lundi 30 novembre 2009

La Maladie d’amour

La Petite Fille aux allumettes et Thérèse Raquin sont sur les routes (alternativement, car il s’agit de la même équipe de comédiens) depuis la rentrée.
Cette dernière semaine nous étions au Centre Dramatique Régional de Rouen. Toute la semaine, ce furent deux représentations par jour assez triomphales. En tout cas, le spectacle était magnifiquement beau dans le théâtre d’Elisabeth Maccoco.
La semaine prochaine, c’est au tour de Thérèse Raquin de prendre la relève et ainsi de suite jusqu’en février.
Depuis maintenant presque huit ans, toutes nos créations ont parcouru inlassablement toute la France dans tous les sens. Ce nomadisme est très émouvant, car s’y installent des fidélités. Chaque théâtre a son âme, chaque patron de théâtre a sa sensibilité, chaque ville a sa vibration. D’années en années nous retrouvons des publics qui suivent notre travail, et à chaque fois ces retrouvailles sont heureuses. C’est une chance immense que d’être ainsi accueillis dans autant de théâtres différents. J’ai beaucoup de gratitude et de reconnaissance pour tous ces directeurs qui nous donnent leur confiance, qui la renouvellent. En tout cas, nous avons le souci chaque soir de présenter le meilleur spectacle possible. C’est ainsi que nous consacrons chaque fois 4 à 5 heures de raccords dans tous les lieux traversés. Il convient chaque soir de donner le meilleur de nous-mêmes.


Nous réitérons dans quelques jours l’opération Semaine des Vêtements Chauds (voir site). Cette année, nous y ajoutons la collecte de cadeaux neufs pour 200 enfants qui n’auront pas de Noël. C’est ce que Victor Hugo appelait sa « petite œuvre de fraternité pratique » lorsqu’il invitait à diner à Guernesey tous les orphelins et les adolescents en difficultés. J’ai la chance d’avoir autour de moi une équipe qui partage cette responsabilité ; que notre théâtre déborde de son rôle de rassembleur pour aborder le territoire de la solidarité. Nous ne cessons d’imaginer des dialogues avec tous les publics que l’on dit "empêchés" (mot à la mode).
Je veux être un artiste avec son tempérament, ses exigences et sa vision poétique, mais je veux aussi être utile, concrètement, immédiatement à ceux que la société oublie, délaisse, méprise.
Voilà, disons que je fais du théâtre pour n’oublier personne. Alors ces vêtements chauds et ces cadeaux je vous invite à les déposer dans les caisses en bois qui entoureront notre hall. Ensuite, nous ferons le nécessaire pour la redistribution. (La saison dernière, cette opération fut une réussite totale !)


La semaine dernière nous a réservé un événement bouleversant. Voilà que le spectacle de Bruno Meyssat, Observer, ne rencontre pas son public à l’abonnement. Jauges maigrichonnes. Je décide d’inviter tous les abonnés de notre maison (10500) en attirant leur attention sur l’étrangeté du travail de Meyssat, sur sa singularité, sur son audace et au fond sur son humanité.
Et là, en 3 jours, ce sont plus de 1000 personnes qui ont répondu à notre invitation. Magnifiques preuves d’amour.
Bouleversant, car c’est la preuve que notre public est vivant, attentif, fidèle, amoureux de théâtre. J’ai souvent, dans ce blog, fait allusion à mes états amoureux. Mais au fond c’est la seule chose que je voudrais qu’il reste de moi : "il fut amoureux", et quel bonheur de sentir que j’ai pu, autant que possible, vous rendre "amoureux".

À propos de cette initiative, j’ai reçu un mail d’Abraham Benghio (directeur général à la Région Rhône-Alpes), un homme pour qui j’ai une profonde estime. Dans un premier temps, il se réjouit de cette opération et puis il ajoute : « tu corrobores chaque jour ce que je dis souvent : "Ne dites pas de mal de Philippe Faure. C’est vrai qu’il peut être exaspérant, mais une telle générosité au service du théâtre, je ne l’ai pas souvent rencontrée…" » Evidemment j’ai été très touché même si je dois admettre que visiblement certains peuvent dire du mal de moi, et que j’ai pu être exaspérant pour d’autres…
Cela n’est rien, seule existe la conscience de ce que l’on fait, et puis je dois avouer que quelqu’un qui m’était très proche et très cher ne cessait de me traiter de "pauvre type" m’invitant plus que de raison à "me bouger les fesses" et souvent me répétant que je lui "polluais la vie". Cette personne fut toujours très généreuse dans son mépris. Sans doute n’étais-je pas digne d’elle. En tout cas, ça rend humble. Donc inutile dorénavant de dire du mal de moi. Ça ne pourra jamais être aussi violent que ce fut avec elle.


Actuellement nous travaillons ou plutôt nous rêvons beaucoup sur la saison prochaine. C’est que d’une certaine manière j’ai décidé de tout reprendre à zéro, de nous réinterroger sur notre mission, sur notre rapport au public, sur notre rôle auprès des artistes. Avec plus de 10000 abonnés, cette saison est glorieuse et c’est le moment où justement il convient d’oser réinventer notre travail, notre rôle. Ces temps-ci je travaille beaucoup (oserai-je dire intellectuellement ?). J’écris beaucoup de notes de réflexions, mais aussi du théâtre. Comment dire, après un passage à vide, les mots se sont à nouveau emparés de moi, comme si j’avais un besoin pressant de ne pas (plus) perdre de temps. Ce n’est pas rien que le théâtre, c’est le verbe qui prend possession du corps. J’ai conscience que le théâtre est fait de chair. Et l’incroyable alchimie du verbe et du corps (nous) donne une énergie vitale. Et il y a peu d’endroits où cette énergie-là est possible. Je pense bien évidemment à Molière, investi d’une telle énergie. Ah ! Ce Malade imaginaire que je me réjouis tellement de rejouer en janvier !


La chair. La peau. L’étreinte. La caresse. La souffrance. Le corps dans tous ses états et le verbe consolateur et révolutionnaire. Le verbe qui n’est que corps à corps. Zola, Hugo, Rimbaud, Verlaine, Molière, Zweig, Musset, Kawabata, Modigliani. Tous ces fous d’amour qui m’ont tant inspiré n’ont guère épargné leur corps et leur santé. Malades d’amour. Le théâtre est une maladie d’amour. Voilà qui est dit. Je n’en démordrai pas.


L’interne dont j’ai parlé précédemment dans ce blog (revenir en arrière) me téléphone.
- Vous allez bien ?
- Oui
- Ce serait bien que l’on se voit.
- Ce serait bien.
- Demain ?
- Oui, d’accord.
- Le matin tôt, après je suis toute la journée à l’hôpital.

Et là, je crois bon de plaisanter :
- C’est mieux le matin tôt
car je ne sors plus le soir…

Je ne peux m’empêcher de préciser :
- Enfin, pour le moment.
Sûrement que dans quelques jours, je vais ressortir le soir.

À l’autre bout du fil, elle rit :
- Sûrement. Alors, huit heures demain matin ?
- Merci d’avoir appelé.

Et là, elle conclut à ma grande stupéfaction :
- C’est moi qui ai envie de te dire merci.

Voilà qu’elle m’a tutoyé !


Samedi après-midi avec ma fille Marie. Ma petite amoureuse (comme eut pu dire Jean Eustache). On va chez le coiffeur. Elle est belle comme un cœur. Elle a chaussé les bottines à talons de sa mère. Elle est immense, et elle insiste pour que je lui donne le bras. Il y a des moments où la vie est un cadeau.

Philippe Faure

jeudi 26 novembre 2009

C’est quoi vivre ?

Peu de temps pour écrire sur le blog ; c’est que " vivre" prend beaucoup de temps. Vivre, c’est quoi ? C’est admirer. L’époque est certes au dénigrement, à la critique systématique, à la dénonciation, à la mauvaise foi, à l’égocentrisme. Admirer évite tous ces pièges. L’admiration nous fait nous oublier. Alors nous voilà disponibles pour s’enrichir de l’autre, et l’autre est admirable lorsqu’il crée, lorsqu’il partage, lorsqu’il s’applique à donner de l’espoir en montrant tous les possibles de l’humain.

Plus j’avance en âge et plus mon pouvoir d’admiration est immense.

Il y a les exemples "reconnus" et récents.
Johnny Hallyday qui dans son dernier clip chante Et maintenant de Gilbert Bécaud. En noir et banc, visage aux traits presque effacés. Visage comme une empreinte. L’empreinte d’une vie profondément humaine. J’ai été frappé par ses yeux comme évanouis dans une sorte d’infini. Toute une vie à rassembler le peuple de France.
Gérard Philippe, dont on reparle un peu partout. Gracile, sombre, d’un enthousiasme presque affolé. Au service de Vilar, des grandes œuvres, celles indispensables et celles en devenir, militant, syndicaliste effréné.
Camus, qui fait encore l’actualité aujourd’hui, fou de tolérance, défenseur des droits de l’homme, agrandisseur de l’esprit humain, professeur de libertés.

Trois exemples qui me viennent à l’instant, mais d’autres sont aussi admirables ici et maintenant. Par exemple, mon camarade Bruno Meyssat (qui sera sur les planches de La Croix-Rousse la semaine prochaine). Paysan entêté, le voilà qui fouille le souvenir terrible d’Hiroshima. Bricoleur, arpenteur, collectionneur, chiffonnier, si modeste, presque absent, il nous dit à sa manière de nous méfier de nous-mêmes. C’est que nos intentions ne sont pas toujours recommandables.
Je pense aussi à Myriam Boyer qui sera elle aussi à La Croix-Rousse pendant toutes les fêtes de fin d’année. À 17 ans, elle a foulé pour la première fois les planches d’un théâtre, le nôtre (à l’époque salle des fêtes), ensuite Planchon et l’aventure du TNP puis Chéreau, Maréchal, Boëglin, Françon. Fille d’une mère infirme et d’un père alcoolique, elle s’est prise en charge jusqu’à être une actrice poignante. Elle porte nos malheurs et nos joies avec une grâce inattendue. Elle est Madame Rosa (Emile Ajar) comme on prend une décision.

Mais il ne faut jamais oublier d’admirer ceux qui nous accompagnent au quotidien, ceux qui nous aident à vivre et qui prennent soin de ne pas nous blesser. Je pense à l’équipe du théâtre qui m’entoure. Si investie, si consciente de ses responsabilités, si unie. C’est que le théâtre demeure un lieu de chair et de sang. Le verbe y claque comme un fouet. Les acteurs, les chefs de troupe, les poètes nous représentent le monde et nous le donne à comprendre à leur manière.

Me viennent ces quelques vers de Victor Hugo à propos de la fraternité :
« Je rêve l’équité, la vérité profonde,
l’amour qui veut l’espoir qui luit, la foi qui fonde
et le peuple éclairé plutôt que châtié.
Je rêve la douceur, la bonté, la pitié et le vaste pardon.
De là ma solitude. »
Admirables vers !

Mais vivre c’est aimer et aimer au fond n’est pas un sentiment, c’est une aventure. On s’aventure dans l’amour sans savoir ce que c’est. C’est l’histoire du " juste un peu" et du "presque rien", c’est comme ça. Comme une frontière.

L’amour c’est le regard que l’on pose autour de soi. Aimer c’est regarder, c’est aussi simple que ça. Dès que l’on rentre dans le questionnement, c’est foutu, car il n’y a pas de réponse.

J’aime regarder. Le silence du regard dit tout. Le regard ne ment pas. Je voudrais écrire un spectacle sur le regard justement. Souvenons-nous du Regard du sourd de Bob Wilson. Titre et spectacle admirables.

Vivre c’est donc admirer, regarder, mais c’est aussi accepter. Accepter que l’avenir c’est maintenant, à chaque seconde, à chaque instant. Seuls comptent les actes d’aujourd’hui (ce sont eux qui justement construisent l’avenir). Chaque instant est un miracle en soi. Puisque nous sommes vivants. Toujours vivants. Se projeter dans l’avenir, selon l’expression coutumière, est une hérésie. Cela voudrait dire que l’on se réjouira plus tard. Folie. Lorsque je regarde mes enfants, que je les étreints, que je les embrasse, que l’on se parle, je me dis que la vie est là. Et avec la vie, la tendresse.

Beaucoup d’événements personnels et professionnels m’engagent à vivre généreusement. Ecrire ces derniers mots me rassurent comme si tout n’était pas perdu, mais au contraire comme si tout commençait toujours.

En tous cas fuyons les petites mesquineries, les petites jalousies, les petites trahisons, les petits arrangements, les petits mensonges comme la peste. Fuyons tout ce qui nous rend petits !

Philippe Faure

lundi 16 novembre 2009

La Force de croire

Marre de toutes ces polémiques (Pasqua, Chirac, NDiaye, Mitterrand, Villepin, etc.). La France serait-elle devenue un pays de concierge ? Comme si toutes ces polémiques étaient utiles à l’amélioration des conditions de vie de millions de Français.
Il y a là quelque chose de pathétique de ce détournement des urgences…
La réalité de tant de gens est si rude et depuis si longtemps, qu’ils sont en droit d’espérer de la politique de vraies décisions qui améliorent leur sort. Les journalistes ont une responsabilité coupable en relayant généreusement tous ces conflits ridicules. Où est passé l’intérêt général ? Les gens pillent les poubelles pour ne pas mourir de faim, dorment dans le froid, meurent dans les bois, et de nouvelles polémiques surgissent encore qui concernent les nantis, ceux des beaux quartiers. Où est la dignité au moment où les Pôles pour l’emploi sont débordés, assaillis, démunis, effondrés ?
Victor Hugo député déclarait la guerre à la misère. Aujourd’hui, les polémiques sont de vulgaires "cache-misère". Il faut absolument travailler à l’avenir des plus démunis et rétablir la confiance. Se taire et agir. N’abimons pas la parole. Rendons lui sa force. La Force de croire.

Je lis un grand papier dans Libération sur Dominique Besnehard (agent chez Art Media puis coach de Ségolène Royal) J’ai été (autant que je m’en souvienne) très ami avec lui. Je l’ai beaucoup aimé. Drôle, intuitif, amoureux de la variété française (Sylvie Vartan, Dalida, etc.), formidable raconteur d’histoires, toujours débordé, toujours inquiet, expéditif, fasciné par les vedettes, enfantin et malin, remarquable acteur (chez Pialat), lourd et pudique. Un homme contradictoire, un peu lâche mais capable de mener des combats impossibles. J’ai gardé beaucoup de tendresse pour ce qu’il est : libre et empêtré. Et puis c’est lui qui m’a fait rencontrer Patrick Dewaere (je racontais tout ça dans Maman, j’ai peur dans le noir). Son pouvoir d’admiration est sans limite, et ses admirations partent dans tous les sens. C’est un artiste de la vie. Il vit en funambule. Sophie Marceau, Nathalie Baye, et tant d’autres actrices ; on eut pu dire qu’elles étaient toutes ses filles, ses fiancés de cinéma, et lui le grand frère n’a cessé de leur dire qu’elles étaient les plus belles du monde. Ce qui est remarquable, c’est qu’aucune ne fut jalouse les unes des autres. Besnehard est un saint homme. Il était inéluctable qu’il rencontre sainte Ségolène et visiblement les saints entre eux "c’est pas gagné".

Samedi dernier, après la représentation de Woyzeck, longue conversation (inattendue) dans mon bureau avec quelqu’un qui fut dans l’intimité de Laurence Guedj (décédée il y a un peu plus d’un an). Pendant plus de dix ans, elle a été une collaboratrice fidèle, rigoureuse, attentionnée, heureuse. C’est elle qui tapait tous mes manuscrits. Nous avions de longues conversations tendres et parfois orageuses. Elle était têtue. Mais nous avions l’un pour l’autre une vraie considération (voilà un mot magnifique : la considération).
Bien sûr, elle me manque beaucoup. Ma confiance en elle était inépuisable. Au cours de cette conversation samedi, cette personne me fit des confidences (à propos de Laurence) qui me bouleversèrent. Et si ces confidences avaient simplement mis des mots sur une relation au fond assez secrète. Laurence m’écrivit quelques semaines avant son dernier séjour à l’hôpital qu’elle était fière et heureuse de travailler près de moi (cette lettre est toujours en évidence sur mon bureau). Il y avait entre nous comme une évidence : nous avions besoin l’un de l’autre et je crois que même dans les moments de tensions, nous ne nous fîmes jamais de mal. Nous savions l’un et l’autre que notre relation était définitivement précieuse. Merci à ce visiteur impromptu de m’avoir rappelé que la tendresse existe et qu’elle avait existé entre Laurence et moi. Après cette longue conversation il me ramena chez moi car je dois l’avouer j’avais les jambes "en coton" et la tête "lourde de solitude".

Depuis quelques semaines je consacre toutes mes matinées à l’écriture. J’écris l’utile et l’inutile. L’utile c’est à dire tout ce qui se rapporte à la vie et à l’avenir du Théâtre de la Croix-Rousse. L’inutile, c’est à dire tout ce qui me permet de réfléchir, de rêver et d’imaginer des histoires de la vie. Je ne quitte pas Victor Hugo non plus (génie parmi les génies). C’est que je travaille à l’adaptation de sa plus grande œuvre. Ce repli dans l’écriture me reconcentre, me guérit de longs mois désespérés (désespérants). À propos, nombre de personnes (à propos d’une confidence sur ma dernière intervention dans mon blog) me demande pourquoi j’ai beaucoup pleuré il y a une dizaine de jours. C’est qu’à un moment donné, alors que l’autre ne cessait de vous traiter de "pauvre type" et que l’on mettait l’insulte sur le compte de la colère, on réalise que c’était le fond de sa pensée. À ce moment là, ne restent que les larmes pour calmer son chagrin. Ce n’est pas l’insulte qui vous assassine, c’est l’aveuglement dans lequel on s’est obstiné. On imagine alors qu’il va nous falloir beaucoup de courage pour se remettre d’un malentendu pareil. Le mépris appartient à celui qui méprise. Rendons à César ce qui appartient à César.

Repris les répétitions du Malade imaginaire avec les "petites Louisons". Décidément, Argan ne me quitte pas. J’ai souvent considéré qu’il était un autre moi-même ou que j’étais un autre lui-même. Peu importe. Il me bouleverse et j’aime plus que tout être son ami. On pourrait citer la phrase de Montaigne : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Je suis émerveillé de savoir que toutes les représentations du Malade imaginaire à la Maison de la Danse en janvier vont être pleines à craquer. Je voudrais serrer dans mes bras ces 6000 / 7000 personnes qui "nous" font ainsi confiance à Argan et moi.

« Un peu d’amour, voilà le vrai fond de la vie.
Tout est là. Tout le reste est ombre et fausse envie.
Un regard bienveillant qui vous suit doucement
Dans votre solitude et votre accablement
Vous tient lieu de pays, de maison, de famille.
Qu’on soit aimé d’un gueux, d’un voleur, d’une fille,
D’un forçat misérable à l’épaule imprimée,
Qu’on soit aimé d’un chien, pourvu qu’on soit aimé. »
Victor Hugo

Actuellement, je ne suis pas reconnaissable dans la rue, car je suis emmitouflé dans un anorak vert fluo de la dernière mode. Si vous voyez passer une grosse tache verte, genre couleur de pré… c’est moi !

Philippe Faure

jeudi 12 novembre 2009

Les larmes qui coulent

Dimanche dernier, visite du couvent de la Tourette imaginé (structuré) par Le Corbusier. Inouï bâtiment en béton brut. Des espaces dénués de tout détail, de tout symbole. Une nudité abstraite. Et tout autour une campagne verte, vallonnée, un bois, des chemins qui serpentent. On pourrait dire que Le Corbusier est un « créateur de vide ». Le plus impressionnant ce sont ces immenses façades de béton qui se taisent, ou qui prient ? Mais le béton a-t-il une âme ? C’est peut-être la vraie question que pose Le Corbusier.

Lu dans L’Express une très longue interview de Gérard Depardieu. J’ai souvent confessé que j’étais littéralement amoureux de cet homme. Il est en photo pleine page au cœur de l’article. Monstrueusement énorme, boudiné dans une chemise à fleurs rouge. Des mains si épaisses. Un visage bouffi. Quand je pense à lui, je le vois immédiatement courir dans les prés, curé de Bernanos et de Pialat : Sous le soleil de Satan. Il dit dans l’interview qu’il est un « explorateur de l’existence » et que c’est ce qui le rend libre. Il dit aussi qu’on « ne peut pas faire les choses seul », qu’il est une éponge, une grosse éponge. Il dit aussi qu’il faut « savoir ce que l’on veut » sinon on n’est rien. Prendre le risque de décider et d’aller au bout. Il dit encore : « Le beau c’est quand rien n’est sûr et quand rien n’est sûr il faut faire un effort sur soi pour arriver à quelque chose. » Enfin, il conclut : « Le bonheur et le malheur deviennent vite des obsessions si tu y penses. Il vaut mieux avancer avec l’autre. »
Je le revois dans Tartuffe, mis en scène par J. Lassalle. Poudré de rose, la voix à peine audible, comme une rivière qui coule… Je le revois dans La Femme d’à côté de Truffaut, dans Dites-lui que je l’aime de C. Miller, dans tant d’autres rôles. Il a la force de ceux qui ne cèdent jamais au découragement. C’est une sorte de paysan planté dans son champ, qu’aucune variation climatique ne parviendra à ébranler. Il est décidément le bossu de Manon des sources qui s’en prend à Dieu, là-haut dans un ciel qui ne veut pas pleuvoir. Il n’est pas un acteur, il est un homme pour de vrai. Il est aussi un orage. Il est un paratonnerre. La foudre le transperce et s’enfonce dans la terre.

Ma fille Marie a 11 ans. C’est son anniversaire. Quelques jours plus tard, Marline, sa sœur, aura 9 ans. Nous sommes en pleine période d’anniversaires. Elles sont si belles toutes les deux. Je n’ai jamais autant aimé être père. Je n’oublie pas mon Damien. Trois enfants si différents, mais je dois le dire, si pleins d’amour. Peut-être leur ai-je passé le message : il ne faut jamais avoir peur d’aimer et le dire. Les mots d’amour nous sauvent irrémédiablement de notre médiocrité. Enfin, être aimé nous donne le courage d’être nous-mêmes.

Il y a quelques mois, j’avais déjà évoqué ce don que certains ont : celui de la Gentillesse. Un livre sort : La Stratégie de la Bienveillance de Juliette Tournand. Selon elle, les personnes les plus gentilles seraient les plus heureuses. Jean Jacques Rousseau estimait que la gentillesse est l’attribut humain le plus désirable. Chez Voltaire, elle est signe d’intelligence. Stefan Einhorn (suédois) avait publié L’Art d’être bon, oser la gentillesse. Pourquoi la gentillesse est-elle toujours associée à la vulnérabilité ? Elle est aussi perçue comme un déficit, une infirmité, « trop gentil pour être honnête » dit-on. J’aime la gentillesse parce qu’au fond elle nous ramène à l’innocence perdue. Elle dit simplement à l’autre que c’est un bonheur qu’il existe, qu’il soit là. La gentillesse donne envie d’aimer. Inversement, les agressifs, les méchants n’aimeront jamais personne. Pas même eux. Ils se « prendront en grippe » comme on dit. Allez, n’ayons pas peur. Soyons tout en gentillesse !...

Beaucoup de spectateurs s’interrogent sur mon sentiment à propos du Roman d’un Trader. Spectateurs déçus. À la vérité, je dois reconnaître que si le spectacle dans son ensemble était tout à fait digne, la pièce elle-même était très décevante. N’entrant jamais dans le sujet, l’esquissant, le fuyant même, elle nous laissait comme un goût d’inachevé, de superficialité. Elle manquait d’engagement, de férocité, comme aurait dit un prof « hors sujet » et pourtant le sujet c’était bien celui-ci… Celui annoncé.

Philippe Vincent a créé son Woyzeck et son Cabinet du docteur Narcotique. Il y a chez ce garçon comme un désir de chaos. Les 2 spectacles multipliaient « les entrées » si l’on peut dire. Ce besoin d’une technicité envahissante (vidéo, sons, musique live, actions simultanées, emboîtées d’une salle à l’autre) m’interroge sur sa vision du monde. Et l’amour dans tout ça ? Le monde n’est-il à ses yeux qu’une machine infernale ? En tous cas, certaines images sont dignes de Francis Ford Coppola… Peut-être que si Marlon Brando avait été dans la distribution… Cela dit le spectacle a été un vrai succès (contre toute attente ?)

Ah ! Au fait, il y a un peu plus d’une semaine, j’ai beaucoup pleuré. Comme quoi, être directeur de théâtre ne protège pas du chagrin. Si les larmes coulent, c’est le signe que, ni on ne triche, ni on ne ment ; on se console comme on peut et puis la vie est là, qui nous attend.

« Les mots sont les passants mystérieux de l’âme. » (Victor Hugo)

« La brume, lugubrement empourprée, élargissait l’astre. On eut dit une pluie lumineuse ». (Victor Hugo)