Dernière représentation du Malade au Théâtre National de Nice. L'accueil toute la semaine fut extraordinaire. Le public de la dernière (plus de 1000 personnes) n'avait pas envie de nous laisser partir, et les applaudissements me firent penser à une mer démontée. Un peu dantesques !
Ce Malade imaginaire qui "nous tient au corps" (expression Moliéresque dans Le Malade) depuis presque cinq ans est porté par une énergie peu commune, toute la troupe est au diapason. Le grand mot est lâché : c'est d'abord "une affaire" de troupe. Ici, non seulement l'union fait la force mais chacun est complice de l'autre, et de l'œuvre ; et du coup l'œuvre se nourrit d'une énergie vitale. Et puis, il y a Argan, que j'ai l'honneur (la chance) de prendre à mon compte. Et je réalise que chaque grand rôle n'est pas seulement un personnage : c'est un territoire. Et ce territoire, chaque soir, il reste à l'explorer. Il est infini. Selon l'humeur, l'exploration est sombre ou joyeuse, innocente ou cynique, lasse ou énergique. Un rôle comme celui-là peut rendre fou, pour peu que l'on s'y abandonne (ce que je fais). Et sincèrement, parfois j'ai le sentiment que cet Argan, à qui je donne vie depuis plus de 200 fois, va me rendre fou. À moins qu'il ne me sauve de moi-même ! (N'est-ce pas la même chose ?)
A Nice, j'ai appris (réappris) à être heureux du soleil. Je l'ai aimé ce soleil Niçois. Peut-être a-t-il ensoleillé ma vie, après des mois très sombres où aucun mépris, aucune trahison, aucun mensonge ne me fut épargné. Mais ne revenons pas sur ces dernières années de ma vie où l'amour m'a aveuglé. Je n'ai pas vu que la personne qui était en face de moi ne cherchait qu'une chose : se débarrasser de moi !
Dieu soit loué, je me suis enfui avant d'y laisser ma peau. J'ai promis à mes filles que j'allais les emmener au soleil à la prochaine occasion. Cela dit, elles sont mon soleil. Marie, la plus grande, m'avoue au téléphone : « Je n'aime pas quand tu es loin, je suis inquiète. » Je la rassure. Elle conclut : « Vivement que tu sois là ! »
"L'autre" me criait : « J'en ai marre de t'avoir dans mes pattes, tu me pollues la vie ! »
Sans commentaire. Sans amour évidemment.
En tournée, les journées sont étranges : on est dans la vie, sans franchement y être. Tout est réglé en rapport de la représentation du soir. Bien sûr, il y a les lectures, du travail aussi, de l'écriture, du téléphone, tout cela mélangé dans l'intimité de la chambre d'hôtel. Les choses se font dans le désordre. Soudain la douche surgit n'importe quand, comme impérieuse. Soudain aussi le désir fulgurant de voir la mer vous saisit. Mais vite, le retour à la chambre d'hôtel s'impose. Le corps toute la journée est las. C'est peu à peu, quand arrive la proximité de la représentation, qu'il se défatigue, qu'il redevient disponible à l'effort. Car jouer Argan demande un effort physique assez violent. Si l'on songe qu'Argan est un malade épuisé, on se dit que le théâtre n'a pas peur de manier les contradictions et d'imposer aux acteurs d'invraisemblables basculements du corps et de l'esprit.
Au fond, en tournée, chaque jour l'acteur attend le moment où il ne va plus s'appartenir, où il n'aura plus aucun contrôle sur lui-même, où peut-être, où sans doute, il éprouvera ce sentiment de liberté aussi éphémère qu'il sera violent.
Bien sûr après la représentation en début de nuit, il y a la télévision. Elle aide "à faire retomber la pression". Et là, dans la semaine je suis quasiment tombé amoureux de deux présentatrices et d'une chanteuse.
D'abord Alessandra Sublet sur la cinq qui anime une émission dont le titre doit être "c à vous" (c'étaient des rediffusions). Un sourire éclatant. Une limpidité dans le visage. Une tendresse infinie. Grande et belle. Eclairante ! A recommander en cas de panne d'énergie et de confiance.
Autre présentatrice sur i>Télé du Soir 3. La plus belle, la plus pulpeuse et si intelligente, avec une distance parfaite sur les choses et les événements, c'est Audrey Pulvar. Vraiment c'est une femme dont beaucoup doivent rêver. Mais en même temps il doit y avoir la peur de ne pas être à la hauteur d'une femme aussi complète. A recommander tous les soirs ! (Malheureusement, je n'ai pas la TNT donc pas i>Télé… il faudra que j'attende la prochaine tournée pour la retrouver)
Enfin, vu Emmanuelle Seigner qui sort un nouveau disque. Elle parle admirablement de son mari (Roman Polanski, 72 ans). Elle doit avoir une petite quarantaine. Elle dit qu'elle est un garçon manqué. Un comble ! Il n'y a pas plus sensuelle, plus mystérieuse, plus désirable qu'elle !
Je ne sais pas si la femme est l'avenir de l'homme comme dit Aragon, en tous cas ces trois femmes donnent de "la femme" justement une très haute idée.
Lors de ma dernière réunion avec les délégués du personnel, j'ai évoqué la notion de mérite pour les salariés. J'ai eu un peu l'impression de briser un tabou dans une entreprise comme la nôtre où les salariés sont solidaires les uns des autres, et pourtant je suis très attaché à cette notion de mérite. Chacun n'est pas égal dans son investissement dans le travail, dans son travail.
J'ai moi-même terriblement donné de ma personne pour mériter aujourd'hui de diriger un théâtre et d'avoir les moyens suffisants pour créer des spectacles. Qu'est-ce que le mérite ? (mot sarkozyste autant que je me souvienne). C'est sans doute quand l'intérêt général guide seul les actes que l'on accomplit. Mais au-delà de l'intérêt général, c'est quand on est conscient de sa responsabilité à défendre un idéal. Et cette défense doit pouvoir s'accomplir même quand la situation est difficile. Mériter de faire partie d'une aventure d'une équipe, cela implique une rigueur intellectuelle. Un engagement quotidien. Je ne sais si cela est de bon ton, mais j'aime à pouvoir reconnaître pour chaque salarié son mérite. Si par malheur, cela n'est pas le cas, je suis le plus malheureux des directeurs. C'est pour cela sans doute que je défends mordicus les promotions internes, les formations de tous ordres, les tête à tête impromptus, les réunions de service et d'équipe. C'est que mon rôle est d'aider à construire le mérite de chacun.
Cette très belle parabole indienne : « Pour peu qu'un oiseau puisse chanter, il faut qu'un autre le regarde ».
Une actrice magnifique : Marina Hands. Je l'ai croisée une fois. Elle m'avait beaucoup impressionné. Elle joue actuellement dans le film de Marc Dugain : Une exécution ordinaire. Malheureusement, j'ai tellement de "films à voir" en retard que celui-ci n'échappera pas à la règle qui veut que je n'aille plus au cinéma qu'avec mes deux amours de filles !
Je lis dans tous les éditoriaux que l'affaire Clearstream est une "affaire d'Etat". Quand on pense à tout ce peuple qui ici en France vit sous le seuil de pauvreté, on se dit que Villepin et Sarkozy devraient mourir de honte. Mettre autant d'énergie dans la haine, alors que tant de gens ne parviennent plus ni à se chauffer ni à se nourrir, que chaque jour la pauvreté gagne du terrain, c'est nous qui allons mourir de honte si nous ne nous révoltons pas une fois pour toute. Cette phrase de Dany Laferrière, écrivain haïtien : « Ce qui a sauvé cette ville, c'est l'énergie des pauvres. Sans eux, Port-au-Prince serait restée une ville morte. » C'est un comble ! Bientôt ça va être aux pauvres de sauver le monde…
Je l'ai déjà dit précédemment mais lorsque je vois le comportement exemplaire, digne et rieur de ma petite haïtienne préférée, Marline, je me dis que décidément les enfants nous renvoient nous-mêmes pauvres adultes à nos mesquineries et égoïsmes habituels. Ce matin, on me dit qu'un directeur de théâtre lyonnais, visiblement mal dans sa peau, tient de méchants propos à mon égard. Bien sûr tout cela ne me touche plus. Tout de même, n'y a-t-il pas mieux à faire ? D'autant que ce directeur-là tient des propos de fraternité, d'honnêteté, etc… en un mot de service public. Ainsi va la vie… Pas toujours très élégante ; à nous de lui donner un peu d'air frais (pour ça, on est servi… il fait moins 3° ce matin à Lyon !). Et comme dirait l'autre : « Le froid tue les microbes. »
Philippe Faure
lundi 1 février 2010
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