lundi 29 décembre 2008

De Marc Aurèle aux vêtements chauds en passant par Bethléem

Il y a l’évidence par Marc Aurèle : « Accomplir chaque action comme si c’était la dernière. » Pour tout être de bonne volonté, cela crée une responsabilité supérieure : que cette dernière action ne soit pas une mauvaise action. J’avoue craindre sans cesse de déroger à cette évidence. Alors je me concentre de plus en plus sur les actes de ma vie. J’éloigne de moi, autant que faire se peut, la désinvolture, la lâcheté, la facilité, l’habileté. Je tente à chaque fois la rigueur nécessaire. C’est parfois harassant. J’ai beaucoup fui ma vie, à la vérité.

Encore cette évidence de Marc Aurèle : « Exercez-vous à regarder les choses dans leur nudité. » Je repense à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, et aux mesures qui doivent conduire au bonheur commun : http://
1/ Secours aux plus démunis.
2/ Distribution aux indigents des biens pris aux ennemis de la révolution.
3/ Taxation, châtiments des accapareurs.
Et Benjamin Constant d’affirmer : « Que l’autorité se borne à être juste, nous nous chargerons d’être heureux. »
Et Kant : « Seule la droiture morale décide de la valeur d’une vie. »

Diriger un théâtre, tout en mettant en scène, en écrivant, en jouant, en inventant le quotidien d’une maison presque toujours ouverte, c’est être en mouvement. Il ne s’agit pas évidemment de créer "du temps vide". Il s’agit de créer des espaces de liberté qui rendent accessibles "les œuvres capitales de l’humanité au plus grand nombre" (décret du 29 juillet 1959).

Quand on est libre, on est disponible. Et c’est cette disponibilité-là qu’il faut chercher dans l’autre, en chacun. Alors nous serons rassemblés dans "l’ordre de l’esprit". Nietzsche évoquait la religion du bien-être. Il s’insurgeait "contre l’idéologie du Troupeau" ; contre "l’aspiration servile au repos", s’emportait contre "le culte des loisirs », qui flatte la paresse. Voilà bien une attitude désastreuse : la paresse. Il y a tant à faire, tant à donner, tant à aimer. Surmontons les résistances, ne laissons pas s’installer le laisser-aller, le fatalisme, la résignation ou le cynisme. Toujours Nietzsche : « Soyons les poètes de notre existence, inventons notre vie. » La paresse me terrorise et je dois reconnaître que je lui mène une guerre permanente.

Pour revenir à Spinoza (pourquoi pas) : « Le désir comme une puissance de vie, comme le légitime mouvement vers l’estime de soi et la joie de vivre. » La paresse et le désir, voilà bien deux ennemis irréductibles.

Prennent fin six mois d’intense travail à la Croix-Rousse. Trois mois de répétitions pour le diptyque Zola/Andersen, et trois mois de représentations. Pas loin d’une cinquantaine de représentations de La Petite Fille aux allumettes et de Thérèse Raquin (en alternance). Des salles pleines, une critique élogieuse dans son ensemble, beaucoup de confrères se sont déplacés. Mais c’est surtout la fréquentation quotidienne de ces deux monstres sacrés que sont Zola et Andersen. Ils nous ont "tirés vers le haut" comme on dit vulgairement. Ils nous ont inspirés : Zola avec son regard impitoyable sur la condition humaine. Oui, nous sommes capables d’être monstrueux et cette monstruosité-là est en nous. Il y a comme un plaisir sauvage à s’y résoudre. Nous sommes capables de dépasser toutes les limites de la raison. Par amour ? Plutôt par orgueil, par vanité, par goût de la perdition, par détestation de soi. Comme si à l’évidence nous prenions conscience que nous ne sommes pas "aimables". Zola, une force de la nature, un monstre évidemment. Un critique a salué l’audace du spectacle : C’est que Zola nous a fasciné dans son "emportement viscéral".
Andersen, lui qui sait regarder chaque chose, chaque être, chaque mouvement sur terre, avec la grâce d’un poète, mais qui, si j’ose dire, "ne fait pas de cadeau". Il tue presque tout ce qu’il regarde. Il nous dit par-là (me semble-t-il), ne faites pas comme moi, "sauvez le monde". Et les poètes sauvèrent le monde parce qu’ils surent dépasser sa brutalité, pour nous inviter à une légèreté soudain retrouvée. Les deux spectacles partent en tournée dès le début du mois de janvier (jusqu’en avril). Quelle chance avons-nous de tourner autant depuis cinq ou six ans. C’est aussi sur les routes que le théâtre prend tout son sens…

Le jour de Noël, René Gonzalez (directeur du théâtre de Vidy. Le théâtre peut-être le plus inventif d’Europe.) est venu voir La Petite Fille aux allumettes. Ensuite pot-au-feu au bistrot de Lyon. Je dois beaucoup à cet homme (vraiment beaucoup). Il m’a fait confiance à un moment où j’avais perdu toute confiance en moi. Il m’a traité à cette époque d’égal à égal. Il m’a soudain rendu la fierté d’être un homme de théâtre. C’est un compagnon de route. Un homme qui donne envie d’être digne. Bien sûr, comme dirait Brel, "Nous eûmes des orages…". Bien sûr "Mille fois je pris mon bagage", mais la force de nos désirs fut toujours centrifuge. Longue vie à lui, si solitaire et pourtant si au milieu des autres. René Gonzalez c’est un arbre dont les racines sont enfouies si profond qu’il est indéracinable.

Pinter est mort. Je me souviens avec une extrême émotion de la mise en scène de No Man’s Land de Planchon. Distribution vertigineuse : Michel Bouquet, Jean Bouise, Guy Tréjean, André Marcon. Spectacle mémorable. Vu l’autre nuit un documentaire justement sur Planchon. Depuis quatre ou cinq ans, je lui propose de créer un spectacle à la Croix-Rousse avec de jeunes comédiens, et presque sans décor. J’ai eu envie qu’il retrouve chez nous sa liberté des débuts, son innocence. À chaque fois, il accepte ma proposition puis deux jours après s’embarque sur des propositions redondantes mille fois expérimentées. Dommage. Arriverai-je à le convaincre de se débarrasser de ses décors d’opéra ? Toujours est-il que je me considère comme un enfant de Planchon. Ah ! Tartuffe ! Ah ! Athalie ! Ah ! Périclès ! Ah ! Par-dessus bord, et ses Folies bourgeoises… Autant de spectacles que la jeune génération de metteurs en scène n’ont pas vus ! Le théâtre a de ces cruautés…

Quand même, Bernard Tapie dans Oscar sur France 2 le soir de Noël, faut le faire ! De Funès était un génie dans le rôle, il avait la grâce et la folie d’un oiseau pris dans les phares d’une voiture, en pleine nuit. Un oiseau qui se cogne contre une réalité malveillante et injuste. De Funès, un oiseau affolé aux prises avec tout le malheur du monde. Pathétique et maladroit, vibrionnant au-delà du raisonnable. Si seul qu’il fait peur et provoque un étonnement délirant. Tout le contraire de Bernard Tapie qui se regarde jouer, et pire, qui s’apprécie comme acteur ! La fin des haricots quoi ! Et puis c’est inutile de comparer l’incomparable.

Vu plusieurs fois Luchini ces jours-ci à la TV. Nous l’avons beaucoup accueilli à la Croix-Rousse. Nous fûmes complices. J’ai recherché, je crois son affection. Mais Luchini "n’aime pas". Il joue toujours à être lui-même. C’est fascinant et ennuyeux tout à la fois, car il ne nous surprend jamais. Quelle est sa vraie relation avec tous ses auteurs fétiches : La Fontaine, Péguy, Nietzsche, Hugo et les autres ? Mystère ! Sincère ou maligne ? Profonde ou amusée ? Au fond, la déception vient qu’il ne soit pas une énigme (comme Michel Bouquet). Il est si prévisible ! Cela dit nous avons beaucoup ri ensemble. Ce qui n’est pas rien !

Stupéfaction : Julien Dray s’achète des montres à 54000 €. Je l’ai souvent entendu s’insurger contre la politique de la Ville initiée par Sarkozy… L’abandon des banlieues, la réduction des subventions pour toutes les associations qui travaillent sur le terrain… Je lis qu’il est un "acheteur compulsif" ! Cette passion des montres… Soupçons d’enrichissement personnel. Certes il y a la présomption d’innocence. Mais tout de même, comment un homme normal peut-il s’acheter une montre à 54000 € et y prendre du plaisir. Ce mystère-là est désolant et pour le moins peu rassurant.

On annonce un froid glacial. Notre théâtre est bien chauffé. Il y aurait donc deux sortes de monde : celui qui meurt de froid, et celui qui est à l’abri bien au chaud ?... Cette question m’effraye et me rend si vulnérable. À ce propos, notre semaine des "vêtements chauds" (voir la vidéo)a dépassé toutes nos espérances. Les caisses profondes, alignées dans le hall, sont pleines de vêtements chauds (bonnets, gants, couvertures, anoraks, manteaux, etc.). Ce qui me bouleverse, c’est le soin avec lequel le public dépose ces vêtements dans les caisses. Tout est lavé, repassé, empaqueté avec parfois des rubans de fête autour. On sent beaucoup de délicatesse dans la façon de donner. Tous ces vêtements seront redistribués par le Secours Populaire. La représentation du 30 décembre recette entièrement reversée aux Restos du Cœur) est pleine.
J’aime que le théâtre sache aussi s’inscrire dans la réalité sociale. Ainsi le théâtre n’est-il plus un monde à part : C’est le monde ! (ambition shakespearienne, non ?)

Je redis ce que je répète sans cesse. Jean-Marc Avocat, dans le studio du théâtre, poursuit son aventure racinienne. Bientôt Andromaque (après Phèdre et Bérénice). Racine est un génie. Jean-Marc Avocat n’est pas loin d’en être un dans son genre. Quelle fierté de les avoir tous les deux dans notre théâtre pour une aussi longue durée. La saison prochaine, ils seront dans la grande salle avec leur trilogie d’enfer. Logique, non ?

Ce blog m’est devenu une respiration nécessaire. Au fur et à mesure, j’essaie de "m’y mettre à nu", de m’y retrouver derrière le directeur, derrière l’homme de théâtre. Je sais bien que j’y suis encore trop conciliant, trop bienveillant avec moi-même. Je voudrais y être encore plus "cru". En tout cas, je tends vers la lucidité. C’est déjà ça de gagné.
Pourquoi ai-je depuis quelque temps autant conscience de mon humble rôle sur terre et en même temps de ma volonté d’être utile. À la place où je suis, je ne me pardonnerais pas d’exiger tout de moi-même. Cette exigence me donne un goût nouveau d’avenir.

Je découvre les propos d’Olivier Py à propos de ses spectacles adaptés des contes de Grimm (que nous avons accueillis à la Croix-Rousse) : « Les enfants ont peut-être confiance en cette étrange poésie qui osera leur dire ce qu’ils n’osent pas demander. » Bravo pour cette vision : J’adhère. Il ajoute : « Les contes de Grimm manient des vérités inébranlables. » Grimm/Andersen : même combat.

Cette réplique d’Antigone apprise depuis toujours : « Je ne suis pas venue sur la terre pour partager la haine, mais pour partager l’Amour. » Évidemment !

Et tirées des Béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent ; ils seront consolés. »

J’ai trois enfants. Un garçon, deux filles. Je me dis que c’est beau d’être père. J’espère être digne d’eux. J’aime les enfants. J’aime qu’ils aient besoin de moi. J’aime aussi leur indépendance d’enfant. On se retrouve alors sur l’essentiel. Ne jamais les trahir. Les aimer dans la clarté d’une vie assumée. Leur donner en exemple le courage d’être soi-même dans ce que l’on a de meilleur. Mon Dieu quelle responsabilité ! Surtout ne pas se réfugier derrière les soubresauts de nos vies.

Vu à la télévision deux films.
Charlie et la chocolaterie de Tim Burton avec Johnny Depp. Tout y est magnifique. C’est un film inspiré. Et à la fin, Johnny Depp découvre "le bonheur d’avoir une famille ».
Bienvenue chez les Ch’tis. Prétendre que Danny Boon est le "Pagnol du Nord" c’est un peu exagéré ! C’est surtout n’importe quoi ! Pagnol avait le sens du tragique. La simplicité de ses mots nous amenait directement à l’absolu de l’amour. Tout ça avec un naturel quasi-documentaire. L’âme humaine n’avait pas de secret pour lui. Vivement Pagnol !

Début janvier, c’est Sacha Guitry qui prend le relais dans la grande salle. Un sacré voyeur ! Il voit tout. Surtout ce qu’il ne faut pas voir. Il y a chez lui l’ivresse de dire des vérités (toutes bonnes à dire). Le style emporte tout sur son passage. Guitry c’est un déferlement.

Hier, il y eut 300 morts après l’attaque d’Israël contre le Hamas. Et un peuple qui pleure ses morts. L’opération militaire s’appelait "Plomb durci". Sans commentaire ! Décidemment, seuls les poètes nous consolent de la folie humaine. L’arbre de Bethléem est éteint ! C’est un cyprès de dix mètres de haut. Il est éteint en signe de protestation. Vivement que la lumière soit.

Philippe Faure

jeudi 18 décembre 2008

Epaulons-nous les uns les autres

Nouvelle distribution de vivres aux Restos de Cœur. De plus en plus de monde : un métissage d’âges, de nationalités, de situations sociales, de détresses physiques et morales. Comme il est violent de donner à manger à ceux qui n’ont plus les ressources nécessaires pour se nourrir. Il y a comme un vertige, et comme une plénitude à être bénévole comme on dit.
Mais tout cela est-il réel ? Pourtant il existe bel et bien ce monde où 1 euro est une fortune.
Et tous ces milliards qui valsent au-dessus de nos têtes et dans notre dos, quelle valeur ont-ils ? Malheureusement la crise boursière nous rappelle qu’ils ne valent rien. Il faudrait revenir à "l’argent vrai". Celui que l’on gagne et que l’on dépense, celui que l’on investit concrètement pour développer les entreprises. Où est-il cet "argent vrai" ? Ce sont les banquiers, les actionnaires, les boursiers de malheur, les malins qui l’ont démonétarisé !
Et alors les petites gens, nous tous, nous courrons après cet "argent vrai". Mais il n’existe quasiment plus. Il est un vieux souvenir, du temps où 1 franc, c’était 1 franc. Maintenant 1 euro, c’est presque 7 francs. C’est le monde à l’envers. C’est le cas de le dire.

À partir de mardi, nous démarrons "La semaine des vêtements chauds". Je suis de plus en plus préoccupé que le théâtre rejoigne la réalité de la rue. Avec un petit spectacle en préambule des représentations de La Petite Fille aux allumettes, nous allons dresser le portrait de gens comme vous et moi… Sont-ils, sommes-nous, des sans-abri en puissance ? Malgré le succès incroyable de La Petite Fille aux allumettes et de Thérèse Raquin (près de 45 représentations archi-pleines), le malheur des gens de la rue m’empêche de me réjouir. Je veux (nous voulons ici dans cette maison) être acteur de ce sauvetage généralisé, car c’est bien de cela dont il s’agit… J’ai mal aux autres.

Quel bonheur que le théâtre soit un art rassembleur. Au moins, nous ne sommes pas inutiles sur terre. Nous rassemblons. Je sais bien que les plus intelligents pourront ironiser sur cette religion de la fraternité. Peu importe. Le temps presse. Le peu que nous faisons, c’est déjà ça de fait.

Quelques confidences :
Je n’aimerais pas, pour rien au monde, être président de la république, encore moins ministre. Maire peut-être (à la rigueur). Mais à Lyon la place est déjà prise et bien prise. Gérard Collomb est un maire remarquable.

Personne ne parle mieux des mers et des océans qu’Olivier de Kersauson. Son dernier livre Ocean’s songs est impressionnant.

Nous venons de décider le souhait inscrit sur notre carte de vœux 2009 : « Epaulons-nous les uns les autres ». J’adore cette idée de s’épauler !

Ouf ! Romane Bohringer devrait revenir chez nous la saison prochaine. Elle nous manque !

Lu un article de trois pages dans Libération sur Werner Herzog. Titre de l’article "Illuminer la vérité". Titre me semble-t-il d’une justesse absolue. Werner Herzog est à mon sens un des plus grand metteur en scène de cinéma. Aguirre ou la colère de Dieu, Fitzcarraldo sont deux films qui dépassent l’entendement.

Je sais que beaucoup lisent ce blog avec attention, et tendresse. Beaucoup de signes me sont adressés de manière pudique. Mon dieu, un peu de pudeur ne ferait pas de mal dans ce monde brutal et injuste ! Je ne supporte plus le spectacle de ce qui est voyant, cher et très prétentieux. Je repense à une très vieille dame ce matin aux Restos du Cœur, et à un jeune homme d’origine africaine, si doux tous les deux, si délicats, sûrement si seuls. J’avoue avoir "doublé" leurs vivres. J’ai désobéi aux règles. Plus de pâtes de fruits, de gâteaux, de compote. C’était ce que je distribuais ce matin.
Revenons donc à l’essentiel : « Epaulons-nous les uns les autres ».

Philippe Faure

jeudi 4 décembre 2008

Aujourd'hui : 1ere permanence aux Restos du Cœur de la Croix-Rousse

J'étais au rayon qui distribue pommes de terre, carottes et poireaux. Chaque personne a droit à un certain nombre de points suivant sa situation familiale et chaque marchandise a sa valeur :
Boîte de haricots verts ou rouges : 1 point ; Paquet de riz : 3 points ; etc.
Une part de légumes frais se compose, par personne, de 2 pommes de terre, 1 carotte et 1 poireau.
Il y a le coin "féculents", le coin "fromages", le coin "desserts" et le coin "nourriture pour bébés". Il y a aussi le coin "surgelés" et le coin "baguettes de pain". A chaque fois que la personne arrive dans un coin, elle récupère l’intégralité de ses points. Les points sont dépensés coin après coin et se reconstituent à chaque coin.
Effectivement, les gens qui viennent aux Restos du Cœur sont de toutes nationalités, de tous niveaux sociaux, de tous âges.
J’ai été frappé par la grande équipe de bénévoles (plus d'une quarantaine de personnes) qui organise les choses (mères de famille, retraités, jeunes étudiants, etc.).
Il y a eu, dans cette matinée de distribution alimentaire, comme un bonheur indicible, le bonheur d’être "ensemble" dont j’ai souvent parlé ici dans ce blog. Et je me redis cette éternelle vérité : si tous les gens qui avaient un pouvoir, petit ou grand, cherchaient à rassembler et jamais à diviser, l’humanité serait une joie.
Evidemment je pense à Coluche, dont la photo est placardée sur tous les murs des Restos du Cœur. J’ai adoré cet homme. J’ai eu la chance de le voir deux fois sur scène dans deux spectacles différents. C’était un génie, car qu’est-ce qu’un génie si ce n’est de saisir à sa manière le mouvement du temps : du temps qu’il fait, du temps qui passe, du temps qui reste, du temps qui vient, du temps présent. Oui, décidemment, cette intuition des Restos du Cœur est un coup de génie.

En ce moment, tous les après-midi, nous jouons La Petite Fille aux allumettes devant des salles pleines d’enfants, de parents, de public "empêché" (personnes en réinsertion, en hôpital de jour, personnes handicapées), de centres sociaux, de compagnies de théâtre amateur, etc. Et c’est très bouleversant comme ils reçoivent cette Petite Fille aux allumettes. C’est un monde magique qui leur arrive et cet imaginaire-là les rend plus légers. Beaucoup de petites filles et de petits garçons pleurent aussi sur la mort de la petite marchande d'allumettes. Quel bonheur que de présenter cette Petite Fille aux allumettes jusqu’au 31 décembre, pendant les fêtes. Comme j’adore ce spectacle !

En ce qui concerne Thérèse Raquin, toute la presse est unanime et plutôt dithyrambique. Un journaliste dans Lyon Mag parle d’« une réussite, sombre et furieuse ». Les mots sont très justes.

Nous venons de lancer "La Semaine des vêtements chauds". N’oubliez pas de nous interroger sur cet événement et surtout d’apporter du 23 au 31 décembre, à l’occasion de la petite forme que nous jouerons une heure avant chaque représentation de La Petite Fille aux allumettes,
un vêtement chaud.
N’oubliez pas non plus la représentation du 30 décembre à 15h où l’intégralité de la recette sera versée aux Restos du Cœur. Et n’oubliez surtout pas de dire aux gens que vous aimez que vous les aimez (voilà que mon éducation chrétienne et lyonnaise reprend le dessus).

Quelqu’un m’écrit, un psychiatre, à propos de Zouc, cette comédienne suisse qui fut l’égale de Coluche à un moment donné, dans un tout autre genre bien sûr. Ce psychiatre me dit que Gallimard lui a demandé de faire la suite des entretiens avec Zouc (entretiens commencés avec Hervé Guibert). Il me dit aussi que Zouc présente une grave infirmité respiratoire qui, hélas, est déjà largement avancée. Il conviendrait vraiment que nous imaginions un projet à propos de Zouc. La saison dernière, c’est Nathalie Baye qui s’y était collée, mais elle a annulé toute la tournée prévue.

Toujours pas de neige. Pourtant le temps reste à la neige.

Philippe Faure

lundi 1 décembre 2008

1er – 31 décembre : Alternance La Petite Fille aux allumettes / Thérèse Raquin avec du 23 au 31 décembre "La Semaine des vêtements chauds"


Fin de la première série de représentations de Thérèse Raquin.
Le public a été assez estomaqué de redécouvrir cette terrible histoire de corps foudroyés. Zola demeure un auteur en même temps populaire et fascinant. Il est véritablement le coeur de la littérature française. Chaque soir, la salle était pleine. Jusqu’ici la presse a salué le travail des acteurs, la scénographie, le travail d’adaptation. En un mot, la presse a aimé le spectacle. Nouvelle série de représentations à partir du 9 décembre.

Aujourd’hui, nouvelles répétitions de La Petite Fille aux allumettes pour une reprise à partir de demain 2 décembre. Décidemment, cette Petite Fille aux allumettes m’a demandé un travail insensé. Créer un univers onirique et en même temps rester au plus près du minimalisme du conte est un équilibre périlleux. Depuis le début des représentations, c’est un spectacle qui m’est très cher. Peut-être parce qu’il est au cœur de l’actualité sociale aujourd’hui et peut-être aussi parce que c’est la première fois que je "rêve" un tel spectacle ; les enfants et les adultes doivent s’y retrouver, en une même émotion.

Aujourd’hui 1er décembre : ouverture des Restos du Cœur. Je lis dans la presse cette phrase d’un commentateur : «Ça coûte plus cher d’être pauvre que d’être riche.»

Nous avons décidé d’être présents sur le front de la détresse sociale. Concrètement.
Du 23 au 31 décembre, sous la formulation générique de "La Semaine des vêtements chauds",nous allons proposer deux événements aux buts extrêmement précis :

-Le 30 décembre à 15h : représentation exceptionnelle de La Petite Fille aux allumettes. La Croix-Rousse/Scène nationale de Lyon invite les spectateurs, et les spectateurs font un don de l’équivalent de leur place(ou plus) aux Restos du Cœur. Voilà une action concrète.

-Ensuite, du 23 au 31 décembre, nous allons proposer, avec les comédiens de La Petite Fille aux allumettes, une heure avant chaque représentation, une petite forme que j’ai écrite avec Emmanuel Robin : Petits portraits de sans abri. Cette intervention théâtrale aura lieu dans le hall du théâtre où seront disposées toutes les caisses en bois servant à transporter les costumes de nos spectacles en tournée. Nous appellerons, à l’occasion de cette petite forme, à la générosité des spectateurs, pour qu’ils apportent avec eux des vêtements chauds (anoraks, couvertures, gants, bonnets, pantalons, pulls over, etc.). Nous remplirons ainsi les caisses et nous redistribuerons ces vêtements aux associations.
Chacun donne un vêtement chaud !

Ainsi, La Petite Fille aux allumettes d’Andersen rejoindra-t-elle la réalité d’aujourd’hui, et le théâtre, à sa manière, participera-t-il à la solidarité nationale.

Depuis la création de ce blog, il m’est souvent arrivé de faire allusion au rôle militant que devait avoir un théâtre. Cette "Semaine des vêtements chauds" est un premier acte. De plus en plus, nous inventerons de nouvelles façons d’être présents, actifs et réactifs envers les plus démunis (même si depuis la création de ce théâtre ce fut toujours notre obsession).

Quand on sait qu’il y a des gens qui dorment dans des abris de plastique ou de carton et qui, à chaque minute de la nuit, risquent de mourir de froid, on est en droit de se poser cette énervante question : A quoi sert le théâtre ? Et en poussant le raisonnement dans ses retranchements, on pourrait même dire : « A-t-on le droit de faire du théâtre quand à côté de soi des gens dorment dehors ? » Au fond, il me semble que c’est tout l’enjeu de La Petite Fille aux allumettes : raconter la mort, en même temps qu’on raconte le rêve. C’est tout le génie d’Andersen.

A part ça, le temps est à la neige !

Philippe Faure