Depuis le début de la saison, toujours la même ferveur du public. Les salles sont pleines à ras bord. Les locations journalières dépassent tout ce que nous avons connu jusqu’ici. De ce constat, je ne tire aucune gloriole, même si cela est réjouissant bien sûr.
Au contraire, une inquiétude ne me quitte pas. C’est ce que j’exprime régulièrement dans ce blog : que notre responsabilité n’a jamais été aussi grande. Le public a donc confiance en nous, puisque malgré la froidure, la crise ambiante, l’angoisse du lendemain, il vient de plus en plus nombreux dans notre théâtre. J’allais écrire, il vient de plus en plus disponible. Les spectacles des quatre prochains mois affichent quasiment tous complets (Laurent Gaudé ; la Cie A’Corps ; Duras, Chéreau et Dominique Blanc ; Shakespeare et Macbeth ; Feydeau ; Camus ; Sartre…). Alors ? Sans doute toutes ces années de travail inlassable ont-elles créé un terrain propice à la rencontre. D’une certaine manière, nous ne programmons pas de spectacles, nous invitons les uns et les autres à se rencontrer et évidemment à dialoguer. Les uns : les poètes, les artistes. Les autres : le peuple ! (toujours cette référence au génial Victor Hugo). Nous avons (l’équipe de la Croix-Rousse) la chance d’en être les intermédiaires nécessaires. Et cette chance, nous l’assumons avec de plus en plus d’humilité, de sens des responsabilités.
La politique (le politique) a renoncé à créer les conditions de cet indispensable dialogue où les idées s’échangent, les idéaux ressurgissent, les horizons sortent de terre. La politique, depuis si longtemps, ne s’est occupée que d’elle-même, que de son propre avenir (ce qui très malheureusement a été le cas lors du dernier congrès du PS). La politique n’écoute plus le peuple, comme si le peuple n’était pas à "la hauteur des enjeux", n’était pas digne d’intérêt.
Or, ici à la Croix-Rousse, nous avons une confiance absolue dans ce peuple de France : le peuple qui va assez bien et le peuple qui va plutôt mal. Nous pensons qu’il ne rêve que d’une chose : qu’on lui propose de s’épauler les uns les autres. Intellectuellement bien sûr, car aujourd’hui peu de vérités sont inébranlables ; toutes les vérités doivent s’adapter à un monde qui ne cesse d’être en mouvement. Fraternellement aussi, car la solitude nous guette tous, qui que nous soyons. Plus que jamais, j’ai conscience que le théâtre ne triche pas avec l’humanité. Il affronte à mains nues les contradictions, les doutes et les peurs de l’époque. Le théâtre, cet art si modeste, si artisanal, a en lui une énergie sidérante. Il prend "les choses en main", si j’ose dire. Il crée de la beauté morale (même quand il se rate). Le théâtre a ceci de particulier que chacune de ses tentatives est pour le moins un acte poétique. Et cet acte, dans sa fragilité, cherche toujours à rassembler, à donner un sens à nos vies. Voilà, le grand mot lâché : le sens. C’est ce qui fait que les poètes nous sont aussi nécessaires que l’eau ou l’oxygène. Leurs mots nous oxygènent le cerveau ; le contraire de ce que fait la politique qui asphyxie nos rêves.
Quelle tristesse aujourd’hui que de voir le Ministère de la Culture réduire les artistes à des êtres encombrants et inutiles. Ce même ministère les culpabilise chaque jour davantage. Il les assaille d’humiliations. Il ne comprend pas (parce qu’il n’est pas sur le terrain de la pensée) que les artistes excitent les consciences. Il décide tout "de là-haut", de sa prétention remplie d’ignorance. Enfin Madame le ministre, nous vous en prions : Laissez vivre les artistes. Donnez leur les "pleins pouvoirs". Ne rognez pas systématiquement leurs désirs. Oui décidemment, même si cela demande beaucoup d’énergie, c’est une chance d’être un "contre-pouvoir ".
Vu hier l’émission sur Jean-Paul Belmondo. Bouleversante interview. J’ai toujours adoré cet acteur, cet homme. Aujourd’hui le voilà abîmé par un coup du sort. Mais le regard est intact : malicieux, tendre, sincère. Et les plissures de cette bouche tordue par une demi-paralysie : rigolardes, naïves, amicales. Il y a de l’enfance dans ce visage aux traits grossis et profonds. Il y a surtout, qui vibre dans cette voix si particulière, un amour invétéré de la vie. C’est un artiste de la plus belle espèce : qui nous donne envie de jouer. C’est un homme admirable qui force l’admiration, même si, à vrai dire, il n’y a pas besoin de beaucoup se forcer pour l’aimer. Longue vie à lui.
Appris le coma de Claude Berri. Je ne saurais juger le producteur ni le metteur en scène. Mais l’acteur qu’il fut dans un certain nombre de films m’a toujours paru remarquable. Son livre (j’ai oublié le titre), récit impressionniste de sa vie était d’une qualité d’écriture surprenante. Ce bougonnement dans son visage un peu renfrogné, cette tristesse toujours dans son regard un peu bas, ses cheveux dépeignés, cette façon de parler toujours une cigarette entre les doigts, avec précipitation, gravité et étonnement… Claude Berri m’a toujours intrigué et fasciné. Après avoir rédigé ce billet, j’apprends que Claude Berri est mort.
Pris un café avec Sylvie Testud. Sans doute l’une de nos plus grandes comédiennes (si ce n’est pas la plus grande). Elle enchaîne film sur film. Elle souffre le martyre de ne plus pouvoir fumer dans les cafés (elle qui fume 2 ou 3 paquets de cigarettes par jour). Elle ne s’arrête jamais d’avoir envie de faire. Donc elle s’arrange tout le temps pour avoir "à faire".
Actuellement à la Croix-Rousse : Le Nouveau Testament de Guitry. Porte le spectacle un acteur qui me bluffe tous les soirs : François Marthouret. Il y a du génie dans son jeu, et l’homme est si fraternel. Il est un spectacle à lui tout seul. C’est injuste de dire cela, car le spectacle lui-même est de premier ordre.
Toujours les bombes à Gaza. Et dire que la guerre dure depuis 60 ans.
Pour finir, écrivons que nous allons, ici à la Croix-Rousse, pratiquer la Politique des poètes, en espérant que bientôt la politique, celle qui normalement devrait nous gouverner, réinvente la liberté, l’égalité et la fraternité.
Philippe Faure
mardi 13 janvier 2009
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1 commentaire:
oui, pour Belmondo, je partage tellement,l'œil lumineux, grace accordée aux artistes, bien chère payée, mais jeunesse de l'iris, des combats, de cet espoir fou de l'enfance qui croit encore à ses rêves....andiamo, la vie est difficile...mais finalement, c'est encore la scène, le théâtre, l'écriture qui permettent de passer outre, de faire des pieds de nez au destin....Julie.
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