Peu de temps pour écrire sur le blog ; c’est que " vivre" prend beaucoup de temps. Vivre, c’est quoi ? C’est admirer. L’époque est certes au dénigrement, à la critique systématique, à la dénonciation, à la mauvaise foi, à l’égocentrisme. Admirer évite tous ces pièges. L’admiration nous fait nous oublier. Alors nous voilà disponibles pour s’enrichir de l’autre, et l’autre est admirable lorsqu’il crée, lorsqu’il partage, lorsqu’il s’applique à donner de l’espoir en montrant tous les possibles de l’humain.
Plus j’avance en âge et plus mon pouvoir d’admiration est immense.
Il y a les exemples "reconnus" et récents.
Johnny Hallyday qui dans son dernier clip chante Et maintenant de Gilbert Bécaud. En noir et banc, visage aux traits presque effacés. Visage comme une empreinte. L’empreinte d’une vie profondément humaine. J’ai été frappé par ses yeux comme évanouis dans une sorte d’infini. Toute une vie à rassembler le peuple de France.
Gérard Philippe, dont on reparle un peu partout. Gracile, sombre, d’un enthousiasme presque affolé. Au service de Vilar, des grandes œuvres, celles indispensables et celles en devenir, militant, syndicaliste effréné.
Camus, qui fait encore l’actualité aujourd’hui, fou de tolérance, défenseur des droits de l’homme, agrandisseur de l’esprit humain, professeur de libertés.
Trois exemples qui me viennent à l’instant, mais d’autres sont aussi admirables ici et maintenant. Par exemple, mon camarade Bruno Meyssat (qui sera sur les planches de La Croix-Rousse la semaine prochaine). Paysan entêté, le voilà qui fouille le souvenir terrible d’Hiroshima. Bricoleur, arpenteur, collectionneur, chiffonnier, si modeste, presque absent, il nous dit à sa manière de nous méfier de nous-mêmes. C’est que nos intentions ne sont pas toujours recommandables.
Je pense aussi à Myriam Boyer qui sera elle aussi à La Croix-Rousse pendant toutes les fêtes de fin d’année. À 17 ans, elle a foulé pour la première fois les planches d’un théâtre, le nôtre (à l’époque salle des fêtes), ensuite Planchon et l’aventure du TNP puis Chéreau, Maréchal, Boëglin, Françon. Fille d’une mère infirme et d’un père alcoolique, elle s’est prise en charge jusqu’à être une actrice poignante. Elle porte nos malheurs et nos joies avec une grâce inattendue. Elle est Madame Rosa (Emile Ajar) comme on prend une décision.
Mais il ne faut jamais oublier d’admirer ceux qui nous accompagnent au quotidien, ceux qui nous aident à vivre et qui prennent soin de ne pas nous blesser. Je pense à l’équipe du théâtre qui m’entoure. Si investie, si consciente de ses responsabilités, si unie. C’est que le théâtre demeure un lieu de chair et de sang. Le verbe y claque comme un fouet. Les acteurs, les chefs de troupe, les poètes nous représentent le monde et nous le donne à comprendre à leur manière.
Me viennent ces quelques vers de Victor Hugo à propos de la fraternité :
« Je rêve l’équité, la vérité profonde,
l’amour qui veut l’espoir qui luit, la foi qui fonde
et le peuple éclairé plutôt que châtié.
Je rêve la douceur, la bonté, la pitié et le vaste pardon.
De là ma solitude. »
Admirables vers !
Mais vivre c’est aimer et aimer au fond n’est pas un sentiment, c’est une aventure. On s’aventure dans l’amour sans savoir ce que c’est. C’est l’histoire du " juste un peu" et du "presque rien", c’est comme ça. Comme une frontière.
L’amour c’est le regard que l’on pose autour de soi. Aimer c’est regarder, c’est aussi simple que ça. Dès que l’on rentre dans le questionnement, c’est foutu, car il n’y a pas de réponse.
J’aime regarder. Le silence du regard dit tout. Le regard ne ment pas. Je voudrais écrire un spectacle sur le regard justement. Souvenons-nous du Regard du sourd de Bob Wilson. Titre et spectacle admirables.
Vivre c’est donc admirer, regarder, mais c’est aussi accepter. Accepter que l’avenir c’est maintenant, à chaque seconde, à chaque instant. Seuls comptent les actes d’aujourd’hui (ce sont eux qui justement construisent l’avenir). Chaque instant est un miracle en soi. Puisque nous sommes vivants. Toujours vivants. Se projeter dans l’avenir, selon l’expression coutumière, est une hérésie. Cela voudrait dire que l’on se réjouira plus tard. Folie. Lorsque je regarde mes enfants, que je les étreints, que je les embrasse, que l’on se parle, je me dis que la vie est là. Et avec la vie, la tendresse.
Beaucoup d’événements personnels et professionnels m’engagent à vivre généreusement. Ecrire ces derniers mots me rassurent comme si tout n’était pas perdu, mais au contraire comme si tout commençait toujours.
En tous cas fuyons les petites mesquineries, les petites jalousies, les petites trahisons, les petits arrangements, les petits mensonges comme la peste. Fuyons tout ce qui nous rend petits !
Philippe Faure
jeudi 26 novembre 2009
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