lundi 23 mars 2009

Chaque être humain est une clarté

Pourquoi toujours cette confusion entre gentillesse et faiblesse ? Rien n’est plus néfaste que l’affirmation du "Moi je" ou alors il faut y mettre une bonne dose de ridicule, pour que l’affirmation permette de se moquer de soi. « L’air du temps est désormais à la féminité, à la douceur, à la tolérance et à l’altruisme. » affirme Michel Lacroix (philosophe, auteur de Petite philosophie de l’épanouissement personnel). Le "Moi je" ne rend pas heureux. Il est la pire des prisons. La gentillesse permet de prendre conscience que l’on n’est pas seul au monde. C’est « une éthique du cœur » (Stefan Einhorn, cancérologue suédois, auteur de L’Art d’être bon. Oser la gentillesse). Être gentil c’est être solidaire. C’est comme un supplément d’âme. Sans gentillesse les nourrissons dépérissent (se souvenir des orphelinats roumains). C’est aussi l’indulgence (accepter les faiblesses et les fragilités de l’autre). C’est enfin une manière de prendre soin de soi, de l’autre et donc du monde. Que la gentillesse soit !

« Éprouver une solidarité inconditionnelle avec ce que la condition d’homme comporte d’insondable détresse. » (Pierre Cazenave, psychanalyste)
Ces mots d’Emmanuel Carrère extraits de son dernier roman, D’autres vies que la mienne, à propos de l’un de ses personnages : « Nous sommes tous autour de Ruth réunis par l’idée que pour elle il y a encore moyen de faire quelque chose. De l’arracher au vide devant lequel elle se tient immobile, sans nous voir. De la sauver. » "Arracher au vide", quelle merveille d’expression !

Extrait de Résidents de la République : « Un jour je courrai moins jusqu’au jour où je ne courrai plus. » Alain Bashung est mort. Il ne courra donc plus. Ces autres paroles extraites de Gaby : « Bien plus belle que Mauricette qu’est belle comme un pétard qui n’attend plus qu’une allumette. » Encore extraites de J’croise aux Hébrides : « Respectez une minute de silence faites comme si j’étais pas arrivé. » Je repense au Malade imaginaire et à ses répliques vertigineuses : « Le Poumon », comme explication définitive de la fragilité humaine. Décidemment la mort aime le poumon des poètes.

Continental va fermer laissant 1200 salariés au chômage. Il y a dans cette entreprise des métiers inconnus : "confectionneur de pneus", "inspecteur des produits finis". Ceux des "Ateliers mélange". Huile, graisse, carbone. La matière est toute noire et sale. Les pains sont de résine synthétique. Tout ce monde-là, ce monde du pneu, pleure toutes les larmes de son corps. Le prix d’un pneu est de 12 € ici et de 5,3 € en Roumanie. Et quand on sait dans quelles conditions vivent les roumains chez eux, on se dit que la lutte des classes est vraiment d’actualité. Toujours exploiter les plus faibles : les déposséder de tout avenir possible. C’est fou d’entendre en permanence la litanie de ces travailleurs exclus de leur travail… Que de larmes dans les petits matins froids des piquets de grève.

Aveu terrible de François Mauriac : « Nous nous obstinons à vouloir déifier la première âme venue. Mais plus nous y faisons des pas, plus l’irrémédiable nullité nous y apparaît de cette âme. »
Autre extrait de l’un de ses poèmes adressé à Jean Cocteau : « Les irritants baisers de vos lèvres gercées… »
J’ai toujours été fasciné par Mauriac. Cet "enfant chargé de chaînes". Ce désir de Dieu venu sur le tard, précédé de tous ces émois pour tant de jeunes hommes. Émois cruciaux et coupables qui le conduisirent vers la fin de sa vie à une sorte de solitude de grand bourgeois, de respectabilité murmurée, chuchotée. Un homme à la sensualité bridée. Une sorte d’adolescent monstrueux avant d’être un patriarche du Figaro. Malgré tout jamais résigné. Tout en souffrance. Il faut lire François Mauriac.

L’autre samedi après-midi à 17h, belle table ronde à La Croix-Rousse (salle au trois quarts pleine malgré le soleil du dehors). Le sujet "Camus/Sartre". Beaucoup de précisions dans les interventions. Je retiens celle d’Abraham Bengio à propos de la polémique autour de la publication de L’Homme révolté de Camus et de la réponse finale de Sartre, après celle de Brisson. C’était aussi passionnant qu’un roman de Gaston Leroux.
L’événement aujourd’hui, ce n’est plus un affrontement Sartre/Camus, c’est de savoir si Stéphane Guillon est méchant ou pas. Le monde a les polémiques qu’il mérite !

C’en est fini de la mode des vide-greniers. Les temps sont aux vide-frigos… À Paris, on vend les produits périmés sur les trottoirs.
Ce titre dans un journal : « Pour les familles sans argent, les prix bas (très) sont le prix du risque ! » Mères célibataires, retraités, handicapés, étudiants, tous dans la même galère : les nouvelles grandes surfaces s’inventent sur les trottoirs parisiens. Fallait y penser !

Vu pour la première fois une photo de Maurice Utrillo. Il peignait toujours en pyjama rayé. Il fut beaucoup interné à Sainte Anne dans sa vie. La première fois à 21 ans. Il dira : « J’étais arrivé à l’état d’alcoolique pur. » Il s’échappe des asiles et des cliniques. Utrillo ne va pas sans sa mère Suzanne Valandron. Ils passeront leur vie à se rater. J’ai écrit dans le passé une sorte de biographie imaginaire de Modigliani : Moi j’étais femme dans les tableaux de Modigliani. C’était une époque sur laquelle je me suis beaucoup penché. Et j’ai eu le vertige tant la beauté était, pour ces peintres, une exigence démesurée.

J’ai toujours eu un grand pouvoir d’admiration. Peut-être ai-je toujours eu conscience de mes insuffisances, d’un talent parfois gâché, de malentendus bêtement créés, et au fond de n’être que ce que je suis. Alors il ne reste plus qu’à se réfugier dans l’esprit de ceux qui ne renoncent pas, qui n’ont jamais renoncé. Ai-je à dire que j’ai moi-même renoncé ? Bien sûr que non ! Mais les limites sont plus douloureuses à franchir, car la lucidité impose sa loi. Le désir d’écrire à nouveau me revient, lancinant. Prendre le risque d’écrire encore, de s’exposer, d’expier sa vérité. De tenter une justesse, de faire naître une clarté. Car au fond, une fois débarrassé de nos mauvaises habitudes, chaque être humain est une clarté dans un monde si sombre ; Vivement toutes ces petites lueurs dans la nuit, comme autant de peuples libérés de leur propre ombre, de leur peur viscérale.

Philippe Faure

mercredi 11 mars 2009

Trois hommes remarquables

Cette confidence de Vincent Lindon au hasard d’une interview à propos de la sortie de Welcome : « J’aime les personnages qui ont des rédemptions, qui apprennent, qui se dépassent. Les personnages qui commencent "gros con" qui regarde ses pompes mais qui finit homme debout et digne, s’intéressant à ce qui se passe dans la cité. » Plus loin encore, toujours Vincent Lindon : « Un acteur c’est une cible mouvante. Emouvante. » D’une certaine manière, Vincent Lindon est un acteur "que je n’ai pas vu venir" et aujourd’hui je m’aperçois qu’il est à hauteur d’homme. Plus loin encore, il évoque le fait que tout en étant surpuissant, les femmes ont envie de le consoler. Il me ramène à Marcello Mastroianni que j’ai aimé plus que tout, mélange de force, de charme, de détresse, sorte de funambule de l’amour, drôle et tragique dans le même instant, ayant toujours l’impression qu’il fume sa dernière cigarette (gros, très gros fumeur). La cigarette du condamné à mort.

Il y a quelques années (4 ou 5), Vincent Lindon est venu à la Croix-Rousse pour assister au concert de Christophe. Souvenir impérissable. Christophe fait sa rentrée à l’Olympia. C’est archi-complet. Il devait revenir à la Croix-Rousse la saison prochaine, malheureusement cela n’a pu se faire. En 2008, il enregistre l’album Aimer ce que nous sommes. C’est cet album qu’il met en scène. Je l’ai "collé" de près lorsqu’il fut trois soirées chez nous. L’homme est à peine grand. "Miniature" l’on pourrait oser. D’une minceur rare. Une chevelure incroyablement dense qui tombe généreuse sur ses frêles épaules. Son visage est émacié. Les traits nets mais sans traduire quelque âge qui soit. C’est un visage secret. D’un certain genre. Impassible mais foudroyant. Et puis, il y a ses yeux dissimulés derrière ses lunettes noires. On les sent, on les devine, leur absence vous transperce. Christophe est un homme de la nuit. Et tout chez lui appartient au monde de la nuit. Sa voix étrangement chuchotée et aiguë. Ses postures, celles d’un dandy préservé de la réalité du quotidien. Sa tenue vestimentaire : venue d’ailleurs, d’un monde où tout est envisageable. La nuit est le repaire des fauves. Son Aline a provoqué des milliers de mariages et le voilà rock star avec une facette underground. J’avais beaucoup parlé avec lui. Mais parle-t-on avec la nuit ? On la respire. Voilà la vérité. J’ai donc respiré Christophe et c’était bon.

Autre personnage dans l’actualité : Olivier Py qui remonte Le Soulier de satin à l’Odéon. Il dit à propos de son rôle de directeur d’une des plus importantes maisons de théâtre d’Europe : « Diriger ! Je déteste ce mot. Je déblaye le terrain. » L’aveu est magnifique. Je me sens aussi chaque jour qui passe un déblayeur de terrain. Il n’a pas peur de se mettre en scène. Il transgresse l’idée que le poète doit être un homme de l’ombre. Il lance des piques aux critiques, aux politiques. Il court après le temps. Il est obsédé par tous ces poètes morts ou vifs. Nous l’avons invité à deux reprises à la Croix-Rousse. Comme Rodrigue, il rêve d’abolir les frontières. Et Claudel qui déconne, qui tragédise, qui comptine, qui prie et qui déprie (pardon pour les mots inventés). Et pour Py, cette obsession du Chrétien qui montre ses fesses, qui veut se « farcir la rondelle ». Décidemment le théâtre est tout. Il y a le verbe et le sexe. Il y a l’amour des autres. Vivement que Py revienne à la Croix-Rousse et que je le regarde travailler comme un enfant regarde une crèche de Noël.

Voilà trois hommes, Lindon, Christophe et Py, qui nous donnent envie d’être encore plus vivants, d’être dignes, de ne pas tricher. Marre, marre, marre des tricheurs. Vive les "fous d’amour" !

Beaucoup de gens me témoignent leur surprise en lisant ce blog. C’est que souvent j’y suis d’une grande impudeur. J’avoue des faiblesses, des chagrins, que d’habitude on garde pour soi. Au fond, j’expie mes fautes. Pour "s’élever" un peu, il faut se délester de notre part de lâcheté, de douleurs, de mesquineries et de mensonges. Au sens "claudélien" du terme, il faut se purifier. Il m’a fallu apprendre à donner sans attendre de retour. Donner pour donner. Pour la beauté du geste. Pour faire le bien. Pour fuir cet égoïsme qui nous tient serrés dans ses mains. Et oui ! l’égoïsme a des mains, noueuses, paysannes, avec des doigts aussi forts qu’une tenaille. J’aime cette idée que l’on se mette à nu. Finie la mascarade du déguisement. Il faut s’exposer pour ce que l’on est. J’aurai d’ailleurs, dans les semaines qui viennent, l’occasion de m’exposer dans le ridicule de ce que j’ai été, de ce que je suis peut-être encore, mais de ce que je n’espère plus être à l’avenir et l’avenir c’est maintenant, donc pas de temps à perdre.

Quelqu’un me dit comme un reproche : « Tu es insaisissable. » Je lui réponds que j’ai tellement de rêves de "beau" que parfois, devant la maigreur des beautés apparues, j’ai des tendances à m’évanouir, et pourquoi ne pas le dire, à pleurer comme un enfant qui réalise qu’il est à l’orphelinat. Son père et sa mère sont morts. Cela dit, la vie est belle. Parce qu’elle exige tout de nous. Surtout l’impossible et contrairement à l’adage, à l’impossible nous sommes tenus.

Philippe Faure