lundi 22 juin 2009

Généreux comme un cachalot

Les circonstances font que mes deux filles assistent à la réunion hebdomadaire de l’équipe du théâtre ce mercredi. Elles sont à ma droite et à ma gauche. La réunion dure presque 1h30. Elles sont sages comme des images. Leur présence provoque une ambiance particulière. C’est drôle et émouvant. L’une et l’autre sont fières de leur papa. Elles sont attentives à ce que chacun dit, scrutent les visages, parfois posent leur tête sur mon épaule. C’est un moment très tendre et inattendu. En partant, elles me disent selon leur formule : « Trop bien ! »

À propos de l’équipe qui m’entoure, j’ai eu l’occasion il y a deux semaines, en début de réunion hebdomadaire, d’avouer solennellement que j’avais le sentiment que c’était la plus belle équipe que j’ai eu l’occasion d’animer depuis que j’ai pris la direction de La Croix-Rousse.
Il y a chez chacun de la compétence et de l’intuition. Un sens inné du dialogue. Une facilité à prendre des initiatives. Un sens très fort de l’intérêt général.
Une formidable attention aussi à ce que je suis. Pendant le mois de mai où j’ai beaucoup souffert physiquement, l’équipe pudiquement s’est inquiétée et a pris le relais avec beaucoup de naturel.
Le succès incroyable de la nouvelle saison leur est dû en grande partie. Leur sincérité et leur engagement, leur humilité aussi, leur conscience professionnelle font l’unanimité.

Deux jours ensoleillés et sereins en Suisse.
Vu Sous l’œil d’Œdipe de Jouanneau (qui sera dans le "in" d’Avignon cet été et que nous accueillerons en novembre prochain).
Très belle immersion dans "le monde d’Œdipe". Claire. Forte. Charnelle, précaire et évidente.
Deux comédiens magnifiques : Jacques Bonnaffé qui joue Œdipe. J’ai adoré son travail d’acteur qui cherche la vérité du personnage avec son corps, rien d’intellectuel. C’est l’un des acteurs les plus doués de sa génération. Et puis découvert Cécile Garcia Fogel. Un choc !... Sensuelle, noire, une présence "tellement femme". Une façon de bouger, de se tenir droite. Une voix qui impose un timbre particulier, voilé et profond. Elle crée une Antigone qui souffre, qui se bat, d’une fidélité absolue à elle-même avec un rapport à l’amour immédiat. Vraiment une Antigone qui restera dans les mémoires. En un mot, un vrai moment de théâtre.

Rencontré Claude Régy (84 ans), l’un des metteurs en scène mythiques de ces 50 dernières années. Frais comme un gardon. Presque primesautier. Petit homme malicieux et gourmand. Je lui ai dit qu’il faut absolument qu’il "passe par La Croix-Rousse" une de ces prochaines saisons. Il porte sur la vie un regard simple et absolu. Un maître.

Longues conversations avec René Gonzalez. Il est amoureux et il me dit avoir l’impression de " découvrir un continent"… Il revient de si loin. Il y a un an, il était en réanimation et aujourd’hui, il me prend dans ses bras et me dit simplement « Cadeau ! »

Je viens de lire le livre de Régis Debray Le moment Fraternité chez Gallimard. Il parle du « tout à l’égo ». Pour lui, la fraternité est une revendication publique de justice. Toujours cette évidence que le souci de soi ne l’emporte pas sur l‘intérêt collectif. Il écrit que la fraternité c’est « ressentir l’atteinte à la dignité de l’autre comme sienne. » Il dit : « Chacun veut vivre dans l’instant, pour soi et en fonction des bénéfices immédiats qu’il peut tirer d’une relation sans penser à hier ni au lendemain… »
Beau livre et personnage passionnant que Régis Debray.

Quelqu’un me répète inlassablement « Moi, je ne veux rien devoir à personne. » L’aveu me décontenance. Moi, j’ai le sentiment de tout devoir à tout le monde. Il me semble au minimum que c’est le signe que beaucoup ont envie de croire à ce que je suis et donc dès que cela leur est possible, ils me donnent la confiance et la tendresse nécessaires. En un mot, que je mérite leur attention. J’aime être redevable et je le suis définitivement à tout le monde. Seuls, nous ne sommes qu’orgueil !

J’ai beaucoup minci : curieux phénomène, car à quelques dizaines de grammes près, je pèse à peu près le même poids. C’est donc d’une certaine manière que mon corps se transforme. Deux idées me viennent à l’esprit susceptibles d’expliquer cette sorte de métamorphose. La première c’est que mon corps se débarrasse de la graisse qui l’a parfois encombré. Il "s’affute" selon l’expression courante. Il retrouve une ligne de jeune homme, comme si "être ventru" lui paraissait indigne.
La seconde, c’est ce tiraillement entre le fait d’être un homme publique, donc visible, et ce désir plus sourd d’un effacement, de retrouver un anonymat. Cet écartèlement provoque chez moi sans doute une réaction quasi chimique qui fait fondre la graisse. En tous cas, je préfère cette silhouette à celle qui fut la mienne un temps (enflée). Il y a quelque chose de "la renaissance". Comme si mon corps était maintenant tendu vers l’essentiel. Mais est-ce que ces réflexions personnelles intéressent quiconque ? Dans cet exercice du blog, j’ai choisi de me "mettre à nu". Alors parler du corps est une évidence.

Ces jours-ci, je me suis acheté pantalons et tee-shirts très colorés (rose, violet, bariolés). Longtemps, je me suis habillé de noir et de gris. Toujours cette idée de l’effacement. C’est que contrairement à ce que pensent beaucoup, être sur le devant de la scène est le plus souvent une épreuve car d’une certaine manière on ne s’appartient plus, on sacrifie beaucoup de sa vie et comme dirait l’autre " sa vie, on en a qu’une !" Ne doutons pas que cet élan vestimentaire me donne des couleurs (visage un peu pâle encore).

Il y a cinquante ans que Boris Vian est mort. L’un de mes premiers spectacles à La Croix-Rousse fut une adaptation de L’Ecume des jours. A l’époque, j’ai quasiment lu tout Boris Vian. Je garde un très bon souvenir de ce spectacle. Une scénographie extrêmement poétique d’Alain Batifoulier. Une vraie troupe de comédiens, des chansonnettes et une musique de Louis Sclavis.
Certes, restituer l’univers de L‘Ecume des jours est impossible. Au moins avais-je tenté de m’approcher de sa tendre folie. Cette histoire de nénuphar à l’intérieur de la poitrine de Chloé. Génial ! J’adore Vian et je me réjouis qu’à l’occasion du cinquantenaire de sa mort, beaucoup d’articles évoquent l’homme et son œuvre. L’homme est phénoménal. D’abord d’une grande beauté. Le visage au scalpel. Un regard d’une profondeur vertigineuse.
Et puis le poète. Cette façon de défaire le monde, de le reconstruire en équilibre entre réalité et imaginaire. Ce maniement des mots. Souvent osé. Toujours ironique et cynique. Cette liberté joyeuse et coupante. Libre comme l’air et douloureux comme l’infarctus qui l’emporta. Vive Vian ! Viveur et vivifiant !

Pour en revenir à ma minceur, j’ajouterai une troisième raison à "ce maigrissement". Ces deux dernières années furent tout le contraire de ce que j’avais rêvé de vivre. Elles m’emportaient si loin du sentiment qui m’habitait. Elles me perdirent dans une méchante réalité. Se rendre à l’évidence est un exercice pour le moins douloureux. Le corps demande grâce !

Je feuillette chez quelqu’un le dernier numéro de Psychologies consacré à la gentillesse. Sept qualités requises pour être gentil : l’empathie, la modestie, la patience, la générosité, le respect, la loyauté et la gratitude. Ca paraît simple comme ça !!! J’aime beaucoup le titre d’un chapitre : « La gentillesse est une arme anti-frustration. »

Hier, fête des pères. Marline m’offre une sorte de peinture marbrée où trône un lapin (à moins que ce ne soit un loup) doré.
Marie, un poème aux compliments un peu exagérés :
« Beau comme un lion,
courageux comme un tigre
et généreux comme un cachalot ! »

Je cherche depuis longtemps une secrétaire de direction.
Peut-être ai-je enfin déniché la perle rare ?
Il s’agit de former un duo rapide, efficace, rigoureux, loyal, discret et tout cela sans aucune faute d’orthographe !!!

Philippe Faure

1 commentaire:

muriel a dit…

Si seulement j'avais su que vous recherchiez une secrétaire de direction, je vous aurais proposé ma candidature...
J'admire votre travail, vous avez fait de notre théâtre du 4° arrondissement de Lyon, un GRAND THEATRE...
Si vous avez besoin de mes services, n'hésitez pas, DESS Développement culturel et Direction de projet, chargée de mission, Responsable salle de spectacle, et actuellement assistante en agence de communication.
Bien respectueusement
Muriel