dimanche 20 décembre 2009

Entre Molière et le Père Noël


La Neige. La Place Joannès Ambre est blanche. Aujourd'hui, deux représentations de La Vie devant soi, 15 heures et 20 heures. Complet. Le spectacle reçoit un accueil extraordinaire. En arrivant au théâtre, je suis allé saluer les comédiens. Myriam Boyer (qui tourne en ce moment le nouveau film de Bertrand Blier) est épanouie. Sur son visage, un sourire gourmand. Chez elle, la générosité est plus qu'un don, c'est un frémissement. On dira donc qu'elle est une femme frémissante. Le spectacle est chez nous jusqu'au 3 janvier. Il faut absolument partager ce moment de grâce. On se sent tellement plus léger après.

Sans doute est-ce la dernière fois que j'écris sur ce blog avant le début d'année 2010. C'est que le rythme ici est intense. La période est tumultueuse.

Dernier avatar : les costumes et le décor du Malade imaginaire (reprise à partir du 11 janvier 2010 à la Maison de la Danse) attendaient très sagement, rangés dans les Ateliers de la Ville de Lyon, de reprendre du service. Or des travaux nécessaires (remplacement de lourdes portes coupe-feu) se sont révélés catastrophiques. En effet, à l'intérieur de ces lourdes portes, de l'amiante. Celle-ci s'est échappée (aucune précaution n'ayant été prise) et a envahi tous les décors et caisses aux alentours. Sont concernés par ce drame (car c'en est un) l'Opéra de Lyon, le Théâtre des Célestins, le Théâtre de Lyon et La Croix-Rousse. Plus rien n'est utilisable, tout doit être décontaminé (laborieuse opération). Mais avant, la Ville de Lyon doit se retourner contre l'entreprise responsable, qui elle même avait eu recours à un sous-traitant. C'est donc un combat d'assurances qui commence. Toujours est-il que toutes les institutions citées plus haut doivent refaire construire les décors et les costumes des productions en cours et en tournée, dans l'urgence. Ce qui est le cas du Malade imaginaire.

La période des fêtes n'est évidemment guère favorable à ce genre d'exploit. Nous avons tout de même réussi à convaincre un atelier de décor de refaire celui du Malade en une petite dizaine de jours. Par contre, impossible de refaire les costumes (une vingtaine), tous les ateliers envisageables fermant pendant cette période. Après beaucoup d'hésitations (par exemple locations de costumes du siècle de Molière, mais qui évidemment n'auraient pas la folie de ceux dessinés par Alain Batifoulier, annulation pure et simple du spectacle) j'ai décidé que nous jouerions Le Malade en costumes de ville. Le théâtre est un art vivant, il doit s'adapter à toutes les situations. Ce qui compte, c'est la fidélité au texte, l'humeur Molièresque. Evidemment, le public va être extrêmement surpris de ce parti-pris de dernière minute (nous l'informerons en détail dans le programme de salle). Voilà une aventure excitante (indépendante de notre volonté) qui s'offre à nous. Rendez-vous le 11 janvier.

Un chorégraphe, Pierre Deloche (56 ans) vient de se suicider. Je le connaissais de loin, mais il se trouve qu'il était venu voir mon spectacle de début de saison Maman j'ai peur dans le noir (il n'était pas un habitué de notre maison). Plusieurs jours après, il m'avait adressé un drôle de paquet soigneusement enveloppé et ficelé : une boîte d'allumettes familiale sur laquelle il avait écrit des sortes de tags mystérieux et à l'intérieur du coton, et des petits rubans. Ce cadeau était accompagné d'un seul petit mot : "Touché au cœur". J'avais été très surpris par ce signe ma foi assez secret. Je lui avais répondu et témoigné ma tendresse pour ce geste. On me dit qu'il souffrait affreusement de ne pas être reconnu à sa juste place dans le milieu de la danse. Il en va ainsi des artistes. Souvent, ils sont ignorés et plus le temps passe, plus cette ignorance est douloureuse. Car un artiste ne se résigne pas. Il y a dans nos métiers une grande part d'injustice. J'ai envie de dire que dans ces moments-là, il faut rester calme et ne pas perdre confiance. Jamais. L'important est de faire. Même sans moyen, il faut faire ! Pendant 20 ans de ma vie, j'ai fait sans argent et sans soutien. J'ai "fait" contre les autres parfois (ceux qui n'avaient pas envie que j'existe). Cette solitude ne m'a guère déstabilisé. Je suis un roc lorsqu'il s'agit du théâtre. Certes un roc qui doute tout le temps, mais un roc quand même. Sans doute n'ai-je pas eu conscience que ce petit cadeau de Deloche était un signe. J'ai écrit une pièce sur le suicide, Le Petit Silence d'Elisabeth, créée il y a plus de 10 ans au Théâtre National de Strasbourg. J'y racontais justement cette "absence de signe" mise à part un "petit silence". Mais il faut être diablement attentif pour l'interpréter comme un signe qui fait que l'autre est déjà parti dans sa tête.

Vu deux films. Neuilly sa mère et La première étoile. Deux films qui m'ont fait rire et pleurer (surtout le second). Deux films formidablement humains qui décidément donnent envie d'aimer la différence, non seulement de l'aimer mais de la vivre comme une chance.

Vu un long portrait de Michel Bouquet sur la 5 dans la série Empreintes. J'ai eu la chance de passer beaucoup de temps en sa compagnie car j'avais adapté pour lui un roman de Kawabata, Le Maître de Go. Ce fut un gros succès. Lyon, Paris et longue tournée ensuite. J'ai été très proche de lui. Nous marchions dans les rues. Il me tenait par le bras (bras dessus, bras dessous) et me récitait tout Molière, Labiche, Shakespeare, Racine. Il s'était brouillé avec le metteur en scène du spectacle et c'était moi qui avais la responsabilité d'être "l'œil extérieur". Que de souvenirs ensemble. J'adorais, car il m'appelait toujours (de sa voix profonde et enfantine) "mon petit Philippe". Ca me rassurait et m'émerveillait. Pendant la tournée, nous voyagions en car. Lui et sa femme Juliette devant et tous les autres derrière. Il fut un interprète génial chez Chabrol. Lorsque je le recroise, une vraie affection nous jette dans les bras l'un de l'autre. Je dirais que Michel Bouquet est un enfant dantesque (il me fait penser au personnage de Vitrac, Victor ou les enfants au pouvoir). Il est ce Victor qui balance des vérités, comme on tire au pigeon. Méfiance. Bouquet est un guerrier. Mais son génie c'est de le dissimuler dans un dandinement de vieillard (Dandinement que je lui ai volé, puisque je "dandine" tous mes rôles. J'assume complètement ce vol).

Je lis beaucoup d'articles sur l'hospitalisation de Johnny Halliday et je tombe sur un long portrait de sa femme Laeticia. Elle est toute la journée près de lui. Du matin au soir. Il y est dit qu'elle est une amie attentive, épicurienne, une maman très présente, marraine de l'UNICEF. Il y est dit qu'avec Johnny, ils s'aident mutuellement, l'un rassurant l'autre. Qu'elle est patiente. Ils ont adopté deux enfants. Enfin, qu'elle a sauvé Johnny lorsque se tordant de douleur elle l'a emmené immédiatement à l'hôpital. Quelques heures plus tard (3 tout au plus), il eut été mort. Quelqu'un à propos d'elle dit : "c'est une chic fille". Cette définition est magnifique. Elle dit tout de la fidélité, du naturel, de l'intelligence, de la beauté d'une femme. Vivent les chics filles et vive Laeticia.

Certains se moqueront sans doute en lisant ce passage du blog : "Il passe de Laeticia Halliday à Michel Bouquet, de Molière à La première étoile et à Neuilly sa mère, de Myriam Boyer aux chics filles", et sans doute est-ce le cas dans tous les billets que j'écris dans ce blog. Presque toujours mes pensées sont empreintes de tendresse. J'aime tellement ceux qui inspirent de la tendresse. Je ne cesse dans les actes de ma vie de délivrer toute la tendresse qui est en moi. J'aime être tendre. C'est gai et velouté. C'est une empreinte qui frôle, une main qui se pose. C'est l'abandon du moment, la suavité de l'attente. Sans tendresse, nous risquons de mourir à petit feu et quoi de plus con que de mourir.

Enfin, 2009 s'achève. Ce fut une année extrêmement éprouvante (à titre personnel). Mais ne revenons pas sur le passé (immédiat), ça n'a aucun intérêt. Intéressons-nous au jour qui vient à travers un brouillard de neige, à travers les oreillers blancs du Malade imaginaire. Intéressons-nous surtout à ce que nous pouvons faire de bien et prenons les résolutions adéquates. Tant pis pour ceux qui pourraient juger cela naïf. J'aime aussi la naïveté. Elle ne ment pas. Elle n'est pas une menteuse, la naïveté. Elle est la petite sœur de la tendresse.

Chaque fois que j'arrive au Théâtre de la Croix-Rousse, j'admire ce bâtiment. Il est imposant. Finalement, d'une architecture très simple. Aucune sophistication. Au fond, il est dans l'esprit de celui qui a décidé de le faire bâtir. Populaire. Il a été créé pour le peuple. Les canuts, les tisseurs, tous ces petits métiers d'autrefois, écrasés par le progrès et la concurrence internationale. Il est, selon l'expression consacrée, une "maison du peuple". Jour après jour, dans toutes les décisions que je prends, dans tous mes actes, j'essaye de ne pas trahir le peuple (dont ma famille fait partie). J'essaye d'inventer un dialogue entre la maison et lui. Un dialogue qui serait très intime. Pas de discours. Pas de grandes déclarations. Mais le souci d'être à la portée de tous sans faiblir sur la mission : celle de donner à entendre des "plus grands que nous", des qui inventent des horizons, mais ne dédaignent pas le détail de nos vies. Car nos vies sont ainsi : petites. Une fois que l'on a accepté cette réalité, on peut travailler à être utile.

Utile est un mot que j'aime. C'est une chanson de Julien Clerc très belle : « être utile à vivre et à aimer ».

Pourquoi parler de ce Théâtre de la Croix-Rousse aujourd'hui et ainsi? Peut-être pour réaliser que je ne m'habitue pas à le diriger. Chaque jour la même effervescence s'empare de moi. J'ai conscience que ce rôle là de "passeur", "d'interlocuteur", "d'artiste libre" se mérite. Ce n'est pas un dû. Aussi, je m'efforce (parfois à la limite de mes forces) de le mériter ce rôle. Je m'efforce d'être simplement UTILE (à vivre et à aimer).

Reprise à partir du mardi 22 décembre à La Croix-Rousse de La Petite Fille aux allumettes, création qui finit là une belle tournée lors de ce dernier trimestre. Partout où nous avons joué, ce spectacle a obtenu un franc succès. Avec le recul (et les différents raccords que j'ai effectué tout au long de ces derniers mois) c'est vraiment une création dont je suis très fier. Je suis même impressionné par la beauté des images. Grâce soit rendue à Alain Batifoulier (décor et costumes) et David Debrinay (lumières). Certains ont été déroutés par le principe d'adaptation du conte d'Andersen, où au milieu de La Petite Fille aux allumettes s'invitent une vingtaine d'autres contes. Il me semble pourtant que c'est ce qui fait la force du spectacle : proposer l'esthétique littéraire et morale d'Andersen dans une même vision.

À ce propos, tous les soirs après le spectacle, j'occuperai dans le hall le rôle du Père Noël. Au sens propre, avec distribution de papillotes. "Il faut ce qui faut" comme on dit vulgairement. Et puis, j'ai déjà occupé ce rôle du Père Noël lors d'une présentation de saison il y a deux ans. J'interpellais ce jour-là vivement et ironiquement Madame Christine Albanel, ancien ministre de la Culture. D'ailleurs la scène lui avait été rapportée (dénoncée) et son cabinet m'avait téléphoné d'urgence, de peur que ce Père Noël de circonstance et improvisé ne provoqua une crise.
À propos de déguisement, j'ai toujours adoré me travestir souvent dans des postures pas loin du ridicule… J'ai donc été Père Noël, petit rat de l'opéra, trapéziste, clown, et bien d'autres énergumènes. Ca ne fait pas très "service public", d'ailleurs bon nombre de mes camarades se scandalisent d'une telle désinvolture, ironisent et condamnent. Or, et je l'ai souvent dit, écrit et expérimenté, le ridicule est le passage obligé pour toucher à l'âme. L'autre nuit, je regardais un long documentaire sur Charlie Chaplin. Le ridicule de Charlot nous fait basculer, nous spectateurs, dans l'absolue simplicité et fragilité de notre condition (malheureuse) d'être humain.

Ce dimanche, fin d'une très longue journée. Le Maire de Lyon et son épouse sont spectateurs de La Vie devant soi. Je les emmène dans la loge de Myriam Boyer. Elle a soutenu Collomb lors de la dernière élection municipale. Il est question de Clovis Cornillac, de l'OL, du débat sur l'identité nationale…

J'en finis de ce très, très long billet (qui est en fait un feuilleton). Je vous souhaite une bonne santé. C'est quand même le plus important. D'être aimé et vous même de ne pas avoir peur d'aimer. Méfions-nous comme de la peste de nos vilains démons. Soyons neufs et libres. Et promettons-nous d'être fraternels.
C'est donc fraternellement que je vous embrasse. On se retrouve la première semaine de janvier et rendez-vous à la Maison de la Danse avec Argan le 11 janvier.

Philippe Faure


PS : À la suite, le texte que j'ai écrit pour le programme de salle de La Vie devant soi. Il est un juste état des lieux de notre maison de théâtre.


Vous êtes au théâtre de la Croix-Rousse.
Un théâtre très fréquenté (plus de 10 000 abonnés).
Un théâtre qui ose : dernièrement, Woyzeck et Le Cabinet du Dr Narcotique de Büchner et Philippe Vincent.
Un théâtre qui aime admirer la singularité ; ici Myriam Boyer.
Qui tient à ses classiques ; encore et toujours Le Malade imaginaire, mais aussi Racine et la trilogie invraisemblable de Jean-Marc Avocat.
Qui invente son répertoire.
Ici, les reprises de spectacles ne sont pas considérées comme des reprises mais comme des preuves d’amour. Il en va aussi d’On ne badine pas avec l’amour (4e saison).
Souvent des poètes s’y frayent un passage – lumineux – Pippo Delbono, Charles Juliet, Aragon.
Des acteurs, actrices y sont comme chez eux. Ce fut le cas avec Fabrice Luchini, Philippe Noiret, Jean Rochefort, bientôt Romane Bohringer.
Nous ne programmons pas des saisons, nous invitons des personnalités qui nous touchent, qui entrent en fraternité.
Nous sommes conscients de la chance que nous avons : être responsables d’un état d’esprit. Et cet état d’esprit, c’est que chacun se sente accueilli, désiré : public artistes.
Nous n’économisons pas nos élans, nos admirations, nos convictions.
Ici le verbe résonne. D’abord le verbe. Un verbe qui ne fuit pas ses devoirs : dire le monde !
Et puis les acteurs innombrables qui s’engagent dans des projets, des œuvres.
Nous considérons que le théâtre est un artisanat, que chaque acte qui s’y rapporte doit avoir sa vérité, son évidence, parfois même sa gravité.
Car animer un théâtre comme le nôtre n’est pas un acte innocent : c’est croire que tout est possible, qu’ensemble nous aurons la force et le courage d’être un peu moins seuls, un peu moins malheureux. En un mot, d’être vivants.

Philippe Faure

dimanche 13 décembre 2009

Aimons Myriam Boyer

Le public du Théâtre de la Croix-Rousse rencontre Myriam Boyer (clip) from Garage Productions on Vimeo.


À 11 heures du matin ce dimanche, brunch (conférence de presse) autour de Myriam Boyer dans le hall du théâtre. Beaucoup de monde (qui n'a pas cédé à la tentation de la couette). Des journalistes, photographes, télévisions, relais, amis… et une grande partie de l'équipe du théâtre (une petite centaine de personnes!!!). Moment de grâce.

Elle est là Myriam, rayonnante et heureuse. Ses premiers pas sur une vraie scène furent sur notre scène du Théâtre de la Croix-Rousse. Elle avait 17 ans. C'était dans les années 1965/1966. Sa mère était handicapée, son père sans travail et alcoolique. Et ce petit bout de femme nous raconte sa vie, toujours héroïque, jamais facile, en même temps d'une fidélité absolue à tous ceux qu'elle a croisé. Et qu'ils soient célèbres ou inconnus, elle en a croisé des gens.

Elle nous parle de Sautet, Vincent, François, Paul et les autres, de Corneau, Série noire avec Patrick Dewaere, de Chéreau, de Blier, de Gisèle Tavet (aujourd'hui oubliée) de Roger Cornillac (le père de Clovis), de John Berry, de son goût pour le petit peuple, celui qui n'a jamais droit à la parole. Tout ce qu'elle a gagné elle l'a réinvesti dans des films (Le Voyage à Paimpol) dans des pièces de théâtre.

Elle a toujours tout perdu. Elle s'est ruinée à défendre des œuvres qui parlaient d'humanité. Encore Gary, Jean Seberg, Montand, Piccoli, Reggiani, etc. Et pourtant, elle est là vibrante, modeste, chaleureuse. Toutes les personnes présentes sont sous le charme. Elle est d'une dignité et d'une délicatesse inouïes. Elle ne s'en prend jamais aux autres. Elle assume ce qu'elle est avec la tendresse de ceux qui au départ avaient tout contre eux.

Elle nous parle de son fils célèbre avec une fierté toute simple, de son autre fils metteur en scène, directeur de compagnie, moins célèbre, avec le même enthousiasme.

J'ai été profondément heureux de dialoguer avec elle, de l'interroger, de la découvrir. Toute entière tournée vers les autres, vers une sorte de rigueur morale. Je me suis dit que c'était une chance qu'elle soit dans nos murs jusqu'au 3 janvier.

Elle avoue son âge : 61 ans. Et pourtant elle a l'énergie d'une jeune fille de 20 ans. Elle aime la vie et elle nous donne envie de prendre nous aussi la vie à bras le corps. Sacrée bonne femme ! (pour reprendre un titre de Chabrol).

Quant au spectacle La Vie devant soi, c'est un formidable moment de théâtre. Les trois comédiens qui l'entourent sont épatants. Elle est poignante, drôle, impressionnante, totalement investie dans le rôle de Madame Rosa. L'émotion est toujours là (j'ai pleuré à la fin, je l'avoue). Le texte de Romain Gary est gourmand, percutant, d'une innocence maline. Et puis en ces temps de débat sur l'identité nationale, quelle leçon de tolérance de fraternité. Génial.

Enfin, cette réplique (parmi les centaines d'autres qui percutent) " Les choses et les gens sont sans valeur. Sauf s'ils sont aimés! " Dieu que c'est vrai. Et le spectacle finit sur ces mots "Aimons."
J'ai envie de dire : "putain, je fais que ça que d'aimer"…
Merci Myriam Boyer d'être ce que tu es.

Les deux représentations de ce dimanche à 15h et 20h étaient pleines à craquer, ce fut un triomphe à chaque fois. Ça promet pour la suite !

Philippe Faure

vendredi 11 décembre 2009

Bon anniversaire

Aujourd'hui, drôle d'anniversaire. Il y a un an, je signais un bail pour habiter dans une grande maison et recomposer une famille.

Un an plus tard, le bilan est assez navrant : 2 opérations médicales, trois transfusions sanguines, un test HIV, et sur l'année écoulée, environ 6 mois hors de la maison. Des insultes comme s'il en pleuvait. Insultes qui se résument sous le vocable de "Pauvre type".

Le jour où nous avons visité la maison elle déjeunait avec un type rencontré sur Internet. Et quelques semaines auparavant, elle couchait avec un homme qui l'a rendue folle. Un vététiste/éducateur (oui ça existe et pour elle c'est même le summum).

Depuis, elle est toute seule dans cette grande maison, heureuse car elle a besoin de toute la place pour vivre (le plus souvent, j'étais à l'extérieur de la maison pour ne pas la déranger). Elle m'avait prévenu : " je ne suis pas une fille sympa ". Je n'ai pas voulu l'écouter. J'étais dans les sentiments. Elle m'a répété que mes maladies " la gonflait ", qu'elle n'avait pas à assumer une quelconque responsabilité.

Je pense qu'elle surfe sur Internet pour trouver celui qui conviendra le mieux à ses exigences. Elle m'a dit qu'elle voulait s'amuser. Je pense donc qu'elle s'amuse.

Même son père s'y est mis, me traitant de "clampin", sa mère de "rien du tout". En conclusion, je n'étais pas le bienvenu dans cette famille exemplaire. Pourtant, elle m'avait répété que je leur polluais la vie.

Aujourd'hui, je suis heureux de les avoir débarrassés d'un "boulet". Avec le recul, tout cela serait comique si je n'avais pas failli y laisser ma peau. Mais comme elle dirait dans ce cas là : " Ce n'est pas mon problème que tu sois mort, ce que je veux c'est m'amuser. "

Bon anniversaire!

Philippe Faure

PS : Elle m'avait avoué qu'elle ne pourrait jamais aimer les enfants d'un autre.
Là-dessus elle avait entièrement raison. Elle n'aima pas mes filles.

Conclusion : Musset et Marivaux demeurent salvateurs. Ils nous entrainent dans les conflits amoureux avec élégance et fragilité. Et bizarrement, c'est jouissif.Marre, marre de la méchanceté, vive la lumière de l'esprit et du cœur.

Et pour finir, cette phrase qu'elle prononça à maintes reprises : "Je ne suis pas une fille qui s'excuse". Voilà qui est dit!

mardi 8 décembre 2009

Un bloc de tendresse et un feu d'artifice

Samedi soir, dernière représentation d'Observer, le travail de Bruno Meyssat. Personnellement cette mise en théâtre de la tragédie d'Hiroshima m'a laissé sans voix. Bouleversant dans la précarité de cette mise en abîme. Notre public a répondu présent (au-delà de toute attente) à notre invitation. Décidément Bruno Meyssat est un honnête homme et un artiste obstiné et il est juste qu'un grand nombre de spectateurs aient pu découvrir son univers. En arrivant ce lundi matin au théâtre, j'ai eu la surprise qu'il m'ait offert un sublime livre sur UKIYO-E (images du monde flottant). Il s'agit d'un courant artistique japonais qui naquit pendant la période prospère de l'Edo (1615-1868).

Samedi soir encore, une rencontre avec Cathy Bouvard, spectatrice engagée d'Observer. Cathy Bouvard est aujourd'hui co-directrice des Subsistances avec Guy Walter. Nous avons travaillé ensemble pendant un peu plus de cinq ans aux débuts du Théâtre de la Croix-Rousse. Notre séparation fut extrêmement douloureuse, et il a fallu beaucoup de temps pour que nous retrouvions notre calme l'un envers l'autre. Elle a eu un rôle essentiel dans l'aventure de cette maison. Elle occupait en fait le poste de secrétaire générale et surtout je lui avais délégué le choix des spectacles. Je crois être à l'origine de notre séparation. Sans doute, traversai-je à cette époque une période de grand tumulte et au fond notre complicité, notre intimité, m'étaient devenues douloureuses. Peut-être n'étais-je pas à ce moment-là en capacité d'assumer un tel partage des responsabilités. Toujours est-il qu'il y a entre nous deux une vraie estime, une grande fidélité, une affection jamais démentie. Et si, pour une raison ou pour une autre, il fallait rêver à un successeur à la direction de cette maison, c'est sans aucun doute vers elle qu'il faudrait se retourner, elle que j'appellerais. Oui, il y a l'un envers l'autre une considération définitive. Peut-être parce que nous savons l'un et l'autre ce que nous nous devons et que non seulement nous l'assumons, mais nous sommes très fiers d'avoir travaillé ensemble. Qui plus est, je crois que toute l'équipe ici partage cette fidélité à Cathy Bouvard et sa reconnaissance.


Je lis cette réflexion fondamentale de Michel Serres (magnifique philosophe)
« On ne fait jamais de progrès sans admettre son incapacité. »
Mon Dieu, que cela est vrai!

La semaine qui vient risque d'être intense. Beaucoup de rendez-vous décisifs, et puis l'écriture, et puis ce texte du Malade imaginaire qu'il me faut réapprendre (la mémorisation n'est pas mon point fort) enfin dimanche prochain (le 13) très longue journée. A 11 heures du matin, brunch autour de Myriam Boyer, genre conférence de presse. Toute la presse sera là ainsi que nos principaux relais. Il s'agit d'accueillir fraternellement et respectueusement cette actrice incomparable. Ensuite, deux représentations (complètes) de La Vie devant soi à 15 heures et 20 heures.

Règne dans notre maison depuis la rentrée une ambiance que je qualifierais d'épidermique, dans le sens énergique du terme. Toute l'équipe est heureusement mobilisée, investie, légère et donc particulièrement efficace. Je me surprends moi-même à retrouver l'humeur de mes débuts à La Croix-Rousse. Les très pénibles mois de mai, juin, juillet, août, septembre, où je fus extrêmement fragilisé m'ont étrangement redonné le goût de l'aventure. Il est des fréquentations qui ont le don de vous perdre au fond du trou et au fond du trou, ce n'est pas très gai.

Un maire d'une grande ville m'a appelé pour me proposer la direction d'un théâtre (nous avons joué à plusieurs reprises dans sa ville). J'ai décliné la proposition. Je crois que ma vie est ici et j'ai la certitude qu'il ne faut jamais abandonner une aventure en cours de route. Il faut courageusement surmonter les doutes, la lassitude et tout autre sentiment qui pourrait conduire à la facilité. Il ne faut pas céder à la tentation de l'infidélité, au contraire il faut résister, c'est à ce prix que l'on acquiert l'estime de soi-même. Et sans estime de soi-même, rien n'est possible.

Cette réflexion étonnante sur laquelle il convient de méditer. Réflexion de Jean-Paul Sartre :
« La patrie, l'honneur, la liberté, il n'y a rien : l'univers tourne autour d'une paire de fesses, c'est tout. »
J'engage donc une période de méditation et dès que possible, je livre ma conclusion.

Beaucoup d'articles en ce moment dans la presse sur Charlotte Gainsbourg à propos de la sortie du nouveau film de Chéreau et de son nouvel album, "IRM".
Chéreau dit d'elle : « On a tous envie de l'aimer.»
Ce qui me frappe chez elle c'est sa délicatesse. Cette manière qu'elle a de tout frôler avec précaution. Comme si elle était obsédée par l'idée de ne rien abimer. Elle évoque constamment ses admirations. Peut-être son talent est-il d'avoir compris que l'on doit tout aux autres. Ce sont eux qui vous font grandir, donc il convient de les respecter. Charlotte Gainsbourg est une jeune femme respectueuse et ça fait du bien, et du coup, comme le dit Chéreau, on a envie de l'aimer.

Maguy Marin : « Il s'agit surtout de ne pas rester bloqué dans sa petite histoire. »

Dimanche soir, j'ai emmené mes filles Marie et Marline regarder le feu d'artifice. Elles étaient blotties contre moi, chacune d'un côté. On ne faisait qu'un tous les trois. J'ai toujours eu un peu de mal avec les feux d'artifices. Ca ne m'a jamais ni impressionné ni fait rêver. Mais là, nous étions tous les trois un bloc de tendresse, alors le feu d'artifice, par la force des choses, je l'ai trouvé beau !

Philippe Faure

vendredi 4 décembre 2009

Le pourquoi du journal intime

La vie privée est intimement liée au travail. C'est sans doute le sens de ce journal intime.

J'anime ce théâtre avec ce que je suis, avec ce que je vis, avec les chagrins, les joies, les solitudes, les emballements, parfois les tendresses et les déceptions qui font la vie. C'est que je suis par la force des choses au cœur d'un mouvement général. Il y a l'équipe autour de moi, les artistes, le public, les médias, les complicités extérieures, les autorités nécessaires, enfin tous ceux qui pour une raison ou une autre ont à faire avec notre théâtre. Et ça fait un monde fou. Et au fond, tous et chacun ont besoin de savoir que celui qui crée le mouvement est totalement sincère, engagé, et digne de confiance.

Ce journal intime est un garde-fou. Il m'oblige à chaque fois à faire preuve de vérité. Il dit à peu près tout des efforts inouïs que je dois accomplir pour relever le défi. Et le défi, c'est d'être toujours ouvert aux autres, généreux, de ne pas être dupe de ses propres limites, de ne pas avoir peur d'assumer ni ses réussites, ni ses échecs.
Il faut être à nu.

Lorsque je raconte les désillusions (cruelles) d'une relation amoureuse, ce n'est pas de l'impudeur, c'est que l'état de fragilité où je suis raconte à sa manière le théâtre. Les ennuis de santé dont il m'est arrivé de parler disent à leur manière l'éphémère du théâtre. Dire l'intime pour dire la peur de ne pas être suffisamment délicat. Ce journal intime m'aide à ne pas oublier que la délicatesse approche au près la nature humaine. Il n'y a pas de vérité sans délicatesse. Car au fond, dans la vie, comme dans le théâtre, il n'y a pas de vraie vérité. Il n'y a que des tentatives pour être un tant soit peu exemplaire. Et ces tentatives sont tout le sens de nos vies.

C'est ce que j'exprime dans ce journal intime (vilainement rebaptisé blog), je tente en permanence d'être au service des autres. Pas pour satisfaire leur insatisfaction, non, pour les emmener vers la légèreté. Et la légèreté, c'est le refus du mensonge, de la trahison, de la colère, du mépris, de la suffisance. C'est admettre que nos vies n'ont de sens que si elles s'élancent vers un désir de partage. Comme on s'élancerait dans le vide. Sauf que dans ces conditions, on ne s'écrase pas sur le sol. Non, on vole. Les ailes nous poussent. C'est qu'on s'est délesté de tous nos petits égoïsmes.

Ce journal intime, c'est donc pour que des ailes me poussent dans le dos. À vérifier.

Philippe Faure

jeudi 3 décembre 2009

L’innocence au théâtre

Dans le passé, j’avais écrit une pièce dont la carrière fut assez miraculeuse : La Caresse. (Je n'étais pas encore à La Croix-Rousse.)
Il n'y a pas si longtemps, j'ai écrit une "suite" si l'on peut dire, un complément d'enquête pourrait-on dire : Les Etreintes. (C'était il y a 8 ou 9 ans.) Autant que je m'en souvienne, le spectacle passa un peu inaperçu. Et pourtant j'adorais ce que nous avions imaginé scénographiquement avec Alain Batifoulier. La troupe d'acteurs était assez formidable. C'étaient de courtes histoires qui se télescopaient. Le spectacle déclinait en toute liberté, intimité et absurdité ; les différents états de l'étreinte. Sans doute un jour reprendrai-je ce spectacle. Le réinventerai-je. À cette époque, j'avais dans l'idée de créer une trilogie : La Caresse, Les Etreintes et les Baisers. Et puis d'autres projets se sont enchainés. Depuis quelques jours j'ai commencé à écrire ce dernier volet de ma "trilogie de l'intime". Je suis donc en "plein baisers" et j'avoue que j'ai sur ce sujet l'imagination fertile.

Hier au soir, première du spectacle de Bruno Meyssat, Observer. Salle pleine (je ne reviens pas sur l'opération que nous avons lancée d'invitations de tous nos abonnés). Cela dit, il est tout à fait admirable et rassurant que plus de 2000 personnes aient réservé leur place en à peine une semaine. Je crois que cet événement fera date dans l'histoire de notre théâtre. Pour en revenir au travail de Bruno Meyssat qui revisite le souvenir d'Hiroshima, c'est tout à fait impressionnant. De quoi s'agit-il? De créer un certain désordre d'objets, de signes, de bruits, d'immobilités, d'errance, d'ombres et de lumières pour que s'invente au fur et à mesure une sorte de paysage fantomatique qui, étrangement, parle à nos sens. Sans que rien ne soit dit. Meyssat est une sorte d'agitateur de fantômes et puis l'homme, s'il est un honnête homme et un artiste obstiné, n'en demeure pas moins un petit garçon aux prises avec ses cauchemars nocturnes. Peut-être attend-il seulement que sa maman le console (évidemment, cette supposition n'engage que moi).

Hier, j'ai visité un appartement juste en face du théâtre. Toutes les fenêtres donnent sur la place Joannès Ambre. Il est en plein sud. Refait à neuf, modeste mais paisible. Pas très grand. Mais cela n'a pas grande importance. J'ai pu expérimenter il y a quelques mois que de vivre dans une grande maison n'impliquait pas que je puisse avoir mon espace vital. D'ailleurs, j'ai passé plus de temps à l'extérieur de la maison plutôt qu'à l'intérieur. Malgré la superficie, je n'avais pas ma place, je n'étais pas à ma place. D'ailleurs, j'avais été prévenu : « Moi, j'ai besoin de toute la place » m'avait-elle dit, et encore cet avertissement : « Impose-toi! ». C'est donc que vivre dans cette maison devait nécessairement être un combat. Pas de place pour les sentiments. Décidément, ce petit appartement en face du théâtre, dans sa modestie, ne peut être qu'un havre de paix.

Journée triste dans l'équipe hier.
L'une de mes collaboratrices avait perdu sa mère dans la nuit précédente.
La mort d'une mère, ou plutôt la disparition d'une mère, est un événement ingérable. Lorsqu'une mère part, c'est toute l'enfance qui s'évanouit.
On reste démuni, stupéfié. Celle-là qui nous a mis au monde nous abandonne à nous-mêmes. Alors, il faut un courage infini pour ne pas se déconstruire mais au contraire pour réaffirmer ce que nous sommes pour tenter de devenir ce que notre mère rêvait que nous soyons. Je me souviens que quelques semaines avant de mourir, ma mère m'avait dit : «Je sais que je pourrai être fière de toi. »
"Que je pourrai" m'a-t-elle dit. C'est donc qu'il allait falloir que je travaille toute ma vie à être moins médiocre que je ne pouvais l'être. Car nous sommes tous ordinaires. Heureusement que nos mères ne doutent jamais de nous. Rien n'est pire que de faire douter une mère de nous-mêmes. Bien sûr toute l'équipe souhaite du courage à notre collaboratrice.

Lu cette définition d'Albert Camus :
« Le théâtre est un art de chair qui donne à des corps vivants le soin de traduire ses leçons, un art en même temps grossier et subtil, une entente exceptionnelle des mouvements, de la voix et des lumières. Mais il est aussi le plus conventionnel des arts tout entier dans cette complicité de l'acteur et du spectateur qui apportent un consentement mutuel et tacite à la même illusion. »
Il ajoute à un moment donné cette phrase magnifique : « Je me retrouve innocent au théâtre. »
Il ajoute encore cette phrase non moins magnifique : « La camaraderie a été l'une des grandes joies de ma vie. »
Conclusion : heureusement que Camus existe !

Philippe Faure