mardi 25 novembre 2008

Zola et les Restos du Coeur

Déjà trois représentations de Thérèse Raquin (vendredi, samedi, dimanche).
Déjà la première critique.
Chacun, public et professionnel, (re)découvre cette histoire extra-ordinaire de Zola. Il y a là une force (physique) qui jette les deux amants l’un contre l’autre et qui, dans le même temps, jette le mari à la Seine.
Pour reprendre les propos de Nicolas Blondeau hier dans Le Progrès :
« (…) Thérèse (Anne Comte, troublante), Laurent (Marc Voisin, irrésistible), Camille (Jean-Claude Martin, impeccable) et Claire Cathy (hallucinante de vérité dans le rôle de la belle-mère). »
Tout est dit et je me réjouis que, malgré le tragique du spectacle, cette création semble être un succès public.

Dans un genre pas si éloigné que ça, on retrouve dans l’affrontement de Martine Aubry et de Ségolène Royal quelque chose de Zola : sa radicalité. Tout détruire pour reconstruire, mais Zola nous dit qu’on ne reconstruit rien sur le crime, et ce que fait le Parti socialiste en ce moment est un crime.

Agnès Jarlier, qui est en relation avec le monde des comités d’entreprise ici, me dit à quel point sont nombreuses les entreprises qui décident des chômages techniques (1,2 voire 3 semaines). C’est évident, la crise étrangle les entreprises.

A partir de la semaine prochaine, s’ouvrent les Restos du Cœur à côté du Théâtre. J’irai moi-même distribuer des repas tous les jeudis. Il y a là le désir de participer à la solidarité générale. Mais, peut-être de façon plus complexe, y-a-t’il le désir de découvrir en chair et en os ce monde des exclus. Est-ce malsain ? Est-ce un sentiment de culpabilité ? Est-ce un artiste qui cherche à comprendre le peuple ? (Seul Victor Hugo a su employer ce mot de peuple à sa juste signification.) Bien évidemment, je reviendrai sur cette expérience (si l’on peut appeler ça ainsi).

Ce matin, le froid est là. Et des gens vont dormir dehors. Je me souviens que Jean-Louis Martinelli, du temps où il était directeur du TNS, avait abrité des exclus dans son théâtre. La question se pose-t-elle d’une manière générale pour nous tous, directeurs de théâtres ?

Aujourd’hui, toute l’équipe (administrative, technique, ainsi que les comédiens des deux créations : soit 35 personnes) déjeunent ensemble pour fêter les 9300 abonnés de notre maison. Le plus gros score que nous ayons atteint ici étant de 9180 abonnés. Il ne s’agit pas de se glorifier des chiffres, il s’agit simplement de se réjouir que la maison reste vivante et crée encore du désir.

Philippe Faure

Trois créations avec Philippe Faure par Anne Comte


A travers les trois créations auxquelles j’ai participé avec Philippe Faure, j’ai pu toucher à des registres de jeu littéralement différents. A chercher, encore et encore, à atteindre (autant que faire se peut) une certaine vérité de jeu située, par ses complexités et ses exigeances, à divers niveaux d’interprétation :
Le rôle de Camille, dans On ne badine pas avec l’amour requiert la rigueur du verbe, les subtilités des contradictions et les sinuosités de la pensée. C’est un personnage cérébral.
Celui de Thérèse, dans Thérèse Raquin, induit, quant à lui, à une libération des instincts, à une désinhibition du corps, aux luttes permanentes entre fantasmes, folie et cruauté. Thérèse est un personnage animal et dangereux.
Celui, enfin, de la petite marchande, dans La Petite Fille aux allumettes, qui, parce qu’elle est une enfant livrée aux mondes qui l’entourent (réels ou imaginaires) et qu’elle subit, se laisse « emporter » par l’univers fantasmagorique et onirique d’Andersen, amène à une sorte de lâcher prise, de maléabilité.
Philippe Faure laisse beaucoup de liberté aux comédiens quant à l’interprétation des rôles. Cela nous demande donc de développer notre propre imaginaire, de le stimuler sans cesse, de l’interroger, de le malaxer. Que provoque en nous la parole d’un « autre » dans notre corps, notre instrument ? Et voilà toute la difficulté. Voilà aussi, et par là-même, le signe de la confiance qu’il nous porte.
Anne Comte, interprète de La Petite Fille aux allumettes et de Thérèse Raquin.

vendredi 21 novembre 2008

L'idée du "blotissement"

Hier au soir 20 novembre : dernier filage de Thérèse Raquin .
Grande impatience de montrer ce travail.
Décidemment, ce roman (massacré à sa parution) est sans doute la plus belle histoire de passion racontée avec La Femme d’à côté de François Truffaut.

Mais comment vont-ils faire pour se réconcilier ?
Comment des gens aussi intelligents peuvent-ils se combattre alors que le peuple attend d’eux de la considération ?
Le PS demeure un mystère, mais vraiment, il y a des mystères que l’on n’a pas envie de percer.

Hervé Villard a été victime d’une crise cardiaque. Il a été opéré en urgence.
J’ai beaucoup de tendresse pour cet homme. Il y a deux ans, il avait proposé un récital avec des textes d’Aragon, de Genet, etc. Je me souviens que Libération avait fait une page sur le spectacle. Et puis quand même, un type qui a écrit Capri c’est fini reste indiscutable.

Souvent, il est question dans des enquêtes de la solitude des gens aujourd’hui.
Sait-on quand on est seul ?
Il me semble que l’on est seul lorsqu’on n’a pas la chance de pouvoir se blottir contre l’autre. Le "blottisement" (mot que j’adore) est le secret de la vie.

Aujourd’hui, première de Thérèse Raquin, j’ai failli offrir à tous les comédiens le livre de Jean-Louis Fournier Où on va papa ?, Prix Femina 2008.
Je me suis totalement identifié à ces deux enfants handicapés et à leur père. J’ai pensé, en lisant ce livre, à Raymond Queneau, à Marcel Pagnol. Je ne connaissais pas cet auteur.
Lisez-le et dites-moi vos impressions.

Madame la Ministre Christine Albanel est à Lyon aujourd’hui. Peut-être va-t-elle me téléphoner. Je vous tiens au courant.

Christophe Perton me propose d’accueillir Roberto Zucco de Koltès la saison prochaine. La distribution est énorme, le spectacle très lourd financièrement. Je vais devoir renoncer.
Christophe Perton m’envoie un mail, je le cite :
« Si le "désir" est là (il parle de mon désir d’accueillir Roberto Zucco), alors je suis convaincu qu’il sera plus fort que "la réalité économique". »
Voilà des mots ("désir" et "réalité économique") qui n’engendrent pas la mélancolie.

Enfin, beaucoup de réactions violentes à propos des deux spectacles de Raimund Hoghe présentés la semaine dernière sur notre scène : Boléro variations et Swan Lake, 4 acts.
Il fut le dramaturge de Pina Bausch, c’est clair.
Je suis troublé que ce petit homme, si doux, si délicat, si poli, légèrement bossu, au langage si pur et si nuancé, ose des chorégraphies aussi décalées dans le temps par leur lenteur, leur dépouillement, par leur solitude. Hoghe est un artiste qui n’a pas peur. Il ose quasiment le silence du corps.
Il y a quelques semaines, Jean-Paul Montanari, qui dirige Montpellier Danse, me disait que Hoghe était un génie. Je lui fais toute confiance et j’aurais plutôt tendance à me ranger à son avis.

Philippe Faure

lundi 17 novembre 2008

Confidences

Je réalise que sur un blog, si on le considère véritablement comme un journal intime, tout doit être dit et donc les sujets et les humeurs ne peuvent que se mélanger dans une sorte de curieux désordre.

Allons-y pour les confidences :
Ce vendredi 14 novembre, comité de suivi du Théâtre de la Croix-Rousse réunissant la Ville de Lyon, la Région Rhône-Alpes, le Conseil général du Rhône et la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Rhône-Alpes. Il s’agit dans ces comités de suivi de faire le point extrêmement précisément sur la situation budgétaire, artistique, sur la fréquentation, et de tracer les perspectives d’avenir de la maison. C’est donc un exposé d’un peu plus d’une heure qui m’est proposé et qui évidemment demande un énorme travail en amont.
Ensuite, chaque collectivité territoriale prend la parole, dit ce qu’elle a à dire et porte un jugement particulier et global sur la manière dont est dirigée cette maison.
Je dois dire, à la vérité, que j’ai rarement ressenti, depuis que je dirige cette maison, un tel engagement de la part de chacun. Il y avait quelque chose d’assez bouleversant d’entendre les uns et les autres être à ce point conscients de la place qu’occupe le Théâtre de la Croix-Rousse en Rhône-Alpes et en France. Il fut question d’exemplarité, de directions innovantes, de rigueur intellectuelle, d’aventures irremplaçables. Par les temps qui courent, un tel engagement derrière une mission de service public est tout à fait exceptionnel. Je m’en réjouis bien évidemment et je me dis que ces très longues journées passées, chaque jour au théâtre, ne sont pas vaines, mais qu’au contraire, elles prouvent plus que jamais que les artistes, les politiques et les administratifs doivent être ensemble pour inventer l’avenir. Merci donc à Abraham Bengio, Catherine Cremet, Georges Képénékian, Bertrand Prade, Jean-Luc Legay, Bertrand Munin et Alain Lombard pour leur confiance, leur engagement et leur affection.

Autre humeur :
Mon Dieu, quelle tristesse que ce week-end de Reims où les éléphants socialistes (je ne dis pas le Parti Socialiste) n’ont pas su faire taire leurs rancoeurs et leurs ambitions !
La politique, bien évidemment, c’est tout le contraire. C’est la volonté ensemble, là encore, de construire l’avenir. Je suis sidéré qu’un parti comme celui-là puisse couver autant de haine. Dans l’exercice de mon métier et dans ma relation aux artistes, aux directeurs de théâtres et aux politiques, je n’ai jamais cédé justement à la confrontation pour un intérêt personnel. J’ai mené le combat toujours pour rassembler les uns et les autres autour d’une mission que je considérais d’intérêt public.
Deux conséquences à cela :
Je crois qu’aucun théâtre en France n’a invité autant de metteurs en scène différents dans leur esthétique, dans leur pensée et dans leur travail. J’ai toujours jugé que mes goûts personnels devaient passer après l’intérêt de montrer à notre public l’état du théâtre aujourd’hui.
Seconde conséquence :
Toutes les alternances politiques qui se sont produites dans la Région n’ont jamais altéré en rien le soutien des collectivités territoriales.
Être directeur de théâtre, c’est avoir une certaine idée de la générosité. J’appelle les éléphants socialistes à être généreux et à savoir vivre ensemble. Je repense à 1981, à Mitterrand, à l’union de la gauche. C’était quand même autre chose. C’était beau comme un avenir en marche. Il faut que les éléphants redeviennent des éléphanteaux. Légers comme des promesses.

Avant-dernière pensée :
Ces jours-ci, j’ai eu affaire avec le mensonge. Quelqu’une que j’aime m’a menti effrontément. Sans rentrer dans le détail, je me dis vraiment que le mensonge est "une fin du monde". C’est le moment où il n’y a plus rien à dire. Comme dirait l’autre, il faut laisser le mensonge à ceux à qui il appartient. Au fond, le mensonge est un acte personnel. Ne venons pas troubler celui ou celle qui ment. Laissons–leur l’entière responsabilité de leur choix. Il y a mieux à faire dans la vie que de se battre contre le mensonge. Par exemple, écouter le dernier album sublime de Christophe !

Enfin, je dois faire, dans les jours qui viennent, une coloscopie suite à mon anémie d’il y a quelques semaines. Examen courant et banal. Mais étrangement, je ne peux m’empêcher de penser à Jacques Weber qui dans sa loge, sur sa table de maquillage, avait environ une centaine de médicaments à sa disposition, comme s’il avait besoin de parer instantanément à toutes les maladies de la terre. Ça me donne envie, tout ça, de remonter Le Malade imaginaire, qui reste pour moi (le personnage et la pièce) mon plus grand bonheur de théâtre. Soudain je pense que ce mot de bonheur, on a rarement l’occasion de le prononcer dans nos métiers.

Philippe Faure

mercredi 12 novembre 2008

Fou !


« Fou ! ». Combien de fois me suis-je entendu qualifié ainsi à propos de mes grandes chevauchées raciniennes solitaires ! Fou, incontestablement ! Sans doute, plus fou encore qu’on ne l’imagine ! Doublement fou ! Et bientôt triplement fou ! Je n’ai pas souvenir d’avoir commencé une seule représentation de Phèdre ou de Bérénice – et il n’y a aucune raison pour qu’il en soit autrement avec Andromaque ! – sans m’être dit, dans l’heure épouvantable qui précède mon entrée en scène, un chapelet de « plus jamais ! ». Sans avoir appelé ma maman à mon secours, tant je me sens petit garçon devant la tâche à accomplir !
Sans avoir imploré une protection divine miséricordieuse ! Sans avoir pratiqué toutes sortes de signes cabalistiques, dont le signe de la croix ! Sans avoir pressé entre le pouce et l’index gauches le petit cube de jade que je porte suspendu à mon cou par une chaînette en or ! Sans avoir imposé mes mains sur toute espèce de surface en bois, portes, chaises, parquet… Sans avoir vérifié silencieusement, plusieurs fois à la minute, que la première réplique au moins ne m’échapperait pas ! Sans avoir répété, inlassablement, enchaînées ou mélangées, toutes ces pratiques superstitieuses, jusqu’au « go » final du compte-à-rebours ! Sur le trajet qui m’a conduit au théâtre, comme à un échafaud quotidien, mon calvaire observe toujours une station au moins devant une boutique de lingerie féminine, dont la contemplation de ses « petits trésors », comme dit Le Fétichiste de Michel Tournier, parvient, seule, à desserer l’étau de l’angoisse qui monte aussi vite que la fièvre chez un nourrisson…
Fou de trac ! Cette irrépressible névrose du comédien ! Directement proportionnelle à l’importance de son rôle ! ( En l’occurrence, de « mes » rôles ! Si mon cachet n’est pas multiplié par huit quand la tragédie comporte huit personnages, en revanche mon trac, lui l’est !)
« Le facteur sonne toujours deux fois ». Jacques Brel disait qu’à chacun de ses récitals, il vomissait toujours deux fois ! Il vomissait de trac, avant. Il vomissait d’épuisement, après !
Mais alors, pourquoi ? Pourquoi souffrir à ce point ? C’est une autre histoire, sujet d’un autre petit billet…
Jean Marc Avocat, metteur en scène et interprète de Phèdre, Bérénice et Andromaque.

lundi 3 novembre 2008

Ce week-end du 1er novembre : dernières répétitions de Thérèse Raquin avant la création le 21 novembre


Décidemment, ce roman de Zola me stupéfie encore et toujours. Après l’avoir déjà mis en scène il y a plus de 10 ans, je retrouve cette histoire avec la même fascination. D’où vient-elle ?
Elle vient sans doute du fait que le personnage principal de ce roman est le corps. Zola décrit avec une précision incroyable les dérèglements du corps. Certes, on peut parler de passion, on peut parler de haine, de dégoût, de violence, tous ces sentiments qui dérèglent la raison. Mais au-delà, il y a le corps lui-même. J’allais presque dire le corps comme matière humaine, sans matière grise, et ce qui m’a passionné dans ce travail de mise en scène, en fait, c’est avec les comédiens, et en particulier Laurent (Marc Voisin) et Thérèse (Anne Comte), ce travail sur le corps.
Mais bien evidemment, les trois autres comédiens du spectacle : Claire Cathy, Jean-Claude Martin, et Gilles Olen participent aussi de cette sorte de stupéfaction physique. Jean Claude Martin (Camille) exprime sa souffrance avce la maladresse du désespoir. Claire Cathy (Mme Raquin) est foudroyée et exangue.Le regard figé dans l'absolu. Gilles Olen (l'employé de la morgue) décrit le monde des cadavres avec une allégresse effrayante.
Au-delà des mots, investir le corps du comédien dans ce quasi dénuement où soudain il devient disponible à tous les vertiges. Le corps alors se tord, chancelle, frémit, se balance, se voûte, exulte, perd l’équilibre, les corps se cannibalisent l’un l’autre. J’avoue que ces deux comédiens-là ont l’art de libérer leurs corps de toute psychologie. Ils s’abandonnent véritablement aux dérèglements. Cela crée une poésie particulière. Le corps comme livré à lui-même, le corps affolé, le corps qu’on frappe et le corps qui reçoit les coups. Il y a quelque chose qui s’apparente aux sculptures de Rodin, à certaines toiles de Courbet. Le corps dans tous ses états. Et ça fait peur car, au fond, Zola nous dit que notre corps nous est étranger. C’est un autre nous-même que nous ne connaissons pas et qui parfois se révolte contre-nous.
Tous les grands acteurs (Gabin, De Funès, De Niro, Depardieu, Lancaster, Dewaere) s’imposaient d’abord par leur façon de bouger, de ne plus jouer mais de donner à voir leur corps comme la vérité de leur personnage. Alors les mots ne sont plus que des indications anecdotiques. C’est le corps qui dit qui ils sont.
C’est assez excitant après la création de La Petite Fille aux allumettes, où l’imaginaire rend les corps aériens, de revenir à Zola, à la réalité brutale du corps débarrassé de tout imaginaire. J’ai conscience que ce diptyque Andersen-Zola prendra tout son sens le 21 novembre, lorsque nous aurons créé Thérèse Raquin et qu’ensuite nous jouerons les deux spectacles en alternance.

Une dernière réflexion qui n’a rien à voir :
Premièrement, le prix des tours de manège à la Vogue des marrons à la Croix-Rousse est purement scandaleux : entre 3 et 5 € pour chaque tour qui ne dure pas plus de 2 minutes. Mieux vaut ne pas avoir de famille nombreuse, mieux vaut ne pas avoir d’enfant du tout. Et dire que la Vogue est un événement populaire ! Faut dire que les manèges pour la plupart sont tellement sophistiqués. Difficile donc à rentabiliser. Où est le temps où l'on se dressait sur les voitures de pompiers ou les hélicoptères pour rattraper le pompon et gagner un tour supplémentaire ?
Philippe Faure