L'homme :
Il est né en 1959 à Varazze. Il y a quelque chose chez lui d'un Depardieu italien, mélange d'une force physique impressionnante et en même temps d'une rare légèreté. Il a la solidité d'un artisan (les mains), d'un paysan, et en même temps presque la gracieuseté d'un enfant. Il me fait irrésistiblement penser au Victor de la pièce de Vitrac, Victor ou les Enfants au pouvoir. Il peut être un ami et un dangereux fou d'amour. C'est l'homme d'une conviction : le théâtre appartient au peuple et c'est au peuple qu'il faut rendre justice.
La troupe :
Après un parcours d'études assoiffé de connaissance, en particulier formation de danseur et intérêt pour le théâtre de l'orient, il fonde en 1980 sa compagnie avec laquelle il parcourt le monde. Mais c'est en 1996 que tout bascule lorsqu'il rencontre Bobo, sourd, muet, microcéphale, interné dans l'hôpital psychiatrique d'Aversa depuis 45 ans. Tout bascule alors car il va s'entourer plus que d'acteurs, de personnalités toutes rares de par leur spécificité physique. Sa troupe est alors une sorte "d'humanité rageuse". On pense inévitablement à Federico Fellini. Ce qui intéresse Pippo Delbono, au sens propre comme au sens figuré, ce sont tous ces êtres qui n'ont pas (ou plus) droit à la parole. C'est leur corps qui manifeste encore un signe de vie.
Les spectacles :
Je crois qu'il n'est pas exagéré de dire que Pippo Delbono réinvente le théâtre dans ce qu'il a de primitif. Il s'agit alors de cérémonials étranges, risibles, poétiques et extrêmement sensuels. L'art redevient une matière vivante. Ce sont toutes les différences mélangées qui créent le mouvement. Il y a dans ses spectacles quelque chose d'enfantin (le goût du jeu) et quelque chose d'extrêmement grave (la peur de la mort). Ses spectacles prennent à bras le corps le théâtre comme la vie a pris à bras le corps Bobo et les différents handicapés mentaux qui l'entourent. Son théâtre est immédiatement accessible parce qu'il est d'une profonde simplicité.
Les poètes :
Pippo Delbono s'attache par dessus tout aux compagnonnages des poètes. Genet, Rimbaud, Pasolini. Le plus souvent ce ne sont pas les mots de ces poètes qui l'inspirent, mais leur âme. L'urgence de justice qu'ils crient de rage.
Un besoin d'amour :
Il y a chez Pippo Delbono une sensualité, des pulsions quasi sexuelles qui donnent à son univers une chair bouleversée, déchirée, abimée, mais aussi possédée et déculpabilisée. Evidemment on sent chez lui un besoin d'amour presque universel : « Dis moi que tu m'aimes. » est une phrase souvent répétée dans La Rabbia.
Un poète d'aujourd'hui :
Pippo Delbono est sans doute l'homme de théâtre de notre temps le plus joué dans le monde (Festival d'Avignon, Théâtre du Rond Point, Lisbonne, Bogotá, Madrid, Rome, Montréal, Cracovie, etc.). Celui qui, au sens propre, révolutionne cet artisanat, le rend à son humilité première, à sa force innée, à son pouvoir poétique.
Tout ceci, et le reste, est raconté en détails dans I Racconti di giugno (Les Récits de juin) que nous jouerons le samedi 22 mai à 20h. Il présente pour la première fois à Lyon ce spectacle. Pippo Delbono se raconte, raconte sa vie avec des drames, des tragédies, des amours, des solitudes et des visions qui se répondent et se mélangent. De La Rabbia (représentations du 17 au 22 mai à 20h) il dit : « la vérité n'est pas dans un seul rêve, mais dans plusieurs rêves ». C'est l'épigraphe d'un film de Pasolini.
Pippo Delbono est un poète, un penseur politique, un combattant et pourquoi ne pas le dire un homme "possédé d'amour".
Philippe Faure
N.B: Ce texte a été écrit pour les programmes de salle de Andromaque, Bérénice & Phèdre et de Je chante pour passer le temps.
mercredi 21 avril 2010
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