Planchon est mort.
J’ai inlassablement recherché son contact.
Il y a quelques années (une dizaine) je lui ai proposé d’écrire un livre sur sa vie.
Une sorte d’autobiographie subjective et personnelle. Il m’avait donné son accord.
Aussi l’ai-je interviewé une quinzaine de fois pendant deux heures à chaque rendez-vous. J’ai amassé beaucoup de confidences. Je lui ai posé toutes sortes de questions, des plus naïves aux plus personnelles. Ces rencontres furent comme une drogue.
J’aimais cet homme, au sourire si coupant, aux yeux si perçants, à la tête si énorme.
Jamais il ne se laissait aller à la moindre émotion, et quand mes questions allaient de ce côté-ci il se brusquait, se fermait. Décidait : « Philippe, soyez un peu sérieux !… »
Je n’ai pas écrit le livre. Je l’ai commencé et fini, manque le milieu.
Quand j’ai pris la direction de La Croix-Rousse je n’ai eu de cesse de provoquer une création de Planchon ici. Quatre années de suite nous nous sommes rencontrés pour mettre sur pied un projet. Je lui proposais de mettre en scène un spectacle uniquement avec de jeunes acteurs, quasiment sans décor. Plateau Nu. Je rêvais de retrouver le Planchon des débuts. Le saltimbanque, le fantaisiste, celui qui en construisant d’humbles palissades de bois peut réinventer Shakespeare mieux que personne. À chaque fois il me donnait son accord, puis quelques jours plus tard changeait d’avis et me proposait une de ces productions "Planchoniennes" lourdes et déjà vues.
Je refusais évidemment. Je voulais le Planchon libéré des années du TNP. Du coup, nous ne fîmes rien ensemble. Nous nous téléphonions régulièrement. Une fois un projet a failli se faire. J’avais décidé d’organiser la tournée. Aucune des grandes maisons de théâtre ne désirait accueillir Planchon. Je me suis heurté à des refus systématiques : "Trop vieux !", "Dépassé !", "Inutile !", "Insupportable !", etc…
Après son éviction impitoyable du TNP, Planchon a beaucoup souffert. Il a été maltraité malgré les arrangements de dernière minute. Il était comme un éléphant blessé qui ne sait pas pleurer. Sa solitude fut grande. Peu de mains se sont tendues. Il a retenu sa colère, il a accepté de ne plus "être à l’ordre du jour". Malgré tout, il a cherché le théâtre partout où il pouvait s’inventer. Que de lectures de ses pièces n’a-t-il pas fait ! Il est redevenu l’humble paysan de son Ardèche natale. Rude à l’épreuve. Digne aux chagrins. Conscient que la gratitude n’est plus de ce monde. Comme il m’a ébloui cet homme même pas voûté, aux épaules encore énergiques, si pressé de tout, si impatient de l’avenir, si peu ému par le passé. Je l’ai aimé comme un père, comme un frère. Devant ce bloc on ne pouvait qu’avoir le vertige.
Si seulement tous ceux qui l’ont méprisé, abandonné pouvaient se taire aujourd’hui, ne rendant que des hommages délirants d’hypocrisie.
C’était un monstre. Une sorte de Michel Simon. Je n’en reviens pas que son cœur ait lâché. Lui, l’infatigable travailleur des jours et des nuits.
Je bénis le ciel de toutes ces heures passées avec lui. J’étais devant Dieu le père. Il n’y a pas d’autres mots !
Philippe Faure
jeudi 14 mai 2009
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