jeudi 30 avril 2009

Souvenirs de Laurence

Avant, j’avais beaucoup grossi, et personne ne me le faisait remarquer. Maintenant j’ai maigri (9kg) et tout le monde me le fait remarquer. Bizarre !!!
Cela dit, si j’ai décidé de maigrir, c’est le jour où un ami m’a dit : « Maintenant tu es taillé pour jouer De Gaulle. » Ça m’a tellement affolé que j’ai décidé de me surveiller.

Quand on y pense, c’est quand même stupéfiant d’être au monde. D’exister.

Il y a une semaine, c’était, sur sa pierre tombale, l’anniversaire de la mort d’une collaboratrice, qui fut 10 ans près de moi dans le travail. Elle est quasiment tombée malade à quelques jours d’intervalle de la naissance de ma fille Marie. La maladie fut longue, irrégulièrement douloureuse, parfois absente puis ressurgissant de nulle part, discrète mais obstinée. Une sorte de maladie qui prend son temps. Laurence la nia, l’amadoua, la combattit, l’éloigna, la prit au sérieux, enfin tenta toutes les stratégies possibles. Mais, à la fin, la maladie n’eut aucune pitié et les derniers jours furent au-delà de l’imaginable. Elle, si fidèle, si amoureuse de son homme, de ses enfants, de sa famille, du théâtre, de la vie qui va dans ce qu’elle a de plus imperceptible… Nos relations furent parfois houleuses (elle ne cédait jamais). Ses idées étaient très arrêtées. Elle ne changeait jamais d’avis. Pourtant, elle m’accompagna sans jamais la moindre trahison. Peut-être m’a-t-elle appris ce que c’était que de respecter l’autre : l’affronter sans coup bas, le suivre en conscience, le contredire sans l’influencer, être libre en lui faisant savoir qu’on est là. Pour toute l’équipe du théâtre, elle fut exemplaire d’intégrité, de courage et d’amour. Comme elle a aimé cette maison où je suis encore ! Jamais elle n’aurait manqué à sa parole, à son devoir et à ses engagements. C’est la vie qui ce jour-là a singulièrement manqué d’élégance, en se retirant de sa gorge dans un souffle si rauque qu’il nous fit peur à tous.

Cette célèbre formule de Jean-Jacques Rousseau : « Commençons par écarter tous les faits car ils ne touchent pas à la question. »

La saison prochaine, nous allons reprendre quatre de nos créations qui furent marquantes et contribuèrent à faire de La Croix-Rousse ce qu’elle est aujourd’hui. C’est comme une sorte d’état des lieux : Molière, Musset, Zola, Andersen. Quatre écrivains qui chacun à leur manière ont transfiguré la réalité, n’ont pas adhéré au sens commun, sont demeurés parfois comme étrangers en leur temps, ont été du côté du petit contre le grand, du faible contre le fort, ont été des travailleurs infatigables. Tous les quatre, dans leur confrontation au monde, ont cherché à dépasser le quotidien des vies ordinaires pour savoir en fin de compte de quoi est capable l’être humain. Une sorte de radiographie de l’âme. Cet état des lieux artistique traduit sans doute mon besoin de reprendre mon souffle après 10 ans d’une intense activité. Les années qui viennent vont exiger du théâtre (en général) qu’il nous sauve de toute résignation. Qu’il nous donne plus que jamais le désir de réinventer nos vies. Qu’il nous donne la force de croire les uns dans les autres. Salutaire état des lieux. Décidemment, nous ne sommes rien sans les poètes.

Ces jours-ci, je dois prendre une décision difficile puisqu’elle exige d’être absolument lucide et surtout d’en tirer les conséquences. Il faut donc accepter de se remettre en question, et de retrouver une humilité qui, dans le feu de l’action, nous échappe parfois. Se débarrasser de tout orgueil et, comme dirait l’autre, l’orgueil colle à la peau comme un sparadrap trop performant. Alors… En tout cas, décider en son âme et conscience est une des responsabilités premières de l’être humain.

Hélène, ma collaboratrice, s’en va vers d’autres cieux. Elle est arrivée chez nous à un moment extrêmement délicat. Elle sait être délicate. Et si, ici, à la Croix-Rousse, nous avions la spécialité de créer de la délicatesse ?

Philippe Faure

P.S. : La décision est prise.
Je repense à ce dialogue avec Georges-François Hirsch, directeur de la DMDTS : « Promesse de l’Etat ne vaut pas engagement. »
Au fond la décision fut facile à prendre…

jeudi 16 avril 2009

Quoique je me suis mis à aimer les chats

Dans la vie d’un artiste, deux seules vérités existent : l’obstination et la capacité à se remettre en question. Lorsque ces deux vérités se télescopent, le corps et l’esprit en prennent un coup. C’est l’électrocution assurée. Parfois même pire : la dépression. S’impose une évidence. Il faut alors un certain courage pour croire en soi. Osons le dire : les artistes sont des êtres courageux. Ce sont par la même occasion de grands brûlés !

La saison 2009/2010 était prête. Et puis soudain, une responsabilité soudaine et brutale surgit. Une nouvelle saison pour dire quoi ? Il ne s’agit pas d’additionner tant de spectacles aussi beaux soient-ils ! Il s’agit de proposer une vision. Quelle vision ? Pour quelle réalité ? Pour quelle espérance ? Et quelle humanité à la fin ? Alors c’est le branle-bas de combat. On se dit que l’on est indigne de notre rôle. Trop limité. Trop paresseux. Trop terre à terre. On s’affole et puis on se ressaisit. Il n’est pas interdit de s’améliorer. De retrouver une intelligence fatiguée. Il n’est pas interdit de se tenir droit. "La droiture" est un mot que j’adore. Un mot qui m’inspire. Même si parfois j’ai tendance à voûter les épaules, ce que ma compagne déteste.

Partout des portraits dithyrambiques de Jean Dujardin. C’est réellement un acteur génial. Il a ce qui ne s’apprend dans aucune école de théâtre : la grâce. Sainte Marie pleine de grâce, merci de parfois la partager avec des acteurs.

Revenons quelques instants sur Des anges mineurs, spectacle de Joris Mathieu. C’est un bricoleur de théâtre né. Ça pourrait paraître laborieux et ça prend tout son sens. Les images sont très sombres mais quelque chose flotte ; comme la recherche d’une nudité enfouie. Rencontré à cette occasion Hortense Archambault, co-directrice du festival d’Avignon. C’est une femme qui gagne à être connue. Elle est douce et fraternelle. Le lendemain, c’est l’autre co-directeur, Vincent Baudriller, qui est venu. Comme je n’étais pas là, je ne sais pas si lui aussi est doux et fraternel.

Conversation téléphonique avec René Gonzalez (qui était dans ses Cévennes), conversation d’une intimité bouleversante. Nous n’avions plus peur de nous-mêmes puisqu’entre nous, il y a le respect de ce que nous sommes et de ce que nous ne sommes pas (ou plus !).

Lorsque Simenon a cessé d’écrire, il s’est mis à publier une trentaine de livres qu’il appelait ses dictées (il dictait une heure par jour ses pensées au magnétophone). Lui, "le monstre littéraire" croquait son quotidien (de sa minuscule maison suisse) avec une banalité sidérante. J’ai été très frappé par ces dictées décourageantes de petitesse. Pourtant je les ai lues et relues comme fasciné. Au fond, il cherchait à taire le drame de la vie, pour toucher au silence de la vieillesse et donc de la mort. Simenon est un petit homme qui dépasse tous les autres : tous les grands hommes.

On vit avec la peur panique que personne ne voit rien de ce que l’on fait de bien. Et cette peur-là est fatigante, pour le moins usante. Elle donne parfois envie de ne rien faire, pire de faire n’importe quoi.

Autre peur, celle de ne pas utiliser son temps comme il faut. Le drame c’est qu’on est seul avec soi-même à savoir qu’on utilise mal son temps. Qu’on triche. Or tricher avec soi-même est désespérant. De là à dire que tous les désespérés sont des tricheurs serait exagérer.

Autre peur : accepter qu’il y a plein de choses que nous de ferons jamais ici-bas : des petites et des grandes. Ça aussi ça n’arrange pas nos affaires !

Au fond, on passe notre temps à combattre nos peurs. C’est que l’on voudrait tellement être meilleur que nous sommes. Une seule solution : travaillons à vivre heureux, jamais au détriment des autres. Travaillons à donner l’exemple. Pas le mauvais exemple. Mais l’exemple qui crée de la richesse pour les autres. Oserais-je dire que je n’aime pas les gens qui s’enrichissent. C’est dégoûtant et si inutile !

Vu deux films magnifiques : de Clint Eastwood Gran Torino et Slumdog Millionnaire. Deux films profondément humains. L’humain, il n’y a que ça de vrai. Son contraire est terrible : inhumain !

Beaucoup vu Adjani ces temps-ci (TV et presse). Mais bon sang qu’est-ce qui lui arrive ? On ne la reconnaît pas. Où est passée l’Adjani de Truffaut ? L’Adjani de Camille Claudel ? Eh ! Isabelle reviens-nous, t’étais si belle. A te voir ces temps-ci si changée, tu nous fais mal et peur !

« On gémit et on souffre lorsque la vie est dure mais on ne chante pas ou pas assez fort lorsqu’elle est tendre. » (Christophe André)

On prend un temps infini à ruminer. La rumination aggrave les angoisses. Alors, on permet seulement aux vaches de ruminer car elles sont nées pour ça. Pas nous !

Du nouveau à propos de la situation de la Croix-Rousse. De son label (comme on dit). C’est presque irréel. D’ailleurs depuis la nouvelle j’ai du mal à ressentir de la joie. C’est que le combat fut si long et si truqué, si décevant. Qu’aujourd’hui, notre Ministère de la Culture nous sorte de la situation par le haut… il va me falloir du temps pour le réaliser. Très vite, j’entre dans les détails. Mais je pense à tous ceux, anonymes, qui ont cru en notre combat, qui se sont mobilisés, inquiétés, déplacés. Je pense à Gérard Collomb, Jean-Jack Queyranne, au préfet, à Jérôme Bouët et maintenant Alain Lombard, à d’autres ici et là ; Patrice Beghain, aujourd’hui à Georges Képénékian, aussi à Bertrand Prade, à Abraham Bengio. J’en oublie tant et tant. À toute l’équipe du théâtre qui n’a pas douté, qui m’a fait confiance. Je pense à notre responsabilité nouvelle, mais comme je l’ai toujours dit, je pense que la reconnaissance aujourd’hui décidée est méritée. Demain elle sera rendue publique. Elle appartiendra donc au peuple de la Croix-Rousse (c’est ainsi que je prends l’habitude de nommer le public qui remplit soir après soir la grande salle de notre théâtre). Et tant pis pour ceux qui dans cette affaire m’ont accusé d’être un imposteur.

La solidarité (par rapport à la générosité) n’est jamais désintéressée. Elle est une convergence d’intérêts (André Compte-Sponville). Voilà matière à réflexion.

Cette phrase d’Antoine de Saint-Exupéry au hasard d’une publicité : « La grandeur d’un métier, c’est d’unir les hommes. » Le drame dans notre temps moderne c’est que les métiers tombent comme des mouches au champ de bataille des restructurations, et cette hécatombe désunit les hommes puisqu’elle crée la pire des injustices. Il y a ceux qui ont du travail et ceux qui n’en ont plus… Saint-Exupéry qui disait aussi que « l’essentiel est invisible pour les yeux. » Disons que l’essentiel a changé de nature, l’essentiel c’est de ne pas être au chômage. Et ça, quand ça arrive, on a plus que ses yeux pour pleurer.

Ruminer, c’est ne pas réfléchir.

S’émerveiller nous donne toujours l’impression de commencer. Côté émerveillement, je suis plutôt bon candidat. Parfois ça frise l’enfantillage. Toujours est-il que je suis dans un perpétuel commencement. Donc je ne crée pas d’habitudes. C’est que l’enfance n’est pas encore si loin de moi.

René Gonzalez me citait Paul Valéry : « Il faut chaque jour réinventer sa vie. » En tout cas, depuis quelques mois, j’ose dans ma vie personnelle être d’une sincérité absolue (ce qui n’est pas si évident que ça en a l’air), j’agis au grand jour. Je recherche sans cesse la liberté de donner aux autres ce qu’il y a de mieux pour eux. Une bienveillance s’est emparée de moi. Je refuse tout jugement négatif. Je rassemble autant que faire se peut. Je veux croire que mes actes sont utiles à inventer un avenir loin de toute querelle, loin de tout gémissement. Au-delà de mon métier et de son égo, je désire être un homme simple, que les enfants regardent avec confiance. C’est peut-être que j’ai conscience de quand tout est fini, il ne reste que ce que l’on a donné. Tout le reste est du pipi de chat. Quoique je me suis mis à aimer et à ne plus avoir peur des chats.

Philippe Faure

P.S. : « Je ne parle pas mes mots
Ce sont mes mots qui me disent
Et qui me réconcilient. »
(Henri Meschonnic)

mercredi 1 avril 2009

Libres, les enfants : Libérés !

J’ai beaucoup d’enfants dans ma vie. Deux de deux mères différentes. Une autre que j’ai adoptée. Deux autres qui sont là par le heureux hasard d’une rencontre amoureuse. Cinq enfants donc. Deux filles, trois garçons. Avec des différences d’âges invraisemblables, de caractères, de préoccupations aux antipodes. Un petit monde rassemblé. Et ces enfants sont dans la vraie vie. Dans l’action. Ils ne cherchent à régler aucun compte. Ils ne soulèvent aucun malentendu. Ils n’ont pas la méfiance catastrophique des adultes. Ils échappent à tous les codes. Ils sont libres d’être ce qu’ils sont. Ils ne nous préviennent pas de déceptions possibles. Ils n’ont pas de vérités toutes faites. Au fond, ils ne demandent qu’à être regardé, écouté, aimé le plus légèrement possible. Ils sont une leçon de vie. Et c’est beau. Vive les enfants qui se moquent de nos états d’âme comme de l’an 40. Comment est-il possible que des adultes fassent du mal aux enfants ? Se vengent sur eux ? Les abîment ? Les torturent ? De là, sans doute, vient que le monde se réfugie dans sa honte et se taise. Nulle autre responsabilité n’est plus enivrante que celle que nous donne la présence des enfants dans nos vies !

Philippe Faure