Presque trois mois sans écrire le moindre mot. Juillet, août, septembre comme retirés du monde, en tous cas, absolument silencieux. Et ce silence peut être dangereux, car il laisse le terrain libre à toutes les rumeurs. Tentons donc de retrouver les événements dans l’ordre où ils me viennent (qui n’est pas l’ordre chronologique), dans l’ordre de mes émotions dirions-nous.
D’abord revenons à l’essentiel : la création de Maman j’ai peur dans le noir. Ce spectacle fut un enfer à imaginer et à porter à la scène (à jouer ?) et pourtant ce fut un moment de théâtre unique. J’ai eu le sentiment chaque soir que j’allais trop loin dans une sorte de mise à nue, presque mortelle. Je n’ai cessé de penser à Molière et à sa dernière interprétation du Malade imaginaire. À sa mort quelques heures plus tard en coulisses. Au fond, je n’ai rien fait d’autre dans ce spectacle que de conjurer la mort. A travers cette conjuration, il me fut aisé de jouer avec le sens de la vie, de m’amuser de manière presque enfantine avec cette éternelle question : qu’est-ce que c’est qu’être vivant ? Et que doit-on faire de notre vie ?
J’en appelais au Curé d’Ars, à Dieu, à C. Jérôme, à Patrick Dewaere, à la médecine, aux femmes, aux enfants… enfin à tous les êtres qui me traversaient l’esprit et le cœur pour qu’ils m’aident à trouver une réponse la plus digne possible.
Evidemment, ces interpellations et ces tête-à-tête provoquèrent le rire… Dialogues absurdes, naïfs, mais bon, quand on s’abandonne au dénuement, on ne s’occupe plus de ce que les autres pensent. On fait ce que l’on peut.
Ce qui m’a bouleversé chaque soir (il y en eut dix) c’est que le public m’a profondément suivi dans ce vertige. Sans que cela soit dit, il a partagé ce qui ne fut rien d’autre qu’un élan d’amour. Un "sauve qui peut". Car quand la peur vous saisit (peu importe d’où elle vient) on se demande si l’on a assez aimé, si l’on a été suffisamment sincère. Si l’on n’a pas fait trop de mal, si l’on n’a pas trop menti, ni trahi, si l’orgueil n’a pas tout faussé ? Chaque soir j’ai ressenti que le public me rassurait autant que possible. Dans ses applaudissements si tendres.
Je découvrais qu’au fond, je n’étais pas un "si mauvais homme que ça". Drôle d’impression, et ma peur, ma fatigue de moi-même s’évanouissaient. La critique écrivit des articles extrêmement émouvants. Chacun comprit qu’il ne s’agissait pas là d’un exercice d’autoglorification, mais qu’à travers sa peur et sa souffrance, l’on avait une chance de mieux comprendre le monde et surtout de mieux assumer sa responsabilité d’homme de théâtre. Comment comprendre la souffrance des autres si soi-même on est peuplé de certitudes, de mépris, de jugements à l’emporte pièce, de prétention. C’est impossible.
Depuis que j’ai commencé à écrire ce blog, il me semble que je n’ai cessé d’invoquer cette humilité nécessaire, ce doute permanent, cette obsession de la tentative…
L’on voit où mènent ceux qui soi-disant possédaient la vérité. Revenir toujours à ce que nous sommes, et inlassablement corriger nos faiblesses, éloigner nos lâchetés, dissoudre nos certitudes. « Ce que nous sommes », voilà un titre de spectacle à inventer.
Voilà pour septembre !
Août maintenant. Sept jours d’hospitalisation. Rien de grave, mais comme m’a dit le professeur qui m’a opéré : mieux vaut être prévoyant. J’ai donc été prévoyant.
Drôle d’expérience que de vivre l’hôpital au mois d’août quand toute la France est en vacances (y compris dans le milieu hospitalier). Le lendemain de l’opération, je déambulais dans les couloirs avec mon fils, ou mon assistant E. Robin, ou mes filles et leur mère. Les médecins depuis plusieurs années ne cessent de me dire que j’ai une constitution redoutable et une santé de fer. Moi, l’hypocondriaque absolu, je commence seulement à me convaincre qu’ils n’ont peut-être pas tort.
C’est que mon corps je m’en suis toujours méfié.
Je ne lui ai jamais fait totalement confiance. Peut-être ces temps-ci se rue-t-il dans les brancards comme pour me dire que j’ai été très injuste avec lui (trop). Toujours est-il que depuis ces derniers mois je prends soin de ne plus le contrarier et de lui dire combien j’ai besoin de lui.
Juillet enfin.
Pris la décision de ne plus m’abimer le cœur dans un amour qui a fini par basculer dans le vide. Et je n’ai pas eu envie de basculer tout entier dans le vide. Tant pis pour cet amour-là ! Paix à son âme. J’ai choisi de rester digne.
Voilà, comme dirait l’autre, un trimestre bien rempli. Dire que ce trimestre-là ne m’ait pas un peu fatigué serait si ce n’est mentir, du moins exagérer. Qu’en ce moment je rêve de vacances, de soleil, de bord de mer (même avec un temps gris), de liberté, certes. Mais étrangement, peu à peu une sorte de rage de vivre s’empare de moi.
Le théâtre connaît un succès impressionnant. Pour la première fois, plus de 10 000 abonnés. C’est donc que l’usure n’est pas de mise. Que la confiance dans cette maison ne cesse de croître.
Nous travaillons pour l’année prochaine à une toute nouvelle organisation de la saison. C’est une chance bénie que d’être ainsi au cœur des mouvements de la société, de ses soubresauts, de ses chaos, de son avenir. Essayer encore et toujours de réconcilier les rêves et la réalité. De ne mépriser ni les uns ni les autres, pour tenter de trouver "l’ouverture". Car plus que jamais je pense que nos maisons doivent être ouvertes. Elles doivent respirer l’horizon. À nous d’inventer (dans nos faibles pouvoirs) un horizon "qui danse".
A propos de la sortie du film Le dernier pour la route avec François Cluzet, lu beaucoup d’interviews de lui. Acteur magnifique. Il dit à un moment : « On a fait les frais de l’individualisme stérile. Les faux héros de la performance égoïste se révèlent des escrocs et des imposteurs. Tant mieux si on commence à changer d’époque et à s’apercevoir que les profiteurs laissent vraiment trop de gens sur le bord de la route. Je suis convaincu que le progrès passera par le fait d’accepter les plus faibles et non pas de se retrouver entre forts. »
C’est dit et c’est bien dit.
Beaucoup d’autres choses à dire…
Mais la reprise de Thérèse Raquin m’attend. Répétitions et jeudi, première.
Pour finir, cette phrase de Thérèse à Laurent, son amant :
« J’ai ton odeur dans ma bouche. »
Voilà qui là encore est dit et bien dit !
mardi 29 septembre 2009
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