mardi 2 mars 2010

L'art du peuple

Nous (vous) voilà déjà aux deux tiers de la saison. J'ai du mal à réaliser et pourtant : Lambeaux, Les Garçons et Guillaume à table !, Le Malade imaginaire à la Maison de la Danse, La Vie devant soi, Observer, Woyzeck, Maman j'ai peur dans le noir sont de l'histoire ancienne. C'était hier et pourtant déjà si loin. C'est que le théâtre ne prend corps que le temps de la représentation.  Immédiatement après, il s'évanouit dans nos mémoires. Car le théâtre est ainsi : son souvenir ne nous impose rien. Il flotte ensuite dans notre imaginaire, comme un secret. "J'étais là, ce soir-là!" disons nous.

Le temps qui passe n'abime jamais notre souvenir de théâtre, bien au contraire, il lui donne une respiration particulière. Je me souviens de Myriam Boyer qui soudain ôte la perruque de Madame Rosa pendant les applaudissements. De Guillaume Gallienne dont on eût dit qu'il était inarrêtable, si possédé par le jeu. De l'incroyable alchimie de Bruno Meyssat à nous donner à revivre la tragédie d'Hiroshima. Du Malade imaginaire avec les costumes de ville, chatoyants comme aux plus belles heures de la folie d'Alain Batifoulier, le décorateur.

Je me souviens de tout, et pourtant tel que j'écris, avant même que la saison ne s'achève, je suis mobilisé et toute l'équipe avec moi sur notre prochaine saison. Mobilisé est le mot qui convient, car nous allons bousculer les habitudes, réaffirmer des nécessités, réinvestir notre propre idée du théâtre. Bien sûr, les spectacles proposés seront particulièrement "emballants" par leur exigence et leur spécificité. Ils le seront peut-être comme ils l'ont rarement été. Tant de grands metteurs en scène, d'œuvres majeures, de présences rares, de retrouvailles inattendues, d'inventivité nous accompagnerons. Notre mobilisation vient de ce que diriger, animer une maison de théâtre dans cette société qui souffre, où tant d'injustices gagnent du terrain, où tant de solitudes s'ajoutent, ne peut être un acte innocent. Depuis deux ans déjà avec nos "semaines des vêtements chauds", nous cherchons à nous rapprocher de la misère sociale et de faire que le théâtre ne soit pas un art orphelin. Mais l'art du peuple.

Mais arrêtons là. De cette mobilisation nous vous dirons tout le 31 mai lors de notre présentation de saison. Ce qui m'émeut et que j'ai envie de vous dire dès aujourd'hui, c'est que je suis conscient de l'immense confiance que vous nous faites. Cela par la force des choses nous donne des responsabilités nouvelles. Décidément, la Croix-Rousse ne sera jamais un lieu de consommation ordinaire. Je veux et rêve qu'il soit une aventure utopique avec sans aucun doute ses limites, ses contradictions et ses empêchements. Ces limites si pratiques pour ne pas agir, en tous cas nous les ferons furieusement reculer, oserai-je dire à la limite de nos forces. Tout à notre désir d'être utiles.

Philippe Faure

NB : ce texte a été écrit pour le programme de soirée qui sera distribué lors des représentations de 29 degrés à l'ombre et Embrassons-nous, Folleville ! du 09 au 27 mars.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Quel beau texte !
Tu as raison, Philippe, sans utopie le monde est trop laid...