quelle fierté de les avoir tous les deux dans notre théâtre pour une aussi longue durée. La saison prochaine, ils seront dans la grande salle avec leur trilogie d’enfer. Logique, non ?
Ce blog m’est devenu une respiration nécessaire. Au fur et à mesure, j’essaie de "m’y mettre à nu", de m’y retrouver derrière le directeur, derrière l’homme de théâtre. Je sais bien que j’y suis encore trop conciliant, trop bienveillant avec moi-même. Je voudrais y être encore plus "cru". En tout cas, je tends vers la lucidité. C’est déjà ça de gagné.
Pourquoi ai-je depuis quelque temps autant conscience de mon humble rôle sur terre et en même temps de ma volonté d’être utile. À la place où je suis, je ne me pardonnerais pas d’exiger tout de moi-même. Cette exigence me donne un goût nouveau d’avenir.
Je découvre les propos d’Olivier Py à propos de ses spectacles adaptés des contes de Grimm (que nous avons accueillis à la Croix-Rousse) : « Les enfants ont peut-être confiance en cette étrange poésie qui osera leur dire ce qu’ils n’osent pas demander. » Bravo pour cette vision : J’adhère. Il ajoute : « Les contes de Grimm manient des vérités inébranlables. » Grimm/Andersen : même combat.
Cette réplique d’Antigone apprise depuis toujours : « Je ne suis pas venue sur la terre pour partager la haine, mais pour partager l’Amour. » Évidemment !
Et tirées des Béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent ; ils seront consolés. »
J’ai trois enfants. Un garçon, deux filles. Je me dis que c’est beau d’être père. J’espère être digne d’eux. J’aime les enfants. J’aime qu’ils aient besoin de moi. J’aime aussi leur indépendance d’enfant. On se retrouve alors sur l’essentiel. Ne jamais les trahir. Les aimer dans la clarté d’une vie assumée. Leur donner en exemple le courage d’être soi-même dans ce que l’on a de meilleur. Mon Dieu quelle responsabilité ! Surtout ne pas se réfugier derrière les soubresauts de nos vies.
Vu à la télévision deux films.
Charlie et la chocolaterie de Tim Burton avec Johnny Depp. Tout y est magnifique. C’est un film inspiré. Et à la fin, Johnny Depp découvre "le bonheur d’avoir une famille ».
Bienvenue chez les Ch’tis. Prétendre que Danny Boon est le "Pagnol du Nord" c’est un peu exagéré ! C’est surtout n’importe quoi ! Pagnol avait le sens du tragique. La simplicité de ses mots nous amenait directement à l’absolu de l’amour. Tout ça avec un naturel quasi-documentaire. L’âme humaine n’avait pas de secret pour lui. Vivement Pagnol !
Début janvier, c’est Sacha Guitry qui prend le relais dans la grande salle. Un sacré voyeur ! Il voit tout. Surtout ce qu’il ne faut pas voir. Il y a chez lui l’ivresse de dire des vérités (toutes bonnes à dire). Le style emporte tout sur son passage. Guitry c’est un déferlement.
Hier, il y eut 300 morts après l’attaque d’Israël contre le Hamas. Et un peuple qui pleure ses morts. L’opération militaire s’appelait "Plomb durci". Sans commentaire ! Décidemment, seuls les poètes nous consolent de la folie humaine. L’arbre de Bethléem est éteint ! C’est un cyprès de dix mètres de haut. Il est éteint en signe de protestation. Vivement que la lumière soit.
Philippe Faure
lundi 29 décembre 2008
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1 commentaire:
Certains font des revues de presse ou montent des revues, là tu fais carrément une "revue de moi", une "revue de monde", une "revue d'être" ou une "revue scanner" bref une revue de tout ce que tu traverses ou de tout ce qui te traverse. Ca brise un poil les codes du blog, mais fuck les codes ! finalement.
J'aime aussi cette autre phrase de Marc aurèle qui devrait guider ceux qui siègent non loin de sa statue équestre ainsi que tous les êtres de pouvoir : "Il ne s'agit plus de discourir sur ce que doit être l'homme de bien mais de devenir un homme de bien"
Moi j'aime quand même bien l'habileté.
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