lundi 26 octobre 2009

Brel avait raison

On commence par Clint Eastwood. Je l’ai vu, de mes yeux,vu. Incroyable, cette silhouette au scalpel. Ce visage émacié. On dirait "profilé". Ce regard qui vous cloue au mur comme un vulgaire insecte et comment dire, au delà de ce physique si mince sans aucune graisse, presque maigre, si haut sur pieds (ah ! ses jambes, immenses, interminables…) au delà de ses si longues mains, il y a le sentiment que l’on pourrait être son ami, qu’il vous regarde avec délicatesse, bienveillance, curiosité. L’homme a 80 ans ! C’est pas Dieu possible ! Il a quasiment traversé le siècle. Et cette traversée-là est inoubliable. Clint Eatwood dépasse l’entendement.

Félicitations à l’ami Thierry Frémaux pour son premier festival Lumière 2009. La soirée d’ouverture était géniale. Simple et amoureuse. Tant d’images magnifiques sur l’écran… Tout le cinéma du monde ce soir-là nous a sauté aux yeux, et l’on est ressorti de cette soirée en "petit garçon" et en "petite fille". C’était beau comme du Leone, beau comme du Fellini, beau comme du cinéma.

Incroyable mais vrai. L’entraineur de l’OL, Claude Puel, est venu à La Croix-Rousse avec sa femme pour Le Roman d’un trader et cela deux jours après avoir battu Liverpool à Liverpool 2-1.
Gérard Collomb m’avait demandé d’être présent au lancement du projet du « Grand Stade » à Décines. Gros raout au siège de l’OL à Gerland. J’étais en compagnie de mon ami Gaby et de Georges Képénékian, l’adjoint à la Culture. Collomb a signalé ma présence publiquement et la tête de J.M. Aulas s’est figée soudain dans le marbre.C’est que nos rapports (notre absence de rapport plutôt d’homme à homme) n’ont pas toujours été ni simples ni tendres. Pendant longtemps, je n’ai pas "senti" cet homme. Son sourire figé dans un maxillaire agressif m’a toujours effrayé. Et puis, peu à peu, j’ai appris à aimer, à comprendre l’homme. Aujourd’hui, il me semble qu’il est un grand président de club. Quelque chose s’est passé. Peut-être que l’échec relatif de la saison dernière l’a rendu plus humain. Il a tombé le masque du "j’ai toujours raison". L’arrivée de Puel, la confiance qu’il lui a faite, l’a en quelque sorte délivré…
Au fond, faire confiance à l’autre est une délivrance, et inversement, ne plus lui faire confiance est un enfer.

À propos de confiance, j’ai regardé l’autre nuit le long portrait de Ségolène Royal sur France 3. Il y était beaucoup question de la trahison amoureuse de François Hollande. Jusqu’ici et pendant 28 ans, le couple avait été fusionnel. Et puis la trahison a tout déchiré, et évidemment Royal (qui n’a toujours pas pardonné semble-t-il) s’est vengée en écrasant Hollande au moment de la candidature pour la présidentielle.
Cette élection (côté socialiste) ne fut en fait qu’un règlement de compte entre époux, impitoyable, souvent mesquin, sans limite, brutal, meurtrier.
Ségolène Royal parle de fidélité rompue et elle a eu la pire vengeance qui soit en demandant à l’autre (François Hollande) de vivre sa vie sans elle (loin d’elle). Je n’ai pas le sentiment que pour lui ce fut la meilleure nouvelle du monde car Ségolène aimait François comme sans doute personne d’autre n’aimera plus François. Et maintenant même s’il est accompagné, François est seul. Il est sans Ségolène !
(Ceux qui ont vécu ça d’un côté ou de l’autre me comprendront)

Revu la fameuse scène du Mépris de Godard où Brigitte Bardot est allongée sur le lit nue, à côté de Michel Piccoli. Et elle pose des questions toutes simples avec sa voix si particulière, décalée, et boudeuse.
« Tu les aimes mes seins ? »
« Tu les aimes mes cuisses ? »
« Tu les aimes mes jambes ? »
« Tu l’aimes mon ventre ? »
Et à chaque fois, Piccoli acquiesce.
La musique est légèrement sirupeuse mais tout de même lyrique (des violons si je ne m’abuse).
C’est une scène d’une étonnante sensualité parce qu’elle n’a aucun caractère sexuel. Au fond, on pourrait dire que cette scène résume parfaitement Brigitte Bardot. "Une femme qui n’a pas conscience qu’elle est une femme libre". Peut-être Piccoli à ce moment là est-il un idéal masculin. Sa voix nous brûle tant elle est chaude.

Myriam Boyer a décidé de tourner le prochain film de Bertrand Blier aux côtés de Jean Dujardin. Du coup, elle ne peut plus assurer les représentations de La Vie devant soi aux dates prévues. Nous avons donc 8000 personnes à déplacer et à replacer. Une broutille.
Nous avions prévu de fermer le théâtre presque 15 jours pendant les vacances de Noël, et bien c’est râpé. Toute l’équipe devra être sur le pont. Putain les vacances c’est encore loin ? …
Cela dit, Myriam Boyer est adorable. C’est une actrice magnifique. Mais bon, il semble que le théâtre ne fasse pas le poids par rapport au cinéma. Le théâtre n’est qu’un petit art artisanal et ne parle qu’à quelques centaines de spectateurs, un soir donné. Le cinéma, lui, est "permanent".

Beaucoup de tendresse autour de moi en ces temps pluvieux. Brel avait raison, la tendresse est le seul sentiment qui ne ment pas, et qui plus est c’est un sentiment modeste qui ne prétend à rien d’autre qu’à dire à l’autre (aux autres) que l’on est heureux qu’il existe (qu’ils existent). C’est pas beau la vie !

« À mesure que j’avance dans la vie je me simplifie, et je deviens de plus en plus patriote de l’humanité. » Victor Hugo
Cher Victor, j’essaye moi aussi d’avancer dans la vie en me simplifiant !

Lu Toxique de Françoise Sagan, illustrations de Bernard Buffet. Très court livre écrit lors d’une cure de désintoxication par Françoise Sagan. C’est très vif, très rapide. Effrayant. Les dessins de Bernard Buffet au crayon noir sont secs comme des coups de trique, des corps au cordeau, des objets tout en lignes noires. Moi qui n’aime pas spécialement Sagan, j’ai été impressionné par sa lucidité si brutale.
Extrait : « Voilà fini ce petit journal de la désintoxication. Elle aura été bénigne et ce journal salutaire. Je vais vivre et écrire de bon comme on dit. Je ne trouve pas de phrase morale ou amorale pour finir. »
Cela dit Bernard Buffet reste un mystère. Pourquoi est-il si peu aimé ? Quand je pense qu’il s’est suicidé en s’enveloppant la tête dans un sac plastique. Mort asphyxié ! Fallait-il qu’il soit seul !

Lu Un roman français de Frédéric Beigbeder. Formidable. Jamais peut-être les rapports de frères n’ont été aussi bien décryptés (Charles et Frédéric). C’est très poignant et le style est sans bavure.

Impossible de lire jusqu’à la fin le livre de Justine Lévy, Mauvaise fille. Ses rapports avec sa mère mourante son trop vrais… et puis le monde médical y est décrit avec une sévérité qui m’a fait ranger le livre à peine commencé sur le rayon de la peur.

Ce samedi, panique générale au théâtre. Des centaines de lignes téléphoniques en attente. Notre système informatique de réservations en panne. Entre le triomphe du Roman d’un trader et le replacement des milliers de places pour La Vie devant soi, c’est le bug assuré.
Du coup, j’appelle en urgence et en renfort une partie de l’équipe pour répondre à toutes ces lignes saturées. Tous répondent présents et dans la demi-heure qui suit, ils abandonnent leur repos dominical pour reprendre du service. Ca s’appelle la solidarité et quand une équipe est aussi solidaire de "sa maison" on n’a qu’une envie c’est d’applaudir des deux mains. Décidément nous vivons actuellement un état de grâce. Solidarité quand tu nous tiens, on ne risque rien.

Elle dit : « Tu as la peau douce. »
Il dit : « C’est le titre d’un film de Truffaut. Génial avec Françoise Dorléac et Jean Desailly. (Il a toujours adoré cet acteur et toujours trouvé injuste qu’il n’ait pas fait la carrière qu’il méritait au cinéma)
Elle dit : « Je ne te parle pas de Truffaut mais de ta peau. J’aime ta peau.
Il dit : « … Quand même il faudra que tu voies ce film. »
Elle dit : « Ta peau est plus douce que la mienne. »
Il dit : « Tu n’exagères pas un peu ??? »

J’ai effectué plusieurs permanences en soirée pour Le Roman d’un trader (archi complet). Une petite centaine de personnes m’ont demandé de mes nouvelles. Soit elles ont lu mon blog, soit elles sont venues voir Maman j’ai peur dans le noir.
Ce lien au public est bouleversant. Tous ont des mots si gentils, si attentifs, si pudiques…
Une dame à qui je demandais si tout allait bien, m’a répondu : « Bien sûr puisque vous êtes là. »
Je suis très fier de leur confiance à tous et de leur affection. Certains pour me moquer disent que je suis un incorrigible affectif. Ils ont entièrement raison. Je le revendique. Généralement, ce sont les mêmes qui ne donnent rien que leur prétention et leur égoïsme.
Vive les affectifs de tous bords !

Philippe Faure

3 commentaires:

renaud a dit…

N'avez-vous pas l'intention de dire ce que vous avez pensé du Roman d'un trader, qui a déçu beaucoup de vos spectateurs dont je fais partie...

Paul Predki a dit…

L’acteur est un porte-parole, il porte la voix pour faire entendre un poème, il sait aussi parler sans ne rien dire, c’est alors qu’on dit qu’il a de la présence (Lacan apprécierait). Le poids des mots ne pèse alors plus lourd. À quoi pense-t-il ? Ça c’est intéressant. Qu’est-ce qu’il entend par ses silences ? Didier Anzieu a dit aussi : Toute pensée est une pensée du corps. L’être humain pense d’abord avec les pensés d’autrui. En l’occurrence, le personnage joué par l’acteur pense d’abord avec les pensées du spectateur.
Un des principaux problèmes que l’acteur doit affrontés dans son idéal de liberté de création, c’est le metteur en scène. Jacques Lacan a dit : je ne parle jamais de la liberté. Ce terme me fait rire. - comme il le dit de la communication, nous l’avons cité précédemment - Et Jacques Lacan, malgré son humour, n’était apparemment pas là pour rigoler.
Mes premiers professeurs mon appris l’allégeance au metteur en scène. L’allégeance, ça pèse aussi et c’est un jeu dangereux. Le metteur en scène ne sait souvent pas grand-chose mais, pour des raisons politiques, il aime à laisser entendre le contraire.

Au début de leur relation amoureuse, l’acteur accorde au metteur en scène ce prétendu « savoir » et le metteur en scène, de son côté, présuppose à l’acteur un « savoir-faire ». Dans les angoisses paniques d’une création et du manque d’inspiration fréquent du grand manipulateur, cette présupposition de savoir-faire de l’acteur deviendra vite une exigence pressente du metteur en scène afin de sauver les meubles, c'est-à-dire le spectacle. Entre un metteur en scène et son acteur, il y a souvent fausse donne et transfert de fausse donne, les dés sont pipés, le jeu (de l’acteur) est fait (fabriqué ou réchauffé), mais alors l’acteur, lui, n’est pas réellement là, et bien évidemment rien ne va plus, le voilà triste et frustré. « No-problemo » comme dirait un des héros créé par Matthew Abram Groening, on te dit que ce n’est pas grave, ce n’est que du théâtre après tout.
La majorité des metteurs en scène que j’ai rencontré (terme abusif) feraient de très mauvais thérapeute. Tel n’est généralement pas leur rêve et ni leur désir, d’autres priorité s’imposent à eux : gérer leurs propres névroses, asseoir leur pouvoir et mener au mieux leur carrière. Comme dans le cadre d’une thérapie, le transfert est l’enjeu majeur de la relation acteur – metteur en scène, mais tous deux en jouent un peu comme Monsieur Jourdain fait de la prose. De même que la prose de Jourdain a peu de chance de faire de la bonne littérature, la relation metteur en scène - acteur n’est qu’exceptionnellement thérapeutique. Le metteur en scène n’est pas là pour soigner ses acteurs, il est le plus souvent dans l’urgence « de la production », il joue du transfert comme d’un outil, et souvent de manière perverse, quitte à en rendre malades quelques uns au passage. (La paranoïa et la dépression devraient être reconnues comme maladies professionnelles dans le spectacle, voire même comme accident du travail)
Parlant du jeu dans le cadre d’une psychothérapie, Winnicott dit : Jouer doit être un acte spontané, et non l’expression d’une soumission ou d’un acquiescement. J’avoue que je rêve secrètement de pratiquer le jeu d’acteur dans telles conditions. C’est rare. C’est en tout cas comme cela que j’aime à le transmettre.

Paul Predki

Paul Predki a dit…

Les "Poèmes Toxiques" prennent sérieusement tournure. Samira, membre de l'équipe vient de nous en signer l'affiche. Rendez-vous le 3 décembre au Studio du théâtre de le Croix-Rousse pour cette lecture-spectacle d'une substance rare présentée par un groupe d'usagers de l'association RuptureS de Lyon. Ces paroles me bouleversent et je ne suis pas peu fier de participer à leur diffusion. Mener à bout cette aventure est déjà une raison de tirer le chapeau bas à tous les membres de cette troupe. Mais croyez-moi, au delà d'une bataille pour se sortir peut-être un jour de la dépendance aux "produits", ces hommes et ces femmes font briller leurs âmes blessées et égarées avec une telle humanité que leur parole devient universelle.
Merci pour votre soutien, vos encouragements. N'hésitez pas à faire pleuvoir les fax le 3 décembre (fax du théâtre : 04 72 07 49 51), comme une reconnaissance de dette que chacun des membres de notre société doit avoir envers ses grands blessés.

Paul Predki
(merci de faire suivre)