mercredi 21 avril 2010

Pourquoi il faut absolument découvrir le monde de Pippo Delbono

L'homme :
Il est né en 1959 à Varazze. Il y a quelque chose chez lui d'un Depardieu italien, mélange d'une force physique impressionnante et en même temps d'une rare légèreté. Il a la solidité d'un artisan (les mains), d'un paysan, et en même temps presque la gracieuseté d'un enfant. Il me fait irrésistiblement penser au Victor de la pièce de Vitrac, Victor ou les Enfants au pouvoir. Il peut être un ami et un dangereux fou d'amour. C'est l'homme d'une conviction : le théâtre appartient au peuple et c'est au peuple qu'il faut rendre justice.

La troupe :
Après un parcours d'études assoiffé de connaissance, en particulier formation de danseur et intérêt pour le théâtre de l'orient, il fonde en 1980 sa compagnie avec laquelle il parcourt le monde. Mais c'est en 1996 que tout bascule lorsqu'il rencontre Bobo, sourd, muet, microcéphale, interné dans l'hôpital psychiatrique d'Aversa depuis 45 ans. Tout bascule alors car il va s'entourer plus que d'acteurs, de personnalités toutes rares de par leur spécificité physique. Sa troupe est alors une sorte "d'humanité rageuse". On pense inévitablement à Federico Fellini. Ce qui intéresse Pippo Delbono, au sens propre comme au sens figuré, ce sont tous ces êtres qui n'ont pas (ou plus) droit à la parole. C'est leur corps qui manifeste encore un signe de vie.

Les spectacles :
Je crois qu'il n'est pas exagéré de dire que Pippo Delbono réinvente le théâtre dans ce qu'il a de primitif. Il s'agit alors de cérémonials étranges, risibles, poétiques et extrêmement sensuels. L'art redevient une matière vivante. Ce sont toutes les différences mélangées qui créent le mouvement. Il y a dans ses spectacles quelque chose d'enfantin (le goût du jeu) et quelque chose d'extrêmement grave (la peur de la mort). Ses spectacles prennent à bras le corps le théâtre comme la vie a pris à bras le corps Bobo et les différents handicapés mentaux qui l'entourent. Son théâtre est immédiatement accessible parce qu'il est d'une profonde simplicité.

Les poètes :
Pippo Delbono s'attache par dessus tout aux compagnonnages des poètes. Genet, Rimbaud, Pasolini. Le plus souvent ce ne sont pas les mots de ces poètes qui l'inspirent, mais leur âme. L'urgence de justice qu'ils crient de rage.

Un besoin d'amour :
Il y a chez Pippo Delbono une sensualité, des pulsions quasi sexuelles qui donnent à son univers une chair bouleversée, déchirée, abimée, mais aussi possédée et déculpabilisée. Evidemment on sent chez lui un besoin d'amour presque universel : « Dis moi que tu m'aimes. » est une phrase souvent répétée dans La Rabbia.

Un poète d'aujourd'hui :
Pippo Delbono est sans doute l'homme de théâtre de notre temps le plus joué dans le monde (Festival d'Avignon, Théâtre du Rond Point, Lisbonne, Bogotá, Madrid, Rome, Montréal, Cracovie, etc.). Celui qui, au sens propre, révolutionne cet artisanat, le rend à son humilité première, à sa force innée, à son pouvoir poétique.


Tout ceci, et le reste, est raconté en détails dans I Racconti di giugno (Les Récits de juin) que nous jouerons le samedi 22 mai à 20h. Il présente pour la première fois à Lyon ce spectacle. Pippo Delbono se raconte, raconte sa vie avec des drames, des tragédies, des amours, des solitudes et des visions qui se répondent et se mélangent. De La Rabbia (représentations du 17 au 22 mai à 20h)  il dit : « la vérité n'est pas dans un seul rêve, mais dans plusieurs rêves ». C'est l'épigraphe d'un film de Pasolini.

Pippo Delbono est un poète, un penseur politique, un combattant et pourquoi ne pas le dire un homme "possédé d'amour".

Philippe Faure


N.B: Ce texte a été écrit pour les programmes de salle de Andromaque, Bérénice & Phèdre et de Je chante pour passer le temps.

jeudi 15 avril 2010

Pas d'inquiétudes

Presqu'un mois que le blog est silencieux. C'est que les urgences et l'activité ici sont intenses. Le dernier message évoquait Romane Bohringer et le spectacle Labiche. Pour clore le sujet, on va dire que Romane et sa troupe nous ont enchantés, et il semble qu'ils aient aussi enchanté le public. Beaucoup de gaieté, de chansons, d'absurdité et de joliesse dans ce travail théâtral qui rendait parfaitement compte du génie de Labiche. Je ne reviens pas sur Romane qui fut une invitée délicieuse et enthousiaste. Nul doute que dans un avenir proche, elle revienne pour la sixième fois à La Croix-Rousse.

Autre événement : Les Cauchemars du gecko. Comme vous le savez sans doute, le camion transportant le décor, les costumes et ne partie du matériel son a basculé dans un ravin à la sortie d'Aurillac. Nous avons dû annuler deux représentations et toute l'équipe du spectacle dans la mesure des moyens qui lui restaient a proposé une sorte de mise en espace du spectacle. La soirée fut incoryablement émouvante et il faut bien le reconnaitre le public a réservé un véritable triomphe à ces paroles qui parlaient de l'Afrique. Ces paroles lyriques et brutales, engagées, presque comme un rap ; paroles qui laissaient entrevoir la détresse d'un continent.

Urgence car nous sommes en plein bouclage de la plaquette de la prochaine saison. Comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer dans des messages précédents, nous avons choisi de redéfinir la mission du Théâtre de la Croix-Rousse. Cette décision (dont vous découvrirez les tenants et les aboutissants le 31 mai) a impliqué beaucoup de remises en question, et du coup une nouvelle organisation de la maison. Il me semble qu'avec la date d'ouverture du Théâtre, 1994), c'est le second moment le plus important que j'ai eu à vivre depuis que je dirige la maison. Dans ces conditions, nous avons choisi que la plaquette et son contenu ne soient pas seulement un élément de communication, mais bien plutôt une sorte de journal de bord d'une remise en question. Du coup, beaucoup d'écriture, beaucoup de textes originaux, donc beaucoup de travail. Les relectures ont commencé. Je dois avouer que je suis très fier de ce que nous avons accompli ces temps-ci. J'ai hâte que vous découvriez notre projet.

Guère de temps pour les confidences personnelles. Dès que la plaquette de saison sera sortie, le 31 mai, je vous raconte tout et le reste. Patience donc.

Philippe Faure